Lorsque l’ancien gouverneur de
la Réserve fédérale, Ben Bernanke, a eu vent du fait que le Département du
Trésor cherchait à remplacer Alexander Hamilton sur les billets de dix dollars,
la colère lui est monté au nez. Sur son blog, Brookings Institution, Bernanke
s’est dit « consterné » par le fait que le « plus grand des
Pères fondateurs des Etats-Unis » (et le Père fondateur du système
bancaire centralisé) se trouve maltraité de la sorte.
Le New York Times s’est immédiatement penché sur
la question, apparemment outré par l’idée qu’un célèbre New Yorkais puisse
être rétrogradé ainsi. Les néoconservateurs ont été particulièrement
sensibles à la question. Après tout, David Brooks, du New York Times, est persuadé
qu’Hamilton ait créé à lui seul le capitalisme américain, avec l’aide de
personne, pas même Dieu.
Pat Buchanan, qui m’a un jour
dit qu’Hamilton était son héros, doit avoir perdu quelques heures de sommeil
après avoir eu vent de la nouvelle. Il faut dire qu’au même moment, les New
Yorkais commençaient à faire la queue par centaines devant le théâtre dans
lequel se jouait la nouvelle comédie musicale Hamilton, reprenant
l’ancien conte étatiste qui explique à quel point notre Hamilton impérialiste
était un personnage merveilleux en comparaison au constructionniste Thomas
Jefferson, selon qui meilleur est un gouvernement, moins il gouverne.
L’établissement est en
adoration devant Hamilton (et haït Jefferson) parce qu’Hamilton était un
étatiste et un impérialiste. Il dénonçait sans cesse son grand ennemi
Jefferson pour son « souci excessif pour la liberté ». Quand le
président Jefferson a annoncé, dans son premier discours d’investiture, que
ses politiques étrangères seraient basées sur une « amitié honnête avec
les autres nations, et une alliance avec aucune », et qu’un
« gouvernement sage et frugal, qui empêche les Hommes de se faire du mal
les uns aux autres, devrait les laisser libres de réguler leurs propres
poursuites industrielles et commerciales sans jamais prendre de la bouche du
travail le pain qu’il a gagné, parce que c’est là la somme du
gouvernement », Hamilton l’a dénoncé de présenter le « symptôme
d’un esprit pygmée ». Hamilton souhaitait avant tout une économie centralisée
et subventionnée par le gouvernement, et n’avait de désir plus ardent que de
déclarer la guerre à la France en le nom de ce qu’il appelait « gloire
impériale ».
Quand la convention
constitutionnelle a laissé de côté la proposition d’Hamilton d’élire un
président permanent (un roi) qui nommerait tous les gouverneurs des Etats qui
disposeraient du pouvoir de veto sur les législations de l’Etat, détruisant
ainsi toute semblance de fédéralisme, Hamilton a vivement dénoncé la
Constitution comme étant une fraude, un « tissu frêle et sans aucune
valeur ».
L’objectif d’Hamilton était de
« couler les fondations d’un nouvel Empire », a écrit le biographe
d’Hamilton, Clinton Rossiter. Sur le même modèle que l’Empire britannique,
que la Révolution américaine venait de combattre. Hamilton « respectait
certainement plus le gouvernement que n’importe quel autre penseur politique
américain », nous dit Rossiter. Pas étonnant que l’établissement l’ait
toujours porté dans son cœur.
Hamilton était le Père
fondateur de la subversion constitutionnelle, ayant littéralement inventé
l’arnaque des « pouvoirs tacites de la Constitution » lors de son
débat avec Jefferson quant à la constitutionnalité d’une banque nationale. Il
était en faveur d’une telle banque, alors que Jefferson s’y opposait. Bien
entendu, une fois qu’il a été décrété que les pouvoirs de la Constitution
étaient tacites et non des pouvoirs explicites délégués au gouvernement
fédéral, la voie a été ouverte pour la mise en place d’un gouvernement
illimité tel qu’en rêvait Hamilton. « Avec l’aide de la doctrine des
pouvoirs tacites, explique Rossier, Hamilton a converti les pouvoirs énumérés
dans l’article premier, section 8, pour en faire les fondations des prouesses
et législations que pourrait plus tard contempler le Congrès. » La
Constitution « vivante » était née. Pas étonnant que
l’établissement apprécie Hamilton.
Au travers de ce subterfuge,
Hamilton espérait pouvoir apporter un certain certificat de
constitutionnalité à chaque nouvelle taxe. « Hamilton était en faveur du
pouvoir du Congrès d’établir de nouvelles taxes, parce qu’il défendait son
droit de dépenser. »
Son opinion de la Constitution
était à l’opposé de celle de Jefferson. Pour Jefferson, le gouvernement
devait être « limité par les chaines de la Constitution ». Pour
Hamilton, la Constitution pouvait et devait être utilisée comme approbation
officielle de toute décision prise par le gouvernement fédéral. C’est à ce
genre de Constitution que les Américains sont soumis depuis maintenant plusieurs
générations.
