Si la communication officielle du gouvernement et de l’exécutif n’est pas toujours maîtrisée au mieux, il n’en va heureusement pas de même avec les finances du pays qui sont finement pilotées de chicanes conjoncturelles en virages économiques subtilement négociés à la corde. En effet, le paquebot Bercy est dirigé par deux têtes qui ne contiennent qu’un seul cerveau composé de deux hémisphères gauches, celui de Montebourg d’un côté et celui de Sapin … du même.
Avec un tel tandem et dans de pareilles conditions, il n’y a plus besoin de prières ou d’amulettes puisqu’absolument rien n’est plus laissé au hasard ou à la Providence. Avec une ponctualité quasi-helvétique, les résultats s’accumulent et démontrent tous que les réglages du moteur de l’État français sont maintenant optimaux : c’est une déroute chimiquement pure.
Je pourrai m’attarder sur les chiffres du chômage. Il y aurait fort à dire. Mais ils ne sont que le symptôme, la résultante nécrosée d’une analyse catastrophique par sa bêtise et son inadéquation avec la réalité de la situation économique du pays.
Je préfère regarder le récent rapport de la Cour des Comptes sur les recettes de l’État. Et le terme recette n’a jamais été aussi bien employé tant il ne s’agit plus ici que de cuisine.
C’est d’abord la cuisson des contribuables, portés à feu vif.
De 214.3 milliards d’euros en 2009, les recettes ont été portées à 284 milliards en 2013. Ce qui veut dire que l’État a ponctionné près de 70 milliards d’euros en plus. Évidemment, pour cette somme, on a plus d’écoles, plus d’universités, plus de prisons, plus de routes, de ponts, de lignes haut débit, d’éoliennes et de centrales nucléaires neuves, de TGV qui arrivent à l’heure et de services de police et de gendarmerie efficaces, sans compter sur une armée à la pointe de la technologie.
Ah tiens. Non. Tout se dégrade quand même. Et la croissance du pays n’est, au mieux, qu’atone, et au pire, négative. Ce qui veut donc dire qu’on a dépensé 70 milliards supplémentaires en provenance directe des poches des contribuables pour … du vent (ou, plus précisément, de la « paix sociale » — dont on peine à voir les contours, vu la grogne de plus en plus audible dans le pays). Franche réussite !
C’est ensuite la sale cuisine interne des comptes publics.
Parce qu’à bien regarder les chiffres et les conclusions de la Cour des Comptes, difficile de ne pas voir une sombre cuisine, purement politique, pour justifier les écarts entre les recettes budgétisées et celles effectivement enregistrées. Il apparaît en effet que malgré l’augmentation continue de la ponction fiscale, il manque 14 milliards d’euros dans les caisses par rapport aux prévisions de recettes.
Vous avez bien lu : alors que les impôts ont augmenté de 70 milliards en 5 ans (soit 14 milliards de plus par an), l’année 2013 est trop courte de 14 milliards. Il manque une année complète d’augmentation. Et mine de rien, 14 milliards, ça représente une sacrée quantité de piscines olympiques pleines de pognon gratuit du contribuable, ça, mes petits amis. 14 milliards par ci, 14 milliards par là, et rapidement, on parle d’une jolie somme, vous ne trouvez pas ?
Du reste, le détail fourni par la Cour sur les manques à gagner donnent un éclairage intéressant à la situation économique du pays. C’est en effet l’impôt sur les sociétés (IS) qui encaisse le plus gros écart entre ce qui était attendu et ce qui est effectivement rentré en caisse, en valeur (7 milliards) et en proportion (14.8%). Ceci veut essentiellement dire que ce sont d’abord les entreprises qui dégorgent moins que prévu. En outre, la consommation est moins forte qu’envisagée (3.6% de moins que prévu sur la TVA). Est-ce que ceci ne signifierait pas comme un gros souci au niveau économique général ? Et ce ne sont pas les deux milliards de recette exceptionnelle qui permettent d’améliorer le tableau : les prévisions étaient outrageusement optimistes. La réalité ne pouvait que décevoir.
