Parmi
les idéologues qui, en toute indépendance d’esprit,
pilotent la Banque centrale européenne (BCE), il n’est plus
besoin de présenter son président, Jean-Claude Trichet, ou
celui qui devait lui succéder, Axel Weber. En revanche, Lorenzo Bini Smaghi, membre du directoire, gagne a
être lu.
Dans
une interview au Monde daté de vendredi, il vient de résumer en
une seule phrase la principale conclusion qu’il tire de la crise
financière, caractérisée par une hypertrophie de la
dette privée : « les pays doivent être moins libres
d’émettre de la dette ».
Pour
y parvenir, sa vision de l’avenir s’appuie sur deux
piliers : l’automaticité des sanctions affectant les pays
abusant de la « flexibilité d’augmenter les
déficits publics », et la création d’une
« agence européenne de la dette indépendante »
(sur le modèle de la BCE), « qui lèverait les fonds
à la place des États ». Ceux-ci perdraient donc leur
indépendance fiscale au profit d’un organisme inaccessible et
probablement aussi opaque que ne l’est la BCE.
Il
a été rarement explicité avec autant de clarté
les rêves les plus fous des néo-libéraux.
Dans
le même journal, sous le titre « Une autre révolution
fiscale est possible ! », Elie Cohen, bien connu des plateaux
de télévision, et Philippe Aghion,
professeur à Harvard, publient une tribune critique de la
réforme fiscale proposée par Thomas Piketty, lui attribuant
toutefois confraternellement, ainsi qu’à ses co-auteurs,
« rigueur, sérieux et compétence
académique »
.
On
ne discutera pas de la compétence académique des auteurs de
l’article – Elie Cohen est directeur de recherches au CNRS
– mais l’on se permettra d’être interloqué par
leur argumentation, laquelle repose, de manière
particulièrement caricaturale, sur la défense du système
fiscal suédois, car il « veille à éviter une
taxation abusive des revenus », parce les Suédois savent
« ce qu’est une économie ouverte et veulent
encourager l’entrée sur leur sol d’entrepreneurs
innovants ». L’objectif poursuivi étant de
« ne pas décourager l’entreprise et
l’innovation », dans le cadre d’une
« social-démocratie de croissance ».
Pure
fantasmagorie ! « Entrepreneur »,
« économie ouverte » et
« innovation », des mots magiques sont
lancés ! On aimerait que les détenteurs de patrimoine,
tous ceux qui courent après l’optimisation de la rente
financière, les entendent. Les entreprises qu’ils
fréquentent de préférence sont les fonds de gestion
privée et l’unique innovation qui les intéresse est celle
des instruments financiers qui favorisent les rendements financiers,
jusqu’au jour où…
Il
va falloir élaborer un corpus idéologique plus consistant pour
justifier les rentes de situation, même si elles s’abritent
derrière les murs des citadelles que Lorenzo Bini Smaghi
propose d’édifier.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
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