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Le
texte ci-dessous est paru dans Le
Figaro des samedi 23 et dimanche 24 juin 1973.
Il fait le point sur la remise en cause, alors, des relations entre
l'inflation et le chômage par des économistes.
Après les erreurs de la "théorie de la valeur
travail" de K. Marx, il y avait eu l'hypothèse facétieuse
de J.M. Keynes (1936) - au terme de laquelle il y aurait bien une demande de
travail mais il n'y aurait pas d'offre de travail sur le marché du
même nom - et, quelques temps plus tard, une prétendue relation
économétrique entre le taux de variation des salaires nominaux
et le taux de chômage (Phillips,
1958).
Mais la remise en question restera lettre morte en France, comme on le verra
ensuite ci-dessous, et ce seront les résultats désastreux qu'on
sait et à quoi on ne pouvait que s'attendre dès lors qu'on
était parvenu à se sortir des rets précédents..
Les rapports entre
inflation et chômage
remis en cause aux
Etats-Unis.
André F. MARTIN.
Vingt-cinq économistes américains, réunis
récemment par le «Center
for Research in Government Policy and Business» de
l'université de Rochester, ont remis en cause la liaison
généralement admise entre le taux de chômage et le taux
d'inflation.
Constatant qu'aux Etats-Unis, la hausse des prix est actuellement de l'ordre
de 6% par an tandis que le nombre des travailleurs sans emploi se maintient
autour de 5% de la population active, ces experts ont déclaré
à l'issue de leurs travaux qu'ils étaient enclins à
reconnaître l'existence d'un chômage
«naturel»correspondant à un équilibre entre l'offre
et la demande de main d'oeuvre.
Avant cette révision d'idée, ils pensaient au contraire,
conformément à la théorie de Keynes, qu'il est possible
d'atteindre le plein emploi si l'on accepte un certain taux d'inflation.
Les conclusions du colloque de Rochester vont à l'encontre de la
thèse avancée en 1958 par le professeur A.W. Phillips de la
London School of Economics suivant laquelle le taux de croissance des
salaires nominaux augmente quand le taux de chômage diminue.
L'économiste britannique se fondait sur l'observation du mouvement de
l'emploi et des salaires en Grande-Bretagne au cours des cent
dernières années.
Durant cette période, chaque fois que le taux de chômage est
inférieur à 5% environ, les salaires tendent à
s'élever au-dessus du niveau compatible avec la stabilité des
prix.
Dès que la capacité de l'appareil de production est
utilisée à plus de 80-85% et qu'une pénurie de main
d'oeuvre apparaît, les tensions inflationnistes se renforcent.
En deçà d'un certain taux de chômage, qui est lié
à l'accroissement de la productivité, une poussée des
salaires se produit, engendrant une inflation des coûts.
Souvent exprimée graphiquement, la relation de Phillips a donné
naissance à une«courbe» célèbre dont
l'étude figure en bonne place dans les manuels d'économie.
La réunion de Rochester obligera les auteurs de ces ouvrages à
allonger les notes consacrées à la contestation de la courbe de
Phillips.
Dès 1967, Milton Friedman, le célèbre chef de file de
l'école monétariste, exprimait l'opinion que la fonction
décrite par Phillips n'avait qu'une valeur provisoire, limitée
au court terme.
Lui aussi retenait déjà la notion de chômage naturel et
il considérait que celui-ci est déterminé par des
facteurs non financiers tels que le degré de syndicalisation des
salariés, l'élasticité du marché du travail et
l'information sur l'embauche.
Selon Friedman, le «taux naturel» de chômage n'est pas
fixé une fois pour toutes, mais il n'est pas possible de le
réduire en augmentant le taux d'inflation dans le cadre d'une
politique économique expansionniste.
Dans les conditions propres aux Etats-Unis actuellement, le taux naturel de
chômage serait de l'ordre de 5%, chiffre effectivement
enregistré au cours des dernières années et dont la
stabilité contraste avec les variations importantes du taux
d'inflation de 3 à plus de 6%.
Si le chômage est ramené au-dessous du «taux
naturel», l'inflation s'accélère, estiment Friedman et
les autres adeptes de la
théorie«accélérationniste».
