Jacques de Larosière, est un ancien gouverneur de la Banque de France,
l’un des derniers survivants d’un autre temps. Une époque faite de plus de
souveraineté, et de banques centrales plus nombreuses… Il fut également Directeur
Général du FMI. Sa parole est donc importante, et il se transforme ces
derniers jours en « activiste » anti-Draghi… enfin, Jacques de
Larosière, n’est pas genre à se trouver sur le haut d’une barricade à jeter
du pavé de fausse de monnaie sur le gouverneur de la BCE à Francfort. Tout de
même. C’est un grand Monsieur, et son avis doit venir alimenter votre
réflexion, car quand un ancien du FMI et de la banque de France vous explique
que l’on fait n’importe quoi avec les monnaies, et bien cela a le mérite
d’être dit par une « éminence » ayant tous les attributs des
« éminences »… donc forcément c’est « plus sérieux ».
Il y a tout d’abord cette vidéo chez nos amis d’Ecorama que vous pouvez
regarder. C’est assez limpide.
Pour résumer.
Les banques centrales ont tort d’en rajouter ? demande David
Jacquot le présentateur.
« Il faut regarder la situation avec du recul. L’objectif c’est
d’avoir une inflation un peu inférieure à 2 % mais proche des 2 %.
Je conteste la manière de fixer ce taux d’inflation.
C’était il y a 20 ans le taux d’équilibre.
Mais aujourd’hui c’est exagéré. Les populations vieillissent, il y a
donc moins d’inflation, il y a aussi la globalisation qui est très
déflationniste, il y a donc une série de facteurs qui explique que le taux
d’équilibre n’est plus de 2 % mais de 1 %. Il ne faut donc pas être aussi
doctrinaire.
Epousons le taux d’inflation d’équilibre. Ce taux est autour de 1 %.
Trop d’inflation c’est pas bon. Il faut donc la réduire. Mais quand
l’inflation d’équilibre est à 1 % et que l’on veut la porter à 2 % contre les
forces du marché monétaire on est obligé de faire de la suractivité
monétaire.
La politique monétaire négative a des inconvénients.
Elle génère des taux d’intérêt négatifs
des bulles
des entreprise zombies
une incapacité des systèmes de retraite et pension à se financer.
Les inconvénients sont très importants! »
Et bien oui… les taux négatifs ce n’est pas juste le monde merveilleux de
Oui-Oui, cela a des inconvénients évidents et cela crée à longs termes
nettement plus de problèmes que ceux qu’ils permettent de résoudre à courts
termes. Tout le monde le sait.
Pourtant ce qu’il y a de plus pertinent dans l’intervention de de
Larosière, c’est que sans avoir l’air d’y toucher, il appuie de manière très
subtile exactement là où cela fait mal…
Le taux d’inflation symétrique d’équilibre…
Oui, je sais, si comme ça pendant que vous êtes tranquillement en train de
boire votre petit café du matin je vous agresse avec des histoires de taux
d’inflation symétrique d’équilibre, vous risquez de tout recracher, ce qui
serait funeste pour les personnes qui auraient le tort de partager ce moment
avec vous.
Alors, surtout ne vous inquiétez pas, c’est très simple.
Il y a 30 ans on s’est dit « c’est t’y quoi donc à ton avis un taux
d’inflation optimal ? » Plein de mamamouchis très com-pétents se sont
réunis pendant des heures et des heures, et ils ont pondu la règle de 2 %.
2 % d’inflation c’est impec ! Ni trop, ni pas assez, juste ce qu’il faut.
Sauf que pour de Larosière, faire 2 % d’inflation dans un monde
déflationniste c’est débile et c’est un objectif inatteignable, et pour
l’atteindre on fait des âneries.
Donc lui dit très diplomatiquement parlant, « hélas gars, c’est la
déflation, il faut donc ne pas être doctrinaire, et épouser un nouveau taux
d’équilibre »….
