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Aujourd'hui, un Guest post signé
Silvère Tajan, en pleine forme !
Ce n'est un
secret pour personne, j'aime beaucoup voyager aux Etats Unis. J'y passe
très régulièrement mes vacances, et dans un peu moins de
deux semaines, je prend l'avion pour mon pèlerinage annuel au pays de
Jefferson. Ce sera l'occasion, comme chaque fois, de me soumettre à un
régime un peu particulier. Il faut en effet savoir que je suis un
grand amateur de la boisson aromatisée à l'extrait de cola.
J'en bois très régulièrement, par plaisir ou pour me
désaltérer. Tout au long de l'année. Ou presque.
Une affaire de goût
En effet, un des avantages
d'apprécier le Coca Cola, car c'est bien évidemment de ce soda
dont nous parlons, c'est qu'il est mis en bouteille localement à
travers le monde, mais à partir d'un concentré dont la firme
d'Atlanta garde jalousement le secret, et qu'elle produit dans un nombre
très limité d'usines qu'elle possède en propre (à
la différence des usines de mise en bouteilles qui sont des
franchisés locaux). C'est ainsi que le goût de la boisson la
plus connue au monde est identique aux quatre coins du globe. Ouvrez une
canette à Paris, Tokyo ou au fin fond de l'Afrique, et vous partagerez
la même expérience. Enfin, partout, ou presque.
Il est en effet un pays où le
goût du coca cola diffère très sensiblement du reste du
monde, et par une ironie incroyable, ce pays, ce sont les Etats Unis
d'Amérique. Par quel truchement absurde la boisson qui incarne
l'Amérique a t-elle pu garder le même goût au travers des
frontières du monde entier, sauf dans le pays qui l'a vu naître
et prospérer ? Un seul mot : l'Etatisme, dans toute son
absurdité. Car c'est une fois de plus une conséquence
inattendue de l'immixtion de l'Etat dans la vie économique qui est
responsable de ma diète estivale forcée, car pour un fin
amateur de coca, avaler une gorgée de l'infâme mixture vendue
sous l'appellation de Coca Cola aux Etats Unis relève de la torture
physique et morale.
Les sucres
Mais revenons à notre sujet :
comment diable le goût du coca peut il différer aux Etats Unis
si le sirop concentré qui le compose est rigoureusement le même
dans le monde entier ? Il faut en fait comprendre qu'une usine de mise en
bouteille de Coca Cola assemble trois ingrédients principaux : le
fameux sirop qui concentre tous les arômes, de l'eau gazeuse, et enfin,
... du sucre. Le sucre, de part le monde, est produit à partir de deux
matières premières agricoles principales : la canne à
sucre, et la betterave sucrière. Dans les deux cas, le sucre une fois
raffiné a exactement le même goût et est composé de
saccharose.
Mais outre atlantique, où la
culture de la canne à sucre était originellement la principale
source de sucre, l'importation de canne à sucre des très gros
producteurs des caraïbes et d'amérique du sud a assez vite
supplanté la production nationale. Depuis bien des années, les
Etats Unis ne produisent plus de sucre. En revanche, les américains
produisent beaucoup de maïs, et les producteurs de maïs y sont très
organisés, et très puissants. Et à la fin des
années 50, on découvrit que si le maïs ne contient pas de
sucre (saccharose), il contient du glucose. Et qu'en utilisant certaines
enzymes, on pouvait transformer artificiellement en cuve, le sirop de glucose
issue du maïs, en sirop de fructose. Le procédé est
coûteux, et le fructose n'égale pas le goût sucré
du saccharose de la canne à sucre ou de la betterave, mais si aux
Etats Unis on a pas de canne à sucre, on a des lobbies, et de très
efficaces.
Les sucriers veulent se sucrer
En 1977, un système de taxe
douanières et de quotas d'importation est mis en place, qui va
rapidement conduire le prix du sucre, le vrai, à un niveau
approximativement deux fois plus élevé que sur le reste du
marché mondial. Progressivement, les industries agro-alimentaires
grosses consommatrices de sucres vont se tourner vers d'autres alternatives,
et principalement, vers le sirop de fructose issu du maïs (ou High
Fructose Corn Syrup), dont le coût élevé du traitement
est contrebalancé par les nombreuses aides à la production
accordée au secteur céréalier.
Restait un problème de taille,
notamment pour une société comme Coca Cola qui vent à
ses clients la garantie d'un expérience de consommation très
calibrée, au goût toujours identique : le High Fructose Corn Syrup
n'a pas vraiment le gout du sucre. Il est sucré certes, mais
même mélangé au sirop concentré des arômes
du coca, il laisse un arrière gout très caractéristique.
