C’est important ! Je vous avais déjà parlé de cette information, mais je
reviens encore dessus en insistant lourdement, notamment en faisant le lien
avec les élections italiennes et la fin des négociations sur le Brexit. C’est
cela qui est joué aussi dans ce pari à 22 milliards qui n’est pas des
moindres.
Le monde va-t-il au-devant d’un krach financier majeur ? Si tout le monde
le pense, les salles de marchés les premières, reste à savoir quand il
surviendra. Ray Dalio, connu pour avoir anticipé la crise de 2008, vient de
miser 22 milliards de dollars sur un krach dans les 12 à 18 prochains mois.
Retour sur des prédictions peu réjouissantes.
Que peuvent bien avoir en commun le géant anglo-néerlandais de l’agroalimentaire
Unilever, l’assureur allemand Allianz, le concepteur italien de vêtements de
ski Moncler ou encore le pétrolier français Total ? Ces entreprises ont
toutes fait l’objet d’opérations de vente à découvert (ou «shorting» – le but
étant de vendre un titre boursier emprunté à un moment où sa valeur est haute
en espérant pouvoir le racheter moins cher plus tard) de la part du plus
grand fonds spéculatif du monde, l’américain Bridgewater Associates.
Si l’information en soi n’a rien d’exceptionnel, le montant de l’opération
ainsi que la réputation de Bridgewater dans le monde de la finance changent
la donne. Ainsi, d’après les informations de l’agence Reuters, le montant
total des récentes prises de position du fonds d’investissement américain
contre des entreprises du vieux continent avoisinerait les 21,6 milliards de
dollars.
Notons toutefois que malgré le fait que certaines informations soient
accessibles grâce à la législation européenne, qui suite à la crise
financière de 2008, oblige au-delà d’un certain seuil les acteurs des marchés
à tenir informés leurs régulateurs de leurs opérations de ventes à découvert,
la réelle étendue des prises de position du hedge fund US dans les
entreprises du vieux contient demeure inconnue. Refusant de commenter les opérations
de trading de Bridgewater, un investisseur de Pure Alpha (le fonds vedette de
la société), se contentera de répondre à l’agence de presse britannique
qu’ils avaient considérablement réduit leur exposition aux marchés actions
européens cette année.
Bien qu’il le comprenne « fondamentalement », Pierre Sabatier, président
fondateur du cabinet indépendant de prospectives économiques et financières
PrimeView, estime ce pari « risqué ».
« Il faudrait voir la nature de cette prise de position. Aujourd’hui, une
prise de position tactique, ce n’est pas très difficile, on aurait pu l’avoir
sur l’Europe comme aux États-Unis, tout simplement parce qu’après une hausse
des marchés actions de 45 % depuis le mois de juin 2016 sans aucune
respiration, la probabilité de connaître une respiration d’au moins 5 % […]
est très forte.
La question de fond c’est : est-ce que c’est un pari qui sous-tend un
changement de paradigme – l’environnement de marché change fondamentalement
et du coup maintenant tout le monde va se mettre à “shorter” les marchés
[“vendre à découvert”] – ou est-ce que c’est un pari tactique qui vient
simplement d’un excès accumulé jusque-là et qui va être corrigé ? »
Quant à la réputation de Bridgewater, son fondateur et directeur n’est
autre que Ray Dalio. Ce milliardaire philanthrope, quelque peu excentrique,
est devenu une véritable célébrité dans le monde de la finance depuis qu’il a
su anticiper la crise de 2008. Un fait d’armes qui lui permit de hisser son
fonds spéculatif au sommet en termes de profitabilité, détrônant Georges
Bridgewater est aujourd’hui un titan qui pèserait près de 160 milliards de
dollars d’actifs. Pour ces raisons, ce « big-short » de Ray Dalio sur des
valeurs européennes interpelle bon nombre d’investisseurs et d’acteurs des
marchés financiers, qui s’interrogent sur les motivations qui expliquent un
tel positionnement.
Car l’Europe traverse une embellie économique. D’ailleurs, comme le souligne
Bloomberg, le positionnement adopté par Bridgewater vis-à-vis des entreprises
européennes ne fait pas consensus parmi les fonds spéculatifs. L’agence de
presse financière met ainsi en avant les cas de Renaissance Technologies et
de Kenneth Griffins, qui ne sont « short » que pour respectivement 42
millions et « moins de 2 milliards » de dollars sur les entreprises
européennes pour relativiser l’inquiétude suscitée par Ray Dalio. Une
inquiétude pourtant partagée par une partie de la presse française, pour qui
les dés sont jetés : l’Europe va au-devant d’un krach !
« Trop tôt », estime cependant Pierre Sabatier, qui souligne la bonne
forme des marchés, tous secteurs économiques confondus. Des marchés soutenus
tous azimuts par les banques centrales et ayant du mal à satisfaire la
demande.
« Pour qu’il y ait un krach, il faudrait qu’il y ait restriction de
liquidités, aujourd’hui il y a énormément d’argent qui vient s’investir sur
le marché […] aujourd’hui la problématique des marchés financiers, c’est que
finalement il y a peu d’offre de papier, d’offres capables de capter
l’épargne disponible et il y a beaucoup d’épargne à investir. »
Une abondance d’argent, une production qui n’est plus en mesure de
satisfaire l’accélération de la demande, le tout sur fond d’endettement
record des ménages. Des éléments clairement annonciateurs d’une fin de cycle
économique comme l’expliquait Ray Dalio dans une note publiée sur Linkedin le
12 février.