Hamilton souhaitait plus que
tout assassiner les coupables d’évasion fiscale qui osaient remettre en cause
l’autorité du gouvernement fédéral, ce qui nous a été prouvé par son
comportement à l’occasion de la Révolte de whiskey en Pennsylvanie. Cette
pulsion est finalement devenue la caractéristique principale du gouvernement
fédéral sous le régime de Lincoln, ce dernier ayant été le fils politique
d’Alexander Hamilton.
Lorsque les agriculteurs de
Pennsylvanie ont commencé à fermenter des céréales pour en faire du whiskey
et à qualifier la nouvelle taxe d’Hamilton sur le whiskey de discriminatoire,
Hamilton a persuadé George Washington de demander aux gouverneurs de la côte
occidentale de lever 15.000 hommes afin qu’ils marchent sur l’ouest de la
Pennsylvanie et mettent fin aux protestations. Plusieurs douzaines de
protestataires ont été arrêté et traînés, pieds nus et en plein hiver,
jusqu’à Philadelphie où ils ont été jugés, Hamilton ayant fait office de
juge. Hamilton voulait les pendre tous autant qu’ils étaient, pour donner une
leçon aux autres contribuables. Mais George Washington a introduit une
certaine dose de sens commun à l’affaire en leur accordant le pardon, pour le
plus grand désarroi d’Hamilton. Pas étonnant que l’établissement l’adore.
Hamilton était le porteur
d’eau politique des capitalistes de copinage, des 1% de son temps. Tous ses
efforts de créer une banque gérée par les politiciens depuis la capitale
américaine (la Première banque des Etats-Unis) avaient un objectif principal :
apporter du crédit peu cher à ses gros patrons d’entreprises et alliés
politiques de New York et Philadelphie, et subventionner l’industrie bancaire
aux dépens du grand public.
Hamilton était un
protectionniste qui répétait tous les slogans absurdes des mercantiles
britanniques. Il souhaitait apporter aux Etats-Unis le système mercantiliste
rouillé et corrompu contre lequel avait éclaté la Révolution, et sous le
pouvoir d’Américains comme lui-même et ses amis politiques de New York. Il se
moquait des opinions de marché libre de son contemporain britannique Adam
Smith, des physiocrates français, et de tous les autres penseurs économiques
de son époque. Il défendait le vol de l’individu commun au bénéfice, une fois
de plus, de ses patrons politiques qui cherchaient à être protégés contre la
compétition internationale (comme John C. Calhoun l’a un jour dit, ce contre
quoi le public est « protégé » par le protectionnisme n’est rien
d’autre que les bas prix).
Comme si ce n’était pas
suffisant, Hamilton a également défendu un système d’assistance publique
direct sous la forme de subventions de toutes sortes par les contribuables
pour toutes sortes d’industries et d’entreprises dans son célèbre Report on Manufactures. On
l’appelait l’ « argument pour les industries naissantes », mais
parce que les Etats-Unis étaient un pays jeune, toutes les industries
pouvaient alors être qualifiées de naissantes. Il ne pensait simplement pas
que le commerce puisse parvenir à quoi que ce soit sans son aide.
Il a accordé les plus grosses
subventions publiques aux sociétés de construction de routes et de canaux,
bien que des milliers de kilomètres de routes avaient déjà été construits par
des sociétés privées et grâce à du capital privé dès le début des années
1800. Et si les recettes fiscales ne suffisaient pas à couvrir ces dépenses
anticonstitutionnelles qui n’apparaissent nulle part dans la section 8 de
l’article premier de la Constitution, Hamilton ne cessait d’expliquer en quoi
la dette publique pouvait être une « bénédiction publique ».
L’argument d’Hamilton en
faveur de la dette publique était assez machiavélique. Sa théorie voulait
que, parce que les individus les plus riches du pays étaient les
propriétaires de cette dette (obligations gouvernementales, par exemple), ils
pourraient former un pouvoir de pression formidable en faveur d’une hausse
des taxes et d’un gouvernement toujours plus large et plus centralisé, afin
de s’assurer à ce que leurs obligations soient toujours remboursées. Comme
William Graham Sumner l’a écrit dans sa biographie d’Hamilton, ce dernier
était en faveur d’une grosse dette en raison de sa capacité à
« renforcer notre gouvernement en augmentant le nombre de ligaments
entre le gouvernement et les intérêts des individus ». Les plus riches
et les mieux politiquement connectés, bien évidement. Comme Douglas Adair,
éditeur de The Federalist
Papers, l’a écrit dans une édition :
Avec une brillance sournoise,
Hamilton s’est lancé dans l’établissement d’un programme législatif de
classes pour unir les intérêts propriétaires de la côte Est à un parti
administratif uni, tout en rendant le pouvoir exécutif supérieur au Congrès
au travers de son usage du système des dépouilles… Hamilton a transformé
toutes les transactions financières du Département du Trésor en une orgie de
spéculation à laquelle ont participé Sénateurs, membres du Congrès et
certains des plus riches constituants du pays.
Est-il étonnant que
l’établissement de Sénateurs, de membres du Congrès et de riches constituants
d’aujourd’hui adorent Hamilton et souhaitent plus que tout que son visage
continue d’apparaitre sur les billets de dix dollars ?