Sous des
apparences placides, au vu du reste de l’actualité, la situation
européenne est en réalité vibrionnante. Un nouveau
compte à rebours est en cours, qui conduit au 11 mars prochain, date
du sommet de la zone euro, précédant celui des 24 et 25 mars de
l’Union européenne.
Une autre
échéance, moins spectaculaire mais autant attendue, va
être la publication des éléments de méthodologie
des nouveaux stress test des banques, le 2 mars prochain, dont les
résultats devraient être connus en juin prochain. L’enjeu
étant de savoir si tous les résultats seront rendus publics,
notamment la partie concernant les liquidités des banques (les
Allemands s’y opposant).
En ces
diverses occasions, le tour de la crise européenne devrait donc
être fait : dette publique, solidité des banques,
différences de compétitivité à
l’intérieur de la zone euro, dont il est expliqué
qu’elles sont à l’origine de tout et qu’il faut y
remédier au forceps. Il n’est hélas pas prévu de
rendre public une méthodologie du calcul de la compétitivité,
ce qui serait pourtant bien utile.
Dans cette
attente, les Portugais résistent toujours, ne voulant pas avoir
à choisir entre la peste et le choléra, la dictature du
marché ou celle des plans de sauvetage européens. Ils fondent
leurs espoirs dans l’éventuelle adoption d’un renforcement
du fonds de stabilité européen (EFSF), pourtant peu probable
dans le contexte actuel, espérant que le fonds puisse prendre la
succession de la BCE et intervenir sur le marché obligataire pour
acheter à bon compte les titres de dette que le gouvernement va devoir
émettre. Ses chances sont ténues.
Rainer
Brüderle, le ministre allemand de l’économie, vient en
effet de préconiser un nouveau mécanisme financier, qui aurait
pour effet d’accroître les capacités de prêt de
l’EFSF sans mettre davantage à contribution ses membres,
proscrivant toute autre disposition. Avec comme contre-partie que les taux de
ses prêts augmenteraient au fur et à mesure qu’ils
seraient attribués, en totale contradiction avec la négociation
qui va devoir être engagée par le nouveau gouvernement irlandais
de coalition – si le Fine Gael et le Labour parviennent à
s’entendre – qui va au contraire prioritairement porter sur la diminution
du taux des prêts.
Le
gouvernement allemand n’est donc pas à une esquive près,
ce qui laisse mal augurer des résultats du prochain sommet du 11 mars.
D’autant que le compromis proposé par Herman van Rompuy et
José Manuel Barroso, à propos du pacte de
compétitivité germano-français recalé sous les
tollés à la précédente rencontre, n’est pas
assuré d’être accepté. A force d’adoucir les
angles afin de rendre acceptable ce qui ne l’était pas, ce
nouveau projet de pacte pourrait ne plus convenir aux Allemands.
Les
dispositions les plus décriées ont donc été
supprimées de celui-ci, à propos de l’indexation des
salaires et de l’augmentation à 67 ans de l’âge du
départ à la retraite, ou du dépassement des normes de déficit
budgétaire et de dette publique. Il est question dans le nouveau
projet d’une « modération salariale »
« en ligne avec la productivité », de
réformer les marchés du travail et de
« transférer l’imposition du travail vers la
consommation », de veiller à la
« soutenabilité des systèmes de retraite et de
prestations sociales » et d’adopter des mécanismes de
« frein à la dette », chaque pays conservant le
choix des moyens utilisés pour y parvenir ». Enfin, dans le
domaine fiscal, il est proposé de « développer une
assiette fiscale commune pour les impôts sur les
sociétés ».
Initialement
écartée du dispositif, La Commission de Bruxelles, serait donc
réintroduite dans le jeu et le pacte serait élargi
au-delà de la zone euro, afin de ne pas prêter le flanc à
l’accusation de construire une Europe à deux vitesses.
Dans un
article ne s’embarrassant pas de nuances, Wolfgang Münchau,
l’un des chroniqueurs du Financial Times et de sa déclinaison
allemande (le FT Deutschland), expliquait dès hier qu’il faut
dire non à ce projet. Parce qu’il est fondé sur une
analyse erronée de la crise européenne et des moyens de la
régler, et que l’accepter reviendrait à reculer pour plus
tard mieux sauter, dans des conditions devenues plus difficiles.
Ne
mâchant pas ses mots, il écrit : « Ce
n’est pas une crise fiscale. Ce n’est pas une crise du Sud.
C’est une crise du secteur privé et des banques
sous-capitalisées. C’est davantage une crise allemande
qu’espagnole. Le reconnaître doit être le point de
départ de toute solution. Un veto en mars prochain serait le premier pas
pouvant préluder à une solution de la crise ».
Mario Draghi
– gouverneur de la banque d’Italie et candidat à la
succession de Jean-Claude Trichet à la tête de la BCE –
pourrait lui avoir involontairement donné raison en donnant un conseil
appuyé aux banques italiennes, à qui tout le monde accordait un
brevet de sagesse et un certificat de bonne conduite. Il les a
pressées d’augmenter en vitesse leurs fonds propres avant la
tenue des tests de solidité des banques. Car elles sont en
réalité plus faibles que prévu, en dépit de
certains accommodements avec le Bon Dieu, qui leur ont permis
d’inscrire comme actifs dans leurs livres des différés
d’impôts…
Cette
recommandation ne fait pas l’affaire des actionnaires des grandes
banques italiennes, souvent des banques régionales, qui ne peuvent pas
suivre et ne veulent pas être diluées. Alors que des fonds vont
être prioritairement affectés au rachat des parts libyennes dans
UniCredit, qui font désormais désordre (dans des conditions qui
risquent d’être rocambolesques).
Les banques
italiennes ne sont pas seules en cause. Moody’s vient encore de frapper
en Espagne, après voir fait de nouveaux petits calculs ; il en
ressort que c’est au bas mot cinquante milliards d’euros –
et non vingt, comme annoncé par le gouvernement – qui devraient
être nécessaires pour remettre à flot les Cajas. Pour
accréditer cette prédiction, la banque d’Espagne vient de
reconnaître que cent milliards d’euros d’actifs immobiliers
étaient problématiques. D’autres types d’accommodements,
sous forme de constitution de bad banks aux frais de l’Etat y
pourvoiront-ils ?
Enfin, on
attend les audacieux dénonciateurs de l’insolvabilité des
Landesbanken, que le gouvernement allemand continue de masquer pour ne pas
avoir à les renflouer, ce qui annihilerait sa vision d’une
Europe minée par la mauvaise gestion des uns et l’absence de
compétitivité des autres. Il est des réveils qui
risquent d’être difficiles !
S’il est
des bouchons qui doivent sauter, Il est aussi des tabous qui vont avoir du
mal à être respectés. Thomas Mirow, le président
allemand de la Banque européenne pour la reconstruction et le
développement (BERD), vient d’admettre qu’« un
ratio de dette de 160% du PIB est insoutenable », pour justifier
la nécessité de réduire la dette grecque. Au fur et
à mesure que de nouvelles lignes de défense sont construites,
les précédentes se défont par derrière.
Les faits sont
têtus et résisteront aux plans qui prétendent les
ignorer.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
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