Nous avons autant besoin d’une
guerre civile que d’un trou dans la tête. C’est tout à fait ça : l’Amérique
a un trou dans la tête. Pile à l’endroit anciennement connu sous le nom de
Centre. Il n’a pas survécu. C’est pourtant là que des gens aux opinions
différentes pouvaient compter les uns sur les autres pour se comporter de
manière respectable autour d’une pierre de touche appelée les Intérêts
nationaux. Cet endroit abandonné est désormais bouclé, tel un Tchernobyl de l’esprit,
où les personnages des deux côtés de la ligne politique ont peur de
séjourner, ou pire encore de s’installer, de peur de devenir radioactifs.
Les vieux partis, de chaque côté
du transect politique, se fondent dans des marasmes équivalents d’illusion,
de rage et d’impuissance – comme je l’ai prédit tout au long de l’année 2016.
Ils ne peuvent apporter rien de bon aux Intérêts nationaux. Ils ne peuvent
pas contrôler les rackets qu’ils ont systématiquement établis au travers de
leurs législations et de leurs politiques, et qui se poursuivent sous la
dominance des deux partis, chacun à leur tour, depuis l’époque de Lyndon B.
Johnson. Ils se sont mutuellement rendus fous.
Trump et Hillary incarnent
parfaitement la phase culminante de chaque parti, qui précèdera leur course
mutuelle vers l’effondrement. Tous deux se sont avérés plus qu’un brin
psychopathes. Trump est le bluff que les Républicains se sont imposés à
eux-mêmes, s’étant débarrassés de tout ce qui pouvait être identifié comme
des principes cohérents susceptibles de se traduire par des actions utiles.
Hillary est une version américaine de Lady Macbeth qui s’acharne à réussir le
coup monté ultime par tous les moyens nécessaires, sa perversité si évidente
que même les électeurs n’ont pu y rester indifférents. Les deux représentent
la vengeance de chaque parti envers son rival, le prix à payer pour des
décennies de mauvais choix et de mauvaise foi.
Notre Trump anti-intellectuel
est, pour la droite, la réponse aux « intellectuels pourtant idiots »
que Nassim Taleb a identifiés comme infestant aujourd’hui la gauche. Il ne serait
sûrement pas exagéré de dire que Trump n’a pas lu de livre depuis l’école
secondaire, et n’en a peut-être jamais terminé un de sa vie. Mais n’êtes-vous
pas épaté par la manière dont les intellectuels pourtant idiots de la gauche
ont dévasté la vie de l’esprit sur les campus, et dans les autres enceintes
de culture où la libre investigation prospérait autrefois ? Depuis les doyens
lâches qui aiment à prétendre que les « espace sûrs » de
ségrégation raciale représentent une forme d’inclusion, jusqu’aux éditeurs du
New York Times qui
prétendent dans leurs gros titres que les immigrés clandestins n’ont rien
fait d’illégal, la propension au mensonge est époustouflante.
Une situation similaire s’est
déjà présentée par le passé, et il se peut qu’il s’agisse d’un évènement
cyclique. L’ancien président des Etats-Unis et professeur à l’Université de
Princeton, Woodrow Wilson, a entraîné son pays dans la première guerre
mondiale, qui a causé la mort de plus de 200.000 Américains (près de quatre
fois plus que la guerre du Vietnam) en seulement dix-huit mois. Il a
promulgué la Peur rouge, un épisode d’hystérie qui n’est pas sans rappeler la
fête aux accusations raciales et de différenciation sexuelle qui s’empare
aujourd’hui de la gauche. Le professeur Wilson est également responsable de
la création de la Réserve fédérale et de ses frasques, et notamment de la
perte de 90% de la valeur du dollar depuis 1913. Wilson était le parfait
intellectuel pourtant idiot de son époque.