En Angleterre, au moment où le professeur Phillips dessinait sa
courbe, le taux de chômage permanent que celui-ci jugeait
irréductible pour autant que la stabilité monétaire
devait être préservée s'élevait à au moins
2,5% (le taux de croissance de la productivité s'établissant
dans le même temps à 2% par an).
Dans son ouvrage L'Equilibre
et la croissance économique, Lionel Stoleru, commentant la
fonction de Phillips, fait remarquer qu'en France la«stabilité
des prix», c'est-à-dire une hausse annuelle de l'ordre de 2% , impliquerait un taux de chômage de 3,3% de la
population active, soit à l'époque 600.000 chômeurs,
situation « socialement inacceptable » estime l'auteur.
Inversement, ajoute-t-il aussitôt, le plein emploi devrait
s'accompagner d'une inflation de 7 % par an.
Certains défenseurs de la «politique des revenus»,
notamment en Grande-Bretagne, se sont souvent référés
à la thèse du professeur Phillips pour convaincre les
responsables politiques que, dans la mesure où l'inflation
résulte d'une hausse des salaires supérieure à ce qu'autoriserait
la hausse de la productivité, une certaine quantité de
chômeurs était nécessaire pour freiner l'inflation.
Ce point de vue s'opposa totalement à celui des économistes
«néo-keynésiens» et des dirigeants des syndicats
ouvriers qui estiment au contraire que le sous-emploi résulte
essentiellement d'une insuffisance de la demande et qu'on peut donc y
remédier par des moyens budgétaires.
Comme les autres économistes qui avaient déjà
critiqué les théories de Phillips, les experts
rassemblés sous l'égide du «Center for Research in
Government Policy» ont pour la plupart admis qu'elles restaient
valables à l'intérieur d'une courte période.
Dans ce cas-là, le rapport entre emploi et inflation
découlerait du fait que les salariés auraient l'illusion que
leur salaire réel a augmenté.
Aussi longtemps que cette idée fausse persiste, ils continuent de
travailler pour un salaire inférieur à celui qu'ils croient
percevoir.
Keynes et d'autres auteurs avaient d'ailleurs souligné cette
«illusion monétaire» des salariés se souciant bien
davantage de la valeur nominale de leurs salaires que du pouvoir d'achat
véritable qu'ils représentent.
La remise en cause des rapports entre le chômage et l'inflation ne peut
manquer d'avoir de profondes répercussions sur la conduite de la
politique économique si les conclusions du colloque de Rochester
s'avèrent fondées.
Les mesures fiscales et monétaires expansionnistes dont l'effet
inflationniste n'est guère contesté, mais qui n'en sont pas
moins recommandées comme moyen de relever le taux de l'emploi,
pourraient apparaître comme de simples palliatifs.
La seule manière d'obtenir non pas une baisse temporaire du
chômage, mais une situation de plein emploi permanent consisterait
à entreprendre une réforme structurelle du marché du
travail garantissant la possibilité d'une confrontation
immédiate de toutes les offres et de toutes les demandes.
La question de savoir si cette réforme technique n'est pas aussi une
réforme politique demeure posée."
Puis émergea le concept de
N.A.I.R.U., pour "nonaccelerating inflation rate of
unemployment", i.e. "taux de chômage en inflation non
croissante".
Sous l'effet des politiques économiques éclairées par
ces théories erronées (cf. en particulier ce
billet) et non pas par la remise en question précédente,
jusqu'à aujourd'hui inclus, en France, se développa le
chômage.
Il vient même, officiellement, de dépasser trois
millions de personnes.
Selon l'I.N.S.E.E., en moyenne sur le deuxième trimestre 2012, le taux
de chômage au sens du B.I.T. s’établit à 10,2% de
la population active en France (y compris D.o.m.) (cf. graphique ci-dessous).
Pour la France métropolitaine, avec 2,8 millions de personnes au
chômage, le taux de chômage s’élève à
9,7%.
En hausse de 0,1 point par rapport au premier trimestre 2012 et après
une progression de 0,2 point par rapport au quatrième trimestre 2011
(chiffre révisé), il se situe à son niveau de 1999.
Graphique
Taux de chômage au
sens du B.I.T.
2003-2012
Plus généralement en France métropolitaine, 3,5 millions
de personnes ne travaillent pas mais souhaitent travailler, qu’elles
soient ou non disponibles dans les deux semaines pour travailler et
qu’elles recherchent ou non un emploi.
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