Il a raison le Jacquot… quand ça décroît, ça décroît et quand ça veut pas,
ça veut pas…
Lettre ouverte publiée sur Bloomberg
On trouvera ci-après un mémorandum sur
la politique monétaire de la Banque centrale européenne publié vendredi et
signé par les personnes ci-dessous. Jacques de Larosière, un ancien
gouverneur de la Banque de France, a partagé leur jugement. Le texte est
reproduit dans le format original de leur déclaration.
- Hervé Hannoun, ancien premier vice-gouverneur de la
Banque de France
- Otmar Issing, ancien membre du directoire de la BCE
- Klaus Liebscher, ancien gouverneur de la banque
centrale autrichienne
- Helmut Schlesinger, ancien président de la
Bundesbank allemande
- Juergen Stark, ancien membre du directoire de la BCE
- Nout Wellink, ancien gouverneur de la banque
centrale néerlandaise
En tant qu’anciens banquiers centraux et citoyens européens, nous
assistons avec une inquiétude croissante au mode de gestion de crise actuel
de la BCE. La BCE a mené une politique extrêmement accommodante pendant des
années de croissance économique et de stabilité des prix. Le
ralentissement récent de l’activité économique, bien que considéré comme
temporaire par la BCE elle-même, et les risques liés au Brexit et à la guerre
commerciale, ont incité la BCE à reprendre ses achats d’actifs nets et à
réduire davantage le taux de dépôt déjà négatif. En outre, la BCE s’est
engagée à poursuivre sur cette voie extrêmement accommodante pendant un
certain temps encore.
Notre préoccupation concerne en particulier les aspects suivants de la
politique monétaire.
- En octobre 1998, le Conseil des gouverneurs a
annoncé sa définition de la stabilité des prix, à savoir une augmentation
moyenne annuelle du niveau des prix de la zone euro inférieure à
2%. Le Conseil n’a pas du tout changé cette définition dans
l’évaluation de sa stratégie de politique monétaire depuis 2003. Ces
dernières années, la BCE a de facto modifié la définition initiale de la
stabilité des prix en considérant un taux d’inflation de 1,5%, par
exemple, comme inacceptable. Depuis des années, la BCE n’a pas
réussi à atteindre son objectif qu’elle s’était elle-même fixé,
consistant à relever le taux d’inflation de la zone euro à un niveau
inférieur à 2%, ce qui, selon l’interprétation de la BCE, semble être un
«objectif ». La BCE a essentiellement justifié en 2014 sa politique
ultra-souple par la menace de déflation. cependant, il n’y a
jamais eu de danger de spirale déflationniste et la BCE elle-même est de
moins en moins menacée depuis un certain temps. Cela affaiblit sa
logique en visant un taux d’inflation plus élevé. La politique
monétaire de la BCE repose donc sur un diagnostic erroné. L’argument
fréquemment invoqué selon lequel la BCE violerait son mandat avec des
taux d’inflation faibles est tout simplement inexact. Le traité de
Maastricht consacre ce mandat, selon lequel le principal objectif de la
BCE est de maintenir la stabilité des prix.
- Les considérations actuelles sur la définition du
seuil de 2% comme objectif d’inflation symétrique représentent une
rupture nette par rapport à une politique axée sur la stabilité des
prix. Cela est particulièrement vrai si l’on entend la «symétrie»
dans le sens où, après des années de dépassement inférieur à la barre
des 2%, une période similaire devrait être utilisée pour permettre un
dépassement du taux d’inflation de 2%. Et incidemment, comment,
après des années de «politique inflationniste» infructueuse, la BCE entend-elle
convaincre le public et les marchés qu’elle parviendra à enrayer
l’inflation à un certain niveau à temps?
