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Quand on parle du sujet des LBO (voir première
partie ici),
deux conceptions s’affrontent. Selon la première, les
entreprises auraient une « responsabilité
sociale, » à assumer c’est-à-dire que leur
mission serait de promouvoir l’emploi, ainsi que les salaires et les
bénéfices sociaux. La société aurait ainsi, par
l’intermédiaire de l’État, à charge
d’adoucir la concurrence que les entreprises se font, au besoin en volant
à leur secours. A quoi ressemblent de telles entreprises ? A ces
constructeurs automobiles américains en sureffectif et incapable de
s’adapter aux
évolutions de la société, et finalement
subventionnées par des contribuables bien souvent plus mal lotis.
Dans la seconde conception, la seule responsabilité
sociale des entreprises est « de faire du profit, »
selon la célèbre expression de Milton Friedman. Telle est celle
que prennent les firmes de capital-investissement : leur but premier
n’est ni de maximiser l’emploi ni de gonfler les rémunérations, mais
de rendre les entreprises aussi profitables que possible. Cela ne
réussit pas toujours, mais cet intense processus de sélection débouche,
au final, sur plus d’emplois, et de meilleures conditions de travail.
Paradoxalement, ceux qui défendent la
première conception sont aussi ceux qui critiquent sans cesse la
position dominante d’entreprises-mammouths pesant des milliards de
dollars. Ils vilipendent de la même façon les privilèges
de directions inamovibles qui de fait ne créent de valeur ni pour les
actionnaires, ni pour les employés ou le reste de la
société.
Mais les LBOs sont
précisément le remède à cela. D’une part,
l’effet de levier permet à des équipes plus compétentes
de prendre les rênes de la direction. Il est symptomatique, à cet
égard, de savoir que Bain Capital a été fondé par
des consultants frustrés de voir leurs conseils si mal suivis. Le
meilleur moyen de faire prospérer une compagnie, selon eux, est encore
d’en prendre le contrôle à ceux qui en sont incapables.
Par définition, un LBO repose sur
l’idée qu’un écart existe entre la valeur actuelle d’une
compagnie et sa valeur potentielle aux mains d’une meilleure
équipe. En la rachetant, une firme de capital-investissement commence
donc par rendre aux actionnaires les fonds que la direction
précédente confisquait (sous la forme de dépenses
somptuaires, ou de rémunération injustifiées) ou mettait
mal à profit (dans des investissements trop peu rentables.)
C’est bien entendu dans cette perspective que doivent être
comprises les prétendues « dilapidation
d’actifs » auxquelles les LBOs
donnent lieu. En réalité, il s’agit uniquement de mettre
un terme à des activités trop peu rentables -
c’est-à-dire accaparant des ressources qui seraient plus utiles
ailleurs.
À cet égard, le rôle positif des LBO
ne se limite pas aux restructurations qu’elles permettent
effectivement, mais s’étend également à celles
qu’elles incitent les directions en place à mener par crainte
d’être évincées. L’acquisition par emprunt
agit ainsi comme une discipline rappelant constamment à ceux qui
dirigent l’activité économique qu’ils ont un
impératif d’efficacité.
Enfin, outre l’histoire et la théorie,
il faut replacer la pratique des LBOs dans son
contexte politique. D’une part, ce segment du marché du
contrôle des entreprises est largement lié à celui des
obligations à haut risque, lequel fournit les immenses
capacités de financement nécessaire à de telles
opérations. Or, si leur apparition conjointe à partir du milieu
des années 1970 tient à des conditions assez
particulières, leur évolution ultérieure est très
largement dépendante de la politique monétaire
américaine.
Schématiquement, l’évolution conjointe
des « junk bonds » et des LBO
connut trois vagues successives de croissance puis de crise, chacune courant
sur une décennie. Au début des années 1980, tout
d’abord, la baisse phénoménale, de près de 10
points, des taux d’intérêt a conduit à une
multiplication par 4 du volume annuel des échanges d’obligations
à risque. Ce sera la cause d’une première crise,
bientôt suivie par une nouvelle politique monétaire aussi
laxiste que la précédente (baisse des taux de 10 points) et aux
mêmes effets : multiplication par 4 du marché des
« junk bonds » et crise au
terme d’une décennie. Depuis les années 2000, les taux
d’intérêt ont cette fois été baissés
de 5 points, et le volume des obligations à risque multiplié
par 3.
La logique n’est guère difficile à
percer : dès lors que les taux chutent, le rendement des
placements sûrs et des investissements traditionnels suit, avec pour
double conséquence, d’une part, l’amélioration du
profil rendement/risque des opérations les plus spéculatives,
et, d’autre part, la flambée des marchés d’action. Pain
béni pour les LBOs, lesquelles consistent précisément
à emprunter à risque afin d’acquérir une compagnie,
de la restructurer, et d’en revendre les actions sur les marchés
traditionnels.
Si les LBOs connaissent ainsi des
« excès », notamment au niveau de la prise de
risque, celles-ci doivent être comprises dans le contexte politique qui
est le leur. D’autant que la manipulation monétaire ne
crée pas seulement les incitations nécessaires : elle
donne aussi les moyens requis en étendant effectivement les
crédits disponibles pour de telles opérations.
De même, il ne faut pas sous-estimer l’impact
des incitations fiscales en la matière. En effet, l’endettement
est un mode de financement largement favorisé par l’exonération
des remboursements des prêts de l’assiette de l’impôt
sur les bénéfices. Certaines recherches estiment ainsi que les
économies d’impôts permises expliquent
jusqu’à 15% du prix offert par les firmes de
capital-investissement aux actionnaires des sociétés-cibles.
Ceci étant, ces dernières remarques, si
elles ne comptent pas pour rien, ne cherchent pas à
« excuser » les LBOs qui ne
sont en rien des opérations condamnables. Les attaques dont elles font
l’objet tiennent à une mécompréhension de la
nature et du fonctionnement des marchés.
A Chaque fois, la critique se focalise sur une partie
d’une transaction, oubliant l’autre, et la confond avec un simple
exercice de force. Ainsi, on entend dire que les auteurs de LBOs s’ « emparent » de
compagnies afin d’en « piller » les
ressources. En réalité, le but de
l’opération n’est pas de diminuer la valeur de
l’entreprise : puisque celle-ci a été achetée
au-delà de son prix de marché sous l’ancienne direction,
et doit finalement être revendue, la conséquence serait une
perte évidente.
Peu importe, ajoute-t-on alors, puisque
l’acquisition a été financée par
l’endettement : les prétendus investisseurs n’ont
qu’a en extraire frais et dividendes avant de
s’en débarrasser lorsqu’elle est proche de la faillite…
Seulement, il n’est pas possible de « jeter »
aussi simplement une entreprise surendettée pour que d’autres en
fassent les frais : elle doit être vendue, et ce à des
professionnels tout aussi capables d’analyser la valeur de ce
qu’ils achètent. De même, il n’est pas non plus
possible de « siphonner » aussi simplement des fonds du
marché obligataire à risque. Ici encore, les pourvoyeurs sont
des acteurs tout aussi âpres au gain et regardants sur la
rentabilité de leurs investissements.
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