Pourtant, avec le doublement du coût du sucre "naturel"
importé, il devenait urgent de trouver une parade au risque de voir le
prix du soda augmenter sensiblement et la consommation s'effondrer. C'est
maintenant que nous quittons le domaine de l'histoire officielle pour entrer
dans le domaine parallèle de l'histoire secrète de ce que
d'aucuns considèrent comme la plus grand erreur marketing de
l'histoire, et d'autre le plus grand coup de génie stratégique
jamais imaginé.
Le 23 avril 1985, à grand renfort
de matraquage publicitaire, Coca Cola, pressuré par ses
compétiteurs d'un côté et par le coût des
matières premières de l'autre, introduit le New Coke : un
nouveau soda au cola dont la formule "améliorée",
testée par des armés de techniciens du goût, est
sensée remplacer du jour au lendemain l'ancienne formule qui avait
fait la fortune de la firme d'Atlanta. Passé l'effet de surprise, le
résultat est tout bonnement catastrophique. En quelques semaines, non
seulement les ventes s'effondrent, mais une tempête de protestation
s'empare du pays, des groupes de pressions de consommateurs s'organisant pour
exiger le retour du "vrai" Coca Cola. Ce qu'ils obtiennent en
quelques mois : le 10 juillet, le Coca Cola ancienne génération
est réintroduit sous l'appellation de Coca Cola Classic, le New Coke
restant un temps dans les rayons avant de s'éteindre progressivement
(enfin pas totalement, puisque le Coca Cola Light - Diet Coke en anglais -
est basé sur la formule du New Coke, et n'est pas une version sans
sucre du Coca Cola traditionnel, ce que le Coca zero est désormais).
C'est en tout cas l'histoire officielle.
L'histoire moins officielle, c'est qu'en
introduisant la nouvelle formule du Coca Cola, on était aussi
passé au High Fructose Corn Syrup, en remplacement du sucre de canne.
Présenté avec un nouveau goût, difficile pour le
consommateur de savoir quelle part du goût relevait du changement de
sucre et quelle part de la nouvelle formule gustative. Mais quand le Coca
Cola Classic est réintroduit sous la pression des consommateurs, on
rétablit bien la formule originelle, mais on conserve le sirop de mais
en lieu et place de la canne à sucre. Le consommateur, privé
d'élément de comparaison direct après plusieurs mois de
régime forcé au New Coke, n'y voit que du feu.
Ce n'est pas le cas du visiteur
étranger qui quelques heures après avoir savouré un coca
frais dans l'avion qui le mène aux Etats Unis, commande un soda
équivalent au premier fast food venu et constate d'emblée une
différence de goût prononcée. C'est aussi pour cela que
les Américains en visite à l'étranger se voyant offrir
un Coca Cola découvrent avec étonnement une sensation qui leur
rappelle étrangement leur enfance, celle du Coca Cola d'avant 1985.
C'est enfin également pour cette raison que durant les fêtes de
pâques juive, l'interdiction faite aux pratiquants de consommer du
maïs rend le Coca Cola impropre à la consommation pour la
population juive américaine. A cette occasion, et pour que ces
fêtes ne se passent pas sans soda au cola, la firme d'Atlanta
réintroduit dans les magasins spécialisés une
série limitée de Coca Cola casher, qui n'est autre qu'un Coca
Cola au sucre de canne : les vrais amateurs, juifs comme non juifs se ruent
sur les rayons pour stocker la boisson d'habitude introuvable et retrouver la
vrais sensation du Coca Cola original, qui n'est autre que celui consommé
partout sur la planète en dehors des Etats Unis.
Au bonheur des protectionnistes
Pouvait on trouver démonstration
plus marquante de l'absurdité absolue à laquelle conduisent les
politiques dictées par la satisfaction à courte vue des
intérêts d'un groupe limités de citoyens ou d'entreprises
? Peut on imaginer qu'un pays de 300 millions de consommateurs soit
privé de sa boisson préférée, connue dans le
monde entier et symbole même du pays pour beaucoup, pour satisfaire les
intérêts particuliers d'une poignée de producteurs de
céréales ?
Quant à moi je savoure ici en
France mes derniers verres de Coca avant de traverser l'Atlantique. Inutile
de me plaindre cependant : cette diète forcée n'est pas une si
grande épreuve. Il est en effet une boisson que je préfère
au Coca Cola, une boisson encore plus traditionnelle dans la culture
américaine que celle que les GI avaient emmenés dans leur
paquetage : ce que les américains appelles Lemonade et que nous
appellerions plutôt Citronnade étant donné l'absence de
bulles. Je me réjouis ainsi de ces quelques semaines à venir de
régime citronné, tout en sachant que le Coca Cola, le vrai,
m'attendra toujours à mon retour de ce côté ci de
l'Atlantique. Le lobby français de la betterave sucrière y
veille.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard,
ingénieur et auteur, est Président de l’institut Hayek
(Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog
"Objectif Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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