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Encore un
"guest post", cette fois ci signé Silvère Tajan,
Enseignant à Science Po et chef d'entreprise, que vous avez
déjà lu dans les commentaires de ce blog sous la signature ST - Egalement publié par l'institut
Hayek
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Existe-t-il une
forme de capitalisme sans capital ? On pouvait depuis longtemps
déjà douter que nous vivions dans un monde dominé par ce
que les Anglo-Saxons appellent le "free market capitalism", le
capitalisme de marché libre, car les obstructions incessantes des
gouvernements à la liberté du marché sont largement
documentées. Mais nous sommes désormais en droit de nous
demander si nous n'avons pas tout bonnement quitté la sphère du
capitalisme tout court, tant la formation du capital semble devenue
secondaire dans l'ordre économique moderne, et si la crise dans
laquelle nous nous trouvons plongés n'est pas l'illustration ultime de
cette lente dérive.
La
frontière autrefois solide et étanche entre le capital et la
dette semble s'être peu à peu estompée, devenue au cours
des ans de plus en plus poreuse, jusqu'à voler en éclat au
coeur même de la crise. Le capital, c'est cette part de la richesse
produite que l'on va destiner non à être consommée, mais
à démultiplier la productivité future du travail, de
manière à produire beaucoup plus demain plutôt que de
consommer un peu plus aujourd'hui : ce n'est pas simplement un facteur de
croissance, c'est le facteur de la Croissance.
Quand le
pêcheur attrape un petit poisson avec sa canne à pêche, il
peut le garder pour son déjeuner (le consommer de suite), ou bien il
peut décider de l'utiliser pour attraper un plus gros poisson pour son
diner : ce petit poisson est alors une richesse produite (le pêcheur a
travaillé pour le pêcher), qu'il ne va pas consommer, mais qu'il
va combiner avec du travail (sa pêche de l'après midi) de
manière à produire plus de richesses (le plus gros poisson
attrapé pour le repas du soir). Ce petit poisson est du capital.
La source du
capital est l'épargne : cette part de la richesse produite qu'on ne va
pas consommer de suite. Pas d'épargne, pas de capital, pas de
croissance.
La dette, c'est
un peu la démarche inverse. C'est consommer aujourd'hui la richesse
qu'on n'a pas, et remettre son financement à demain. Si quand on
épargne on s'enrichit, quand on contracte une dette, on s'appauvrit.
Ce n'est que bon sens.
Pour une
entreprise, la dette et le capital ne sont pas la même chose. Le
capital n'est pas remboursable. Il fait partie des fonds propres de la
société. La dette, elle, est exigible. Elle devra être
remboursée. Quand une société augmente son capital, sa
solidité financière augmente : elle est plus riche de cet
apport en capital, qu'elle n'aura jamais à rembourser. Quand une
entreprise emprunte, en revanche, sa solidité financière se
détériore : l'apport financier du prêt (l'argent qui
rentre dans sa trésorerie) est contrebalancé par l'engagement
de rembourser à échéance, et le bilan global est alourdi
négativement par la charge de l'emprunt, c'est-à-dire son coût
: le cumul des intérêts à verser. Bien sûr, si une
entreprise emprunte, c'est qu'elle pense que l'usage qu'elle fera de cet
argent lui rapportera plus que la charge des intérêts
cumulés qu'elle devra verser. Le capital et la dette d'une entreprise
sont deux choses tellement distinctes et opposées, que plus une
société dispose de fonds propres (plus elle a de capital), plus
elle peut se permettre d'emprunter. C'est la preuve évidente que le
capital et la dette ne sont pas substituables. La raison en est simple : la
capacité de remboursement de la dette en cas de pertes varie en
fonction de l'importance du capital. Tant que la perte n'excède pas
les fonds propres, les créanciers sont protégés.
Autrement dit, plus une société dispose d'un capital important,
plus elle peut faire face à un accident de parcours et une perte. A
l'inverse, plus une société est endettée, plus elle
risque de voir un accident de parcours lui être fatal car sa
capacité à faire face aux engagements de sa dette sera
obérée d'autant.
Pourquoi toutes
ces considérations sur la dette et le capital ? Parce que les
développements récents de l'actualité nous donnent
autant d'exemples du manque de discernement entre ces deux notions pourtant
bien différentes voire opposées. Et aucun exemple de ces
errements n'est plus frappant que dans les plans de sauvetage mis en oeuvre
par les Etats comme par les banques centrales pour sauver les banques sur ces
12 derniers mois.
Ainsi, le
mercredi 7 janvier 2009, Nicolas Sarkozy annonçait une nouvelle
rallonge de 10 milliards d'Euros pour aider les banques françaises
dont le bilan attestait d'une très dangereuse exposition au
surendettement : trop de dettes, pas assez de fonds propres. L'annonce de
cette rallonge, moins d'un mois après la mise en oeuvre d'une
première enveloppe équivalente, et après la multiplication
des déclarations sur "l'exceptionnelle santé du
système bancaire français", ne manquait pas de surprendre,
notamment par les termes exacts employés par le Président de la
République : "On leur prêtera des fonds propres pour
qu'elles puissent prêter davantage". Le seul problème,
c'est qu'on ne prête pas des fonds propres. Parce que les fonds propres
sont constitués de capital, et que le capital n'est pas une dette. Par
définition.
