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L’antienne
est désormais connue: il faut faire la chasse aux paradis fiscaux. Ces
îles aux noms exotiques et ces micro États nichés au
cœur même de notre belle Europe doivent impérativement
cesser la concurrence fiscale déloyale qu’ils nous
mènent. Mais derrière ces providentiels coupables, les
États européens continuent à se « tirer la
bourre » à coups de régimes spéciaux et
d’exonérations. Le vrai péché des paradis fiscaux
serait-il leur manque de discrétion ?
Prenez
l’exemple de la Belgique, qui accueille à bras ouverts les
français fortunés, trop heureux de ne pas y subir l’ISF
français. À bien des égards, elle peut être
qualifiée de paradis fiscal. Pas pour tout le monde, certes. Mais
certaines activités y bénéficient d’un traitement
plutôt favorable. Y revendre des valeurs mobilières avec une
plus-value n’y est pas imposable pour les particuliers. Pas plus que la
plus-value encaissée lors de la revente d’un bien immobilier
plus de cinq ans après son achat. Mais la mesure la plus amusante,
celle qui en fait un véritable paradis fiscal, c’est la
« déduction fiscale pour capital à risque »,
plus connue sous le nom d’intérêts notionnels.
Un peu d’histoire
Avant de vous
expliquer en quoi consiste cette mesure, faisons un bref retour en
arrière. En décembre 1982, un arrêté royal accorde
aux « centres de coordination » des multinationales un privilège fiscal
considérable. Sans entrer dans les détails, ce régime
permet aux sociétés multinationales de créer en Belgique
une sorte de « banque » dont l’activité
principale consiste à centraliser les flux financiers entre les
diverses entités du groupe. En gros, les entreprises du groupe
prennent des participations dans le centre de coordination et en retirent des
dividendes exonérés d’impôts. Quand elles ont
besoin d’argent frais, elles empruntent de l’argent à ce
centre, qui leur compte des intérêts, eux aussi fiscalement
déductibles. Les impôts payés par les centres de
coordination sont ridiculement peu élevés et basés non
sur les bénéfices de ces centres, mais sur leurs frais de
fonctionnement, déduction faite des charges financières et des
charges de personnel (cette dernière déduction était
censée stimuler l’emploi), bref, en gros, sur les loyers et les
photocopieuses. Plusieurs centaines de multinationales se ruent bien entendu
sur l’occasion.
Fin de la récréation
En 2000, soit
près de 20 ans plus tard, la Commission européenne
s’émeut de cette concurrence fiscale déloyale et met la
Belgique en demeure de mettre fin au régime des centres de
coordination. En 2003, elle finit par « se fâcher
vraiment » et « exige » le
démantèlement du système. Démantèlement en
douceur, puisque la Belgique compte toujours en 2011 quelques centres de
coordination agréés. Par exemple celui de la multinationale
Nestlé, qui affichait en 2010 un bénéfice comptable
de 140 921 619 euros, générateur d’un impôt sur le
résultat de … 565 euros. Quant à l’excuse de la
création d’emploi, elle paraît un peu faible : 12
« équivalents temps plein ».Vous avez dit
« paradis fiscal » ? Pourtant, les discussions
à ce sujet restent dans le cadre feutré des cénacles et
on entend assez peu de diatribes sur la Belgique dans le G20. Tout au plus
une vague menace de la placer sur une « liste grise »,
menace que la Belgique a rapidement écarté en signant quelques
accords d’échanges d’informations fiscales avec
d’autres pays. Cela dit, le système est moribond. Certains
centres de coordination ont déjà plié bagages. Pour
retenir les autres, la Belgique devait donc trouver une solution.
Vous avez dit
« notionnels » ?
En 2005, la
Belgique décide donc de se doter d’un nouveau système,
histoire de retenir les entreprises qui avaient été
attirées sur son territoire par le régime des centres de
coordination : celui des « intérêts notionnels ».
Pour éviter de se faire taxer de concurrence déloyale, le
système est cette fois ouvert aussi bien aux entreprises belges
qu’aux multinationales. Il s’agit de permettre aux
sociétés établies en Belgique de déduire de leur
base imposable un intérêt fictif calculé sur le total de
leurs fonds propres, moyennant quelques petits rajustements
cosmétiques. La propagande
officielle n’hésite d’ailleurs pas (page 4 du document
en lien) à insister sur le fait qu’il s’agit de « pallier à (sic) la
disparition progressive du régime spécial des centres de coordinations »
en leur offrant « de nouvelles perspectives fiscales ».
Bref, persister et signer.
Un paradis ? Pas pour ses
habitants…
La plupart des
paradis fiscaux ne sont des paradis que pour les étrangers. Chaque
État continue assez logiquement de taxer ses
« captifs » - population et entreprises locales –
comme bon lui semble, en général plutôt lourdement dans
le cas de la Belgique. D’après une récente étude
menée par le magazine économique belge Trends/tendances, les intérêts notionnels profitent
beaucoup plus aux multinationales et aux très grosses entreprise
belges qu’aux PME, qui constituent pourtant près de 99% des
entreprises du pays et sont responsables de près de 80% des emplois.
Les intérêts notionnels ont adouci leur sort, puisqu’au
lieu du taux officiel de 34%, elles paient dorénavant 21%
d’impôts. Mais leurs « grandes
sœurs », elles, ont carrément réduit leur taux
d’imposition à 12%. Un taux qui explique que la Belgique soit
toujours un paradis fiscal sans, apparemment, encourir l’ire de ses
voisins. En fin de compte, et comme toujours, la machine fiscale
s’avère particulièrement injuste avec ses propres
citoyens et ne bénéficie qu’aux entreprises
internationales les plus grosses et les plus mobiles. Et malgré la
crise, les restrictions budgétaires et les discours sur les
méchants fraudeurs fiscaux et les paradis où ils placent leur
épargne, les actes restent identiques. Les « petits »
paient le gros de la facture fiscale. Une vraie évolution serait de
supprimer toutes les niches fiscales comme les intérêts
notionnels et les centres de coordination et de diminuer en contrepartie le
taux d’imposition. La mesure profiterait à tous, et relancerait
plus sûrement l’économie que toutes les dépenses
gouvernementales et tous les régimes fiscaux d’exception.
Malheureusement, loin de vivre dans un monde
« ultra-libéral », nous vivons dans un
régime de « capitalisme de connivence », ou
politiciens et multinationales continuent à se partager la manne
fiscale payée par la majorité de la population.
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