C’est en réaction à Wilson qu’est
arrivé Warren Gamaliel Harding, un monsieur-tout-le-monde buveur et adepte de
jeux d’argent, sélectionné en 1920 dans la célèbre « pièce enfumée »
de la convention du Grand Old Party. Il a invoqué un « retour à la normale »,
et a été ridiculisé comme on ridiculise aujourd’hui Trump pour ses termes
idiots tels que « win bigly » (ou voulait-il dire Big League ?).
Harding est aussi connu pour s’être ainsi confessé dans une lettre : « Je
ne suis pas capable d’assumer ces fonctions et n’aurait jamais dû arriver jusqu’ici ».
Et pourtant, pendant son bref mandat (il est mort dans son bureau en 1923),
Harding est parvenu à guider son pays au travers de la féroce dépression de l’entre-deux-guerres,
en refusant simplement d’avoir recours à l’intervention du gouvernement.
Une dynamique similaire a pu
être observée en 1952 quand le général Eisenhower a succédé à Harry Truman,
une victoire qui a encouragé le candidat démocrate vaincu, Adlai Stevenson, à
lui lancer cette boutade « Les partisans du New Deal ont été remplacés
par des vendeurs de voitures ». S’il avait su ! Après tout, qui
était le vice-président d’Ike ? Nul autre que Tricky Dick Nixon, rapidement
devenu le vendeur de voitures d’occasion quintessentiel des Etats-Unis.
C’était la belle époque, mais la
voilà révolue. Beaucoup de choses ont mal tourné au fil de ces trente
dernières années, et le jeu que jouent aujourd’hui les Démocrates et les
Républicains ne fait rien pour remédier à la situation. C’est pourquoi les
deux partis sont voués à l’extinction. Nous en sommes pour le moment arrivés
à la phase de conflit factionnel. Chaque parti fait face à sa propre guerre
civile préliminaire. Le Secrétaire du travail de l’ère Obama devenu chef des
Conventions nationales du parti démocrate, Tom Perez, a plongé hier les
partisans de Bernie Sanders dans un paroxysme de critiques. Les voilà qui
appellent aux quatre coins de la Twitterverse à la formation de leur propre
parti. Trump fait face à sa propre mutinerie à droite, qui est loin de ne
compter que les deux enthousiastes de la troisième guerre mondiale, John
McCain et Lindsey Graham. Suite à la CPAC du parti conservateur la semaine
dernière, pratiquement tout son agenda s’est trouvé abandonné après avoir été
qualifié de (ahem) politiquement peu pratique par les Grands Poobahs
présents ce jour-là : réforme et remplacement de l’Affordable Care Act,
réforme fiscale, orgie de construction d’infrastructures, construction d’un
mur sur la frontière avec le Mexique, embargos commerciaux…
Et voilà que le plafond de la
dette est sur le point d’expirer à la mi-mars, avec environ 20 trillions de
dollars. Pensez-vous que les deux partis qui se mènent bataille au Congrès
seront capables de parvenir à une résolution du problème ? Pas moi. Les Démocrates
ont toutes les raisons du monde de laisser le président Trump mijoter tel du
corned-beef dans sa saumure fatale. Ce que tout cela signifie, c’est bien
entendu que le Trésor des Etats-Unis sera à cours d’argent venu l’été, et que
certaines factures ne seront pas payées, peut-être même les plus « bigly »
d’entre elles, comme par exemple les notes de sécurité sociale et de soins
médicaux. Préparez-vous au spectacle. Trump se verra devenir un quadraplégique
politique, et les électeurs abandonneront les partis comme des puces sauteraient
du dos de chiens mourants.
D’ici là, d’autres évènements
seront venus semer la zizanie de par le monde, dont les campagnes électorales
acrimonieuses qui battent leur plein en France et aux Pays-Bas, la perte de
contrôle de l’Union européenne dans son propre horizon des évènements, et l’instabilité
économique la plus terrible que le monde ait jamais traversée. Profitez des
dernières semaines de normalité.