« C’est pourquoi il n’est pas inhabituel de voir des économies fortes
s’accompagner d’une chute boursière et des prix d’autres actifs, ce qui est
curieux pour les gens qui se demandent pourquoi les actions diminuent quand
l’économie est forte et ne comprennent pas comment cette dynamique fonctionne
», relevait-il.
Face à cet emballement des prix – « tout est cher » comme le relève
Pierre Sabatier – les Banques centrales seront forcées de relever leurs taux
directeurs afin de couper court à une inflation galopante, une fin de «
l’argent facile » inversant la tendance sur les marchés.
Une perspective qui, si elle ne réjouit pas les banques, ferait les beaux
jours des fonds baissiers qui – comme Bridgewater – ont commencé à
sortir de leur torpeur depuis l’été dernier, de plus en plus de leurs clients
partageant une vision pessimiste de l’évolution des marchés actions à court
et moyen terme.
Si leurs détracteurs ne veulent pas croire au fait que le marché actions
soit à son plus haut, pointant du doigt la « banalité » d’un tel argument,
les fonds qui essuient des résultats négatifs dus à leurs « short » (les
pertes étant sans limites dans un tel cas) brandissent la carte de la
patience, expliquant qu’avant de se retourner, le marché actions pourrait
encore connaître une nouvelle poussée.
Cependant, Ray Dalio montre une certaine inquiétude face à cette crise qui
s’annonce. Selon lui, les sociétés sont aujourd’hui bien moins armées qu’en
2008. Tout d’abord économiquement parlant, avec des banques centrales qui ont
conservées depuis la dernière crise des taux directeurs particulièrement bas
et qui ont eu largement recours au quantitative easing (opérations de rachat
d’obligations, de titres douteux, afin de soutenir ou garantir les banques).
Ainsi, les autorités monétaires auront moins de leviers sur lesquels jouer
afin de restimuler l’économie en cas de décrochage. Puis, socialement
parlant, avec un fort écart entre riches et pauvres susceptible de provoquer
de fortes tensions dans la population.
Paradoxalement, le dirigeant de Bridgewater se montre plus confiant
concernant les niveaux de vulnérabilités des économies, dû aux mesures de
contrôles mises en place par les marchés et les gouvernements depuis
2008-2009.
Cependant, ce positionnement de Bridgewater contre des valeurs européennes
annonce-t-elle un krach financier en Europe ? En réalité, celles-ci
pourraient viser un tout autre marché. En effet, si les analystes s’accordent
de plus en plus sur l’imminence d’une crise, tous pointent du doigt les
États-Unis, ce qui est également le cas de Pierre Sabatier qui
souscrit – dans ce cadre – à l’horizon de 12-18 mois avancé par Ray
Dalio.
« Aux États-Unis, on est proche d’une fin de cycle, du fait des niveaux de
dettes émises, qu’elles soient publiques, mais plus encore privées à travers
les crédits à la consommation que les ménages souscrivent. Une grosse partie
de la croissance générée jusque-là est financée à crédit. Plus on s’approche
de la fin de cycle, plus la probabilité pour que la distribution de crédits
reste aussi importante que par le passé et continue de soutenir la croissance
va diminuer. »
Par ailleurs, comme le souligne le Financial Time, « dans de
nombreux cas » les entreprises « shortées » par Bridgewater « ont une
exposition beaucoup plus économique au reste du monde qu’en Europe ». En
clair, si Ray Dalio mise contre certaines entreprises européennes, ce n’est
pas par rapport à leur place sur le marché européen, mais plutôt à leur
dépendance vis-à-vis du marché américain ou international.
Le journal financier reprend ainsi l’exemple de Moncler, le fabricant de
doudounes, celui-ci réalise en effet près de 40 % de son chiffre d’affaires
en Asie contre 14 % en Europe. Un profil d’exportateur que l’on retrouve chez
d’autres entreprises qui ont attisé l’intérêt du fonds spéculatif américain,
comme Airbus. Un cas sur lequel revient Pierre Sabatier, soulignant
l’appréciation de l’euro par rapport au dollar.
« C’est une entreprise qui est amenée à souffrir d’un euro plus fort que
par le passé, c’est le premier pari qu’ils font. »
Au sommet de ce panel européen de sociétés visées par Bridgewater, la
moitié du DAX allemand (pour 7,3 milliards), ainsi que des entreprises
françaises (4,5 milliards) ou encore italiennes (3 milliards).
Parmi elles, si on retrouve des « blue-chips » (en référence à leurs
cotations et grande qualité); on retrouve la Deutsche Bank, qui fait face à
un nombre record de procédures juridiques ou également des banques
italiennes, comme Intesa Sanpaolo. Des banques italiennes « gangrénées par
les créances douteuses » comme le rappelle Pierre Sabatier, s’attardant sur
certaines spécificités de l’économie italienne.
« Au moindre ralentissement économique, les premiers à souffrir sont – de
manière évidente – l’Italie, en plus de l’hétérogénéité de la zone euro
– qu’on a déjà largement commentée par le passé. »
L’expert souligne toutefois que jouer contre certaines banques de la zone
euro revient à jouer contre la Banque centrale européenne (BCE) et son panel
d’outils monétaires. Pour lui, peu de chance que la BCE lâche les banques
italiennes.