Je ne pensais pas écrire le moindre billet sur la pathétique histoire qui secoue actuellement la vie sociale française : à vrai dire, les expulsions de famille d’immigrés clandestins sont des non-événements depuis des années que la droite et la gauche les pratiquent avec une discrétion aléatoire. Mais les développements rocambolesques de l’affaire m’obligent tout de même à quelques commentaires.
Et puis, il y a aussi une question de rythme. Je suis seulement humain et il faut une santé de hors du commun pour suivre le rythme affolant de crétineries que la politique française nous offre tous les jours, plusieurs fois par jour, avec ce mouvement de balancier rapide que seuls affectionnent vraiment les cocaïnomanes en manque ou les enfants en bas-âge sur des petits chevaux à bascule. Et je n’exagère pas puisque l’affaire « Léonarda » offre à présent des rebondissements multi-quotidiens qu’un billet ne pourra jamais ni décrire, ni analyser.
Compte-tenu de la déferlante médiatique assez consternante qui aura accompagné l’expulsion logique de Léonarda Dibrani, je pense inutile de vous résumer l’affaire. Je passerai assez rapidement aussi sur les déclarations périphériques des éternels outsiders de la politique qui, assoiffés de reconnaissance et de temps de micro mou disponible, se jettent sur les journalistes pour leur expliquer en détail pourquoi tout ceci est une rafle (comme veut nous le faire croire un Mélenchon en petite forme) ou qu’au contraire, tout ceci est normal (ce que tente de communiquer l’ectoplasme précédemment connu sous le nom de Bayrou et qui hante les couloirs républicains sans qu’on sache très bien pourquoi).
Je suis un peu méchant avec François le Petit Fantôme, puisqu’il déclare à juste titre, avec la prudence de bulot hypocondriaque qui le caractérise :
«Le pouvoir perd la boussole et ça fait perdre la boussole au pays. La situation n’est absolument plus maitrisée. Il y a des raisons d’être inquiet.»
Oui, on peut, comme il le dit, « être inquiet ». Ou, quand on est normalement constitué avec des poumons et non des branchies de bivalves, s’écrier gentiment « Non mais quel foutoir ! » en regardant les faits qui s’accumulent et qui pointent tous dans le même non-sens.
En première analyse rapide, on peut déjà noter que l’expulsion de familles d’immigrés clandestins n’est que le résultat logique et inéluctable d’un système social basé sur une dilapidation d’argent public tous azimuts d’un côté et, de l’autre, d’une lutte frénétique et désorganisée pour réduire ou contrôler cette dilapidation. Comme le note mon confrère Le Parisien Libéral, Manuel Valls n’est donc ici que le prolongement mécanique, arbitraire et sans réflexion d’une longue série de petits rouages tous aussi mécaniques et arbitraires qui manipulent des statistiques, rattrapent tel nombre d’exilés fiscaux pour ménager Bercy et expulsent tel nombre d’immigrés pour ménager les caisses sociales.
En seconde analyse, et même si l’on a bien compris l’aspect machinal de ces expulsions, force est de constater que si l’ensemble des lois républicaines a bien été appliqué, il est particulièrement compliqué de trouver des circonstances atténuantes et favorables à la famille ; même sans réclamer une quelconque intégration (dont on voit mal, cependant, comment on peut se passer si l’on tient, un jour ou l’autre, à former une société un minimum cohérente), la lecture du rapport circonstancié ne laisse pas franchement de place à une interprétation favorable à la famille : vols, violences, cambriolage, dégradation avancée de propriété, à commencer par leur propre logement, usage de menaces, assiduité scolaire très relative des enfants, le tableau est gratiné et s’il n’y avait l’évidente précarité des personnes concernées, il rappellerait sans problème les plus belles pages que s’emploient à écrire nos politiciens actuels, chacun dans leur coin.
Quant au cas spécifique de Leonarda, on peine à voir en elle la timide créature, humble, respectueuse et travailleuse, que certains tentent à tout prix de nous dépeindre, surtout lorsqu’elle déclare avec grâce et légèreté que, je cite :
« Un jour ou l’autre je rentre en France et c’est moi qui vais faire la loi. »
« Faire la loi » ? Moui. Permettez aux Français de s’interroger un peu : avec un tel dossier, on se demande comment la pauvrette a pu réussir à déclencher une telle indignation tant chez ce peuple de gauche humaniste et solidaire dont une grosse partie anime la presse, que chez ces quelques lycéens dont l’implication fut aussi subite que pratique à l’approche de vacances.
Enfin, « on se demande », « on se demande », … c’est rhétorique, hein.
À voir l’avalanche de Pignouferies de presse qui ont déboulé dans les deux ou trois jours qui suivirent l’expulsion de Leonarda Dibrani, on se doute bien que le soufflé médiatique ainsi créé a permis à certains de mettre de sérieux bâtons dans les jantes alliages d’un Manuel Valls tout pétaradant et trop apprécié tant à droite qu’à gauche pour faire autre chose que l’unanimité contre lui dans le Parti Socialiste.