Alors, dette ?
capital ? Les deux, mon général ! Par la magie du bon vouloir
étatique, l'apport constitué par ces fonds d'Etats sera
à la fois considéré dans les bilans comme des fonds
propres (on parlera alors de "quasi fonds propres", pour la forme,
mais on les comptabilisera bien comme du capital comptablement), mais restera
bien une forme d'emprunt car exigible et rémunéré, au
taux d'ailleurs exorbitant de 9%. Ces sommes étant exigibles et
faisant courrir des intérêts, elles ne font donc qu'aggraver la
santé financière des établissements concernés,
mais on décrètera qu'on les comptabilisera comme du bon capital
(qu'il n'est pas, d'ailleurs l'Etat ne reçoit pas d'action et les
actionnaires existants ne sont pas dilués). Des gens croupissent en
prison pour des manipulations moins abracadabrantesques sur les comptes
d'Enron, mais on entend toujours réclamer à corps et à
cris que l'Etat mette en place une plus sérieuse régulation,
notamment dans la tenue des comptes des institutions financières ...
Ce tour de
passe-passe verbal et comptable a un autre avantage pour nos gouvernants : il
permet de tenir un double discours absurde et antagoniste. Aux marchés
on dit : "le capital des banques est renfloué, leur
solidité renforcée". Aux électeurs on peut dire :
"ce n'est pas un don, pas une aide, c'est un prêt". Ce serait
même une bonne affaire pour le contribuable prétend Nicolas
Sarkozy dans une émission de télévision : avec un peu de
chance, le contribuable va même gagner de l'argent. La
réalité est diamétralement opposée : la
solidité des banques en question n'est pas renforcée mais au contraire
détériorée, et le contribuable risque d'en être de
sa poche. On a voulu créer une chimère : du bon capital qui
resterait exigible et rémunérateur pour celui qui l'apporte. On
aura accouché d'un monstre : un prêt non exigible et
potentiellement non remboursable.
Et si je m'avance
aussi vite sur le résultat prévisible de l'opération,
c'est qu'elle n'est pas sans précédents, dont les bilans
chiffrés commencent à transparaître. A peu près un
an avant cet épisode francophone, le secteur bancaire américain
était secoué par la même onde de choc, avec des
symptômes équivalents : des banques sous capitalisées et
surendettées, incapables de faire face à leurs
échéances dans un contexte de défaut de plus en plus
probable sur une (grande) partie de leurs créances. C'est à
cette époque, il y a tout juste un an, en mars 2008, que la
Réserve Fédérale américaine poussait dans un vent
de panique la banque JP Morgan à racheter Bear Stearns. Mais
malgré son aide au financement de l'opération, JP Morgan
refusait de récupérer un portefeuille de créances pour
le moins douteuses et d'une valeur faciale atteignant les 30 milliards de $.
Qu'à cela ne tienne, la FED rachetait les 30 milliards de $ de
créances. A cette époque, on put entendre le président
de la Réserve Fédérale, Ben Bernanke, expliquer à
qui voulait l'entendre que l'opération n'était pas un sauvetage
direct ou indirect de la banque, mais une opération financière
saine, et que non seulement la Réserve Fédérale ne
perdrait pas d'argent dans l'opération, mais probablement pourrait en
gagner. En quelque sorte, ils avaient fait une affaire, comme le contribuable
français un an plus tard. Sous la pression d'une partie de la presse
financière, et notamment Bloomberg, la FED vient de publier le résultat
au 31 décembre dernier de cette fantastique oportunité
d'investissement : une perte nette de 28% sur la valeur des prêts
immobiliers commerciaux (dont la bulle vient à peine de commencer
à éclater), et de 38% sur les prêts immobiliers
résidentiels, pour un total de presque 7 milliards de $. Cela laisse
à réfléchir sur les quelques 2000 milliards de $ de
prêts consentis par la FED aux institutions financières, des
prêts adossés sur des actifs probablement aussi douteux.
Depuis des
décennies, nous nous éloignons inexorablement du modèle
libéral fondé sur un capitalisme de marché libre, sur le
marché libre comme outil le plus efficace d'allocation des ressources.
Et nous nous éloignons du capitalisme comme moteur de croissance par
l'accumulation de capital sain issu de l'épargne. Trop longtemps les
libéraux ont concentré leurs critiques sur les entraves au
marché libre (des critiques certes justifiées à des
entraves bien réelles), comme aveugles à l'inexorable et lent
abandon du socle capitalistique de l'économie au profit du
règne de la dette, parfois séduits même par les
sirènes d'un modèle de croissance fallacieuse soit disant
tirée par la consommation. C'est ainsi qu'on a pu à tort
encenser un modèle anglais, irlandais, ou à l'extrême
islandais, dont la réalité de certaines avancées
pourtant timides vers un marché plus libre semblait tirer une
croissance exubérante, financée en réalité par la
substitution de la dette au capital. Ce qu'ils avaient gagné d'une
main en libéralisant leurs marchés, ils l'avaient
sacrifié de l'autre en sabotant le pillier capitalistique de
l'économie libérale.
Tant que nous
n'aurons pas rejeté une fois pour toute le dogme erroné d'une
croissance tirée par la consommation, tout effort de
libéralisation des marchés restera vain. C'est un message qu'il
faut porter haut et fort, avec fermeté et assurance, si l'on veut
espérer que cette crise soit un jour reconnue pour ce qu'elle est
réellement, une crise de l'interventionnisme des états et de
l'excès de dette, et sûrement pas celle du capitalisme et du
marché. Car si cette crise témoigne bien de la défaite
du capitalisme, ce n'est pas parce qu'il faudrait lui en imputer les
échecs actuels, mais au contraire parce que son abandon progressif il
y a déjà bien des années, nous a conduit dans le marasme
où nous sommes plongés.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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