- Il existe un large consensus sur le fait que, après
des années d’assouplissement quantitatif, la poursuite des achats de
titres par la BCE n’aura guère d’effet positif sur la
croissance. Cela rend difficile la compréhension de la logique de
la politique monétaire consistant à reprendre les achats d’actifs
nets. En revanche, il est de plus en plus fondé de
soupçonner que cette mesure repose sur l’intention de protéger les
gouvernements lourdement endettés de la hausse des taux d’intérêt. D’un
point de vue économique, la BCE est déjà entrée sur le territoire du
financement monétaire des dépenses publiques, ce qui est strictement
interdit par le traité.
- Les effets secondaires négatifs des taux d’intérêt
très bas ou négatifs de la banque centrale ont été un problème pendant
assez longtemps. Dans l’intervalle, ces effets sont prépondérants,
comme le souligne la théorie du taux d’intérêt inversé, selon laquelle
l’effet recherché des taux très bas est inversé et devient
contraignant. L’impact négatif de l’environnement à taux d’intérêt
extrêmement bas s’étend du système bancaire à l’ensemble du secteur
financier, en passant par les compagnies d’assurance et les fonds de
pension. Les effets de redistribution en faveur des propriétaires
d’actifs réels créent de graves tensions sociales. Les jeunes
générations se considèrent privées de la possibilité de pourvoir à leur
vieillesse par le biais d’investissements sûrs portant intérêt. La
recherche de rendement augmente artificiellement le prix des actifs à un
niveau qui, à terme, risque d’entraîner une correction abrupte du marché
ou même une crise profonde.
- Des prêts importants à des taux d’intérêt
extrêmement bas maintiennent les banques faibles et – indirectement par
le biais de leurs prêts – des sociétés faibles, à flot. Cela se
fait notamment par le biais d’opérations de refinancement ciblées à plus
long terme (TLTRO), qui ont considérablement augmenté en 2018. Les
effets négatifs importants de taux d’intérêt très bas ou négatifs
incluent également une «zombification» de l’économie qui, selon l’OCDE
et la BRI études, a déjà atteint un niveau considérable dans certains
pays et contribue à une croissance plus faible de la productivité.
- En élargissant et en renforçant ses orientations
prospectives, la BCE s’engage fermement à adopter une politique
monétaire ultra souple pour l’avenir, empêchant ainsi de manière
substantielle la sortie de cette politique.
Il y a dix ans, la politique monétaire de la BCE avait largement
contribué à surmonter la grave récession et à consolider la croissance
par la suite. Cependant, plus la BCE reste sur sa trajectoire
extrêmement accommodante, plus les effets négatifs prévalent. Les
taux d’intérêt ont perdu leur fonction de direction et les risques de
stabilité financière ont augmenté. Plus la politique de taux
d’intérêt extrêmement bas ou négatifs et l’inondation des marchés en
liquidités se prolongent, plus le potentiel de recul est grand. En
cas de crise majeure, les dimensions de celle-ci seront très différentes
de celles que nous avons connues auparavant. Comme les autres
banques centrales, la BCE est menacée de la fin de son contrôle sur la
création de monnaie. Ces évolutions impliquent un risque élevé pour
l’indépendance de la banque centrale – de jure ou de facto.
« En revanche, il est de plus en plus fondé de soupçonner que cette
mesure repose sur l’intention de protéger les gouvernements lourdement
endettés de la hausse des taux d’intérêt »… Et oui Jacques de Larosière
le sait, je le sais, vous le savez.
Le mobile du crime monétaire n’est en aucun cas une histoire fumeuse de
taux d’inflation.
Le mobile du crime est une histoire d’insolvabilité généralisée. C’est
parce que trop d’Etats de la zone euro ont trop de dettes que la BCE doit se
mettre en face pour maintenir les taux bas et éviter l’explosion de la zone
euro via une montée des taux considérable et violente si on laissait faire
librement les marchés.
Nous tournons depuis 10 ans autour du pot, un pot qui ressemble de plus en
plus, en réalité, à un gouffre qui menace de tous nous engloutir.
Il est déjà trop tard, mais tout n’est pas perdu. Préparez-vous !
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Source Bloomberg.com ici