De même que ne doit rien au hasard la « soudaine » mobilisation des lycéens dans des lycées de la capitale, tous largement noyautés par une FIDL dont l’ancrage n’est clairement pas à droite non plus.
Mais jusque là, l’affaire n’était à proprement parler qu’un de ces magnifiques ratages de communication qui agrémentent actuellement la vie médiatique française comme ont pu l’illustrer récemment le déraillement de Brétigny, l’affaire Méric ou la gestion des sympathisants au bijoutier de Nice : une version des faits est montée en épingle par une presse désireuse de créer un effet spécifique dans l’opinion, les faits se révèlent quelques jours plus tard faux ou exagérés, internet embraye en produisant une contre-culture vivace et sulfurique et le tout se termine par une montée incontrôlée du ressentiment général des Français tant à l’égard des journalistes et chroniqueurs installés que des politiciens, qui finissent rapidement classés mentalement dans les sacs dédiés au compost & déchets organiques, pendant que les associations festives, citoyennes, solidaires et conscientisées se retrouvent elles propulsées en pensée dans les sacs de recyclables.
L’affaire s’est cependant enkystée lorsque le Chef de l’État lui-même a pris la parole comme on prend une savonnette humide dans une douche trop chaude au milieu d’une buée trop épaisse : un zwip, deux zwip, et trois zwip plus tard, on finit par perdre tout contrôle. Chaque phrase, délicatement entourée d’hésitations protectrices, est venue s’ajouter aux autres comme des petits croutons dans un potage épais que notre président aura touillé gentiment avant de se renverser le bol sur les cuisses dans un faux-mouvement :
…
Je laisse le temps aux lecteurs de se repasser l’allocution du trucmuche qui nous sert de président de la République actuellement.
…
Du temps, il en faut pour digérer les propositions que le petit mammifère grassouillet a proférées pour tenter de résoudre le « Problème Leonarda ». Se croyant sans doute fin stratège, ou se contentant de lire niaisement les consternantes bêtises que son prompteur lui débitait (en vrac ?), il envisage donc très sérieusement de cantonner les expulsions hors des horaires scolaires, les dimanches et jours fériés ; il insiste bien sur l’importance d’appliquer la loi, mais propose donc, en parfaite contradiction avec la loi, et dans le cadre d’un accord parfaitement arbitraire, unilatéral, du fait du Prince donc, d’accueillir à nouveau la lycéenne expulsée. Seule.
C’est, vous l’aurez compris, une solution qui a l’immense délicatesse de forcer Leonarda à choisir entre ses études et sa famille, de saboter le travail des policiers et gendarmes qui ont patiemment suivi le dossier, de parvenir à mécontenter les associations militantes, citoyennes, solidaires et effervescentes, d’atterrer la droite, de consterner la gauche (Malek Boutih estime à raison que la « décision » de Hollande n’a aucun sens), et de foutre en rogne le peuple français (puisque 65% se déclare maintenant contre un retour de la lycéenne).
Cette affaire pathétique, par l’intervention présidentielle, s’est donc transformée en affaire d’état. Et notre gros rongeur a pris l’engagement d’un ratage total et sans issue. Après la Syrie, particulièrement épique en matière de merdouillage international, le défi de faire aussi catastrophique au plan intérieur relevait de la gageure : pari réussi pour François, au mieux de ses formes !
Mais surtout, cette affaire, en occupant à tel point la presse et les politiciens, aura fait passer un message absolument catastrophique à l’ensemble des Français : oui, le Président prend plus facilement de son temps pour ce genre de cas franchement douteux que pour s’occuper des vrais problèmes de fond. Oui, le président est prêt à utiliser son temps et le vôtre pour vous exposer une non-solution calamiteuse, mais il n’a absolument rien en rayon pour répondre à vos attentes en matière de hausse des prix, de problèmes de logement, de chômage, de désindustrialisation, de hausses d’impôts ou de baisse général du niveau de vie et du niveau scolaire.
Cette affaire ahurissante montre que la politique française n’est plus qu’une espèce de champ d’expérimentation pour politiciens, journalistes et associations citoyennes désemparés, qui courent dans tous les sens comme des poulets sans tête, se percutant les uns les autres au gré de leurs revendications antagonistes, et prétendant œuvrer pour le bien commun en dilapidant une énergie et des sommes de plus en plus iniques au regard des problèmes autrement plus aigus qui sont ainsi consciencieusement évités. À ce titre, l’emballement actuel de ces classes jacassantes, à tout propos et surtout hors de propos et hors de proportion n’impose qu’une conclusion, inévitable.
Ce pays est foutu.