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Il
n’y a pas trente-six manières de décrire le faux calme
actuel qui n’est pas destiné à durer très
longtemps. Seulement trois : les banques centrales sont une dernière
ligne de défense passive ; le désendettement public comme
privé se passe très mal et va longtemps se poursuivre ;
malgré tout, le système résiste avec
opiniâtreté afin que tout tente de rester comme avant.
A
écouter Mario Draghi, en charge de la Banque
centrale européenne (BCE), on croit entendre Jean qui rit et Jean qui
pleure. Un jour, tout va bien ! le lendemain, ce n’est pas si sûr
que cela ! Lui même s’y perd un peu :
« les gens disent que je suis optimiste. Je suis optimiste de
manière relative, comparé à il y a quatre mois, mais je
ne suis pas optimiste de manière absolue, ce serait
prématuré »…
Suivant
ses publics, il adapte son langage, exprimant ainsi les impératifs
contradictoires devant lesquels il se trouve. Quand il s’adresse aux
Allemands, fier dit-il du casque à pointe dont le quotidien Bild l’a affublé dans une
photo-montage, il est toute rigueur et lutte contre
l’inflation. Quand il se tourne vers les autres, il affirme que «
toute discussion sur une stratégie de sortie est
prématurée à l’heure actuelle ». À
tous, il ne peut que réclamer de la patience, car « le plein
impact du soutien de ces mesures non conventionnelles a
besoin de temps pour se déployer et pour avoir un effet positif sur la
croissance des prêts quand la demande repartira ». Abandonnant
son discours précédent, qui prédisait sans délai
cet effet, il entérine au passage l’idée que, s’il
a les moyens d’éviter les grosses catastrophes, il n’a pas
ceux de régler une crise que son collègue de la Banque
nationale du Canada vient de qualifier de « chronique «,
soulagé qu’elle ne soit plus aiguë. Jusqu’à
quand ?
Sur
au moins un sujet, Mario Draghi, ne tient pas de
propos ambigus : ayant un mot de regret à propos du chômage, il
ne voit pour le résorber de possible que « les réformes
structurelles [qui] sont nécessaires pour créer la croissance
à long terme… », avisant dans la foulée que «
le modèle social qui prévaut dans certains pays
européens doit être révisé car il n’est pas
durable ».
De
la Fed à la Banque du Japon et de la Banque d’Angleterre
à la BCE, unE seule certitude demeure dans
le petit monde des banques centrales: il n’y a que la foi qui sauve;
ce qu’elles traduisent par des injections massives de
liquidités, des taux d’intérêts réduits et
des achats directs ou indirects de titres souverains. De mois en mois, elles
se réunissent chacune de leur côté, et la seule question
que se posent à chaque fois les commentateurs n’est pas «
vont-elles revenir sur leurs accommodements ? » – joliment
dénommées mesures non conventionnelles » –
mais « vont-elles ou non relancer leurs programmes d’achat de
titres obligataires ? ».
Car
les banques centrales sont en ce moment au four et au moulin : elles
soutiennent un système financier ainsi que des États qui
marchent de plus en plus en crabe, qui fonctionnent selon un mode
dégradé diraient les informaticiens : il n’est plus
envisageable de laisser le marché exercer seul ses talents. Sans aller
jusqu’à admettre qu’il serait comme qui dirait détraqué,
qu’il ne régulerait plus comme dans le bon temps, trompé
et abusé par lui-même…
Il
faut écouter les banques centrales avec attention, car elles parlent
d’or ! Par exemple lorsqu’il est question de la future
transposition en droit européen des directives de Bâle III, le
supposé fer de lance de la régulation financière qui
régit les normes de renforcement des capitaux propres et de
liquidité des banques. En demandant à cette occasion un peu de
mansuétude, en particulier à l’égard des banques
italiennes. Celles-ci donnent bien du souci en dépréciant depuis
le début de l’année leurs actifs douteux et en accumulant
des pertes, augmentant d’autant leurs besoins de recapitalisation.
L’Autorité
bancaire européenne (EBA), le régulateur des banques, vient
également de le suggérer à sa manière, en rendant
public une simulation des besoins de financement des 48 principales banques
européennes, si elles avaient dû au 30 juin dernier satisfaire
de manière anticipée aux normes de Bâle III qui devront
être respectées dans un an. Le résultat donne idée
du mur devant lequel elles vont se trouver placées, puisqu’elles
auraient dû mettre sur la table 242 milliards d’euros…
On
croit comprendre qu’une certaine souplesse est réclamée
et qu’il ne faudrait pas demander aux banques l’impossible, ce
qui créerait une immédiate crise de confiance sur les
marchés, au cas probable où certaines d’entre elles
n’arriveraient pas à être dans les clous. L’EBA a
assorti sa simulation d’une précision intéressante,
à l’appui de sa démonstration implicite : 20% des banques
étudiées n’atteignent pas le ratio de 4,5% de fonds
propres durs, alors qu’il sera exigé 7%. Sur le front
bancaire, en dépit des largesses de la BCE, de gros nuages sombres se
profilent à l’horizon, car il est toujours douteux que toutes
les banques parviennent à faire face à leurs besoins de
financement.