Politiquement, cependant, c’était attendu. Nos gouvernants, avec le plus parfait cynisme, s’attendaient évidemment à ce genre d’écart. En effet, pour respecter ses engagements internationaux (et européens notamment), le gouvernement doit présenter un budget prévisionnel dont l’objectif de déficit est exprimé en pourcentage du PIB, objectif lui-même plafonné. Et rien de tel que surestimer les recettes prévisionnelles pour caler cet objectif. Autrement dit, si l’on veut dépenser trop, rien de plus facile : il suffit de prévoir de grosses rentrées, ce qui permet de conserver un déficit raisonnable sur le papier, de dépenser comme prévu, et d’annoncer, plus tard, que les rentrées ont été moins bonnes (et le déficit a explosé, mais à ce moment là, tout le monde s’en fiche éperdument).
D’un autre côté, le fait que la collecte d’impôt continue d’augmenter malgré tout montre que nous ne sommes pas encore arrivé au plus haut de la courbe de Laffer. Autrement dit, il y a encore une marge de progression disponible pour la ponction, et tout indique qu’elle sera testée dans les prochains mois.
Rassurez-vous. Ce constat calamiteux et effrayant n’est absolument pas une raison pour le gouvernement de changer son fusil d’épaule, même s’il a tout l’air d’un balai. On continue donc à prétendre à une illusoire baisse d’impôts, et on charge Le Foll, en bon porte-parlote, d’aller expliquer tout ça, en vrac, au bon peuple, avec comme mission que la prochaine tempête ne soit pas trop visible. Ce qu’il fait avec le brio d’un teckel mouillé coincé dans un container à plastiques recyclables :
« les moindres recettes s’expliquent par plusieurs facteurs : sûrement la croissance, et pour certaines recettes, un contexte économique, peut-être social. »
« Peut-être social ». Ou bien y’aurait des difficultés économiques, aussi. Possible. Ou le temps. Avec cette pluie, ça rend les gens moroses. Allez savoir. Ils nous détraquent la météo avec leur satellites, m’ame Michu. Tout ça.
Parallèlement, on apprend (très discrètement) dans une récente note de Moody’s que la baisse de dotation sur les budgets locaux décidé par l’Etat risque d’alourdir singulièrement la dette des collectivités territoriales. Certes, « les réformes structurelles envisagées par le gouvernement pour le secteur local pourraient partiellement compenser l’effet de la baisse des dotations sur les budgets locaux. », mais malheureusement, « à ce stade, il n’existe cependant pas de quantification des économies ainsi générées, ni de calendrier pour leur mise en œuvre. » Voilà qui est excellent pour les finances publiques, ça, non ?
Parallèlement, on apprend (là encore, assez discrètement) qu’on va doubler le nombre de bénéficiaires de la CMU (la couverture maladie universelle, qui, pour rappel, est payée par les contribuables et non par la Sécurité Sociale). Voilà qui est génial pour les finances du pays, vous ne trouvez pas ?
Heureusement, pendant que Le Foll dégoise ses conneries, les deux ministres de Bercy sont aux manettes. D’un côté, Sapin est à la cantine et reprend deux fois du dessert. De l’autre, Montebourg s’agite dans son joli bureau et a fermement décidé de s’attaquer au site Booking.com parce que c’est exactement le message qu’avaient besoin d’entendre les Français.
Pour rappel, la France fait, depuis des années, un déficit conséquent. En 2012, il s’agissait de 98.8 milliards d’euros. En 2013, on a atteint 74.9 milliards d’euros sur 227 miliards de recettes, ce qui veut dire que nos fiers ministres se sont débrouillés pour cramer 32% d’argent en plus que ce dont nous disposions. Pour rien. Pardon, pour « la paix sociale ». Chérissez-la : elle nous coûte de plus en plus cher et se fait de moins en moins visible.
Ce pays est foutu.
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