Si
la BCE parle d’or, Mario Monti parle d’argent. Au retour
d’une tournée asiatique destinée à
intéresser les investisseurs au sort de l’Italie, il a
assuré qu’il « pense à des interventions » en
vue de stimuler la croissance, tout en reconnaissant que ses marges de
manœuvre sont « restreintes », « car il n’est
pas possible d’injecter des fonds publics ». Déplorant par
ailleurs « la souffrance sociale » et les effets récessifs
des mesures adoptées par son gouvernement, indispensables pour
rassurer les marchés.
Il
regrette aussi qu’il ne soit pas possible, dans le contexte de la
récession italienne actuelle et de la nécessité de rassurer
les marchés, de remettre en cause l’objectif de
rééquilibrage des comptes dès 2013, un engagement
ambitieux pris par Silvio Berlusconi, tient-il à préciser. Pour
y parvenir, il fonde ses espoirs sur les résultats de la lutte contre
l’évasion fiscale, afin de dégager des recettes (comme le
gouvernement espagnol), et le maintien à leur niveau des taux obligataires,
qui se sont relativement détendus grâce aux achats des banques
italiennes avec les prêts de la BCE (mais cela, il ne dit pas).
La
fragilité extrême de la situation générale vient
sans attendre d’être illustrée, à l’occasion
de la dernière émission obligataire de l’Espagne à
3, 4 et 8 ans, qui a dû concéder une importante hausse des taux.
Le gouvernement espagnol a accéléré son programme de
refinancement de sa dette pour profiter de l’opportunité
qu’offrent les achats obligataires massifs de ses banques nationales,
rendus possibles par les capitaux empruntés à la BCE à
l’instar de leurs consœurs italiennes, mais un coup
d’arrêt vient d’être porté à cette
tactique : la tension est revenue sur les taux.
Au
Portugal voisin, la perspective de devoir revenir dès 2013 sur le
marché pour se financer a conduit le gouvernement à
prudemment commencer à tester celui-ci. Avec comme objectif non
avoué de démontrer que cela ne sera pas possible, afin
d’obtenir un nouveau soutien qu’officiellement il ne demande pas.
Mais c’est par un autre bout que la situation financière se
détériore. Les valeurs financières ont fait plonger la
Bourse de Lisbonne, en raison de la crainte du contre-coup
espagnol mais aussi de la situation du système bancaire du pays. 12
milliards d’euros sont prévus dans le cadre du plan de sauvetage
en cours de 78 milliards d’euros, mais la somme se révèle
totalement insuffisante au regard des besoins.
Le
FMI vient dévoiler le pot aux roses en recommandant dans un rapport
d’étape sur le plan de sauvetage en cours une rallonge
financière à celui-ci, en raison des « défis
redoutables » devant lesquels le pays se trouve et du «
scepticisme » des marchés, ainsi que des «
développements favorables dans d’autres pays
périphériques » et « un approfondissement de la
récession ». Olli Rehn,
le Commissaire aux affaires européennes, a de son côté
parlé de construire « une sorte de pont » pour quand le
Portugal reviendra sur le marché.
L’Irlande,
prématurément annoncée par certains comme tirée
d’affaire, prévoit une croissance de 0,5% en fin
d’année au lieu de 1,3%, ce qui va nécessiter de
nouvelles coupes budgétaires afin de ramener comme prévu son
déficit budgétaire à 8,6% de son PIB.
Cette
histoire de désendettement à marche forcée ne tient
décidément pas debout, ni les Etats, ni même les banques
à qui il est beaucoup pardonné, n’y parviennent comme
escompté.
Cela
n’empêche pas le déroulement de bagarres souterraines
acharnées sur le terrain de la régulation financière
amenant Michel Barnier, le commissaire au marché unique, à
déclarer qu’il ne se laisserait pas intimider ! Une grande
pagaille est d’ores et déjà instaurée, sur
laquelle il ne va pas être possible de revenir, si l’on
considère les disparités réglementaires qui se profilent
entre les Etats-Unis et l’Europe. Il est déjà acquis que
ce maquis sera le lieu de chasse non gardée de ceux qui voudront
s’affranchir de règles jugées par eux trop contraignantes
en dépit de leur timidité affirmée.
L’heure
est à la résistance sur le terrain de la régulation
financière et à l’offensive sur celui des réformes
structurelles censées permettre de renouer avec la
compétitivité et la croissance salvatrice !
A
ce propos, Robert Reich, ancien secrétaire d’État au
travail de l’administration Clinton, démontrait
dernièrement dans les colonnes du Financial Times comment les
bénéfices de la croissance américaine profitaient
exclusivement aux plus riches. Préparant les prochaines
élections législatives, le ministre grec des finances, Philippos Sahinidis, membre du
Pasok, vient de son côté de soudainement découvrir que la
réduction des salaires « ne résout pas le problème
de la compétitivité »… Curieux rapprochement !
Billet rédigé par
François Leclerc
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