Je
ne suis pas très à l’aise avec les slogans « Je suis Charlie ! »,
mais je suis très triste à cause de ce qui est arrivé. Pendant mon stage à
Charlie Hebdo à l’automne 2007, quelque mois après le procès des
caricatures danoises, j’ai eu l’impression qu’ils ne se rendaient pas compte
du risque qu’ils encourraient.
Au
vu des réactions exprimées partout dans le monde suite à cet évènement, je
crois qu’on peut aujourd’hui diviser l’humanité en deux : ceux qui
veulent conserver le droit à la caricature quitte à ce qu’elle soit jugée de
mauvais goût par certains, voire « blasphématoire », et ceux qui
pensent que la loi française aurait dû et devrait interdire certaines
caricatures de Charlie Hebdo.
Pour
ma part il me semble qu’il y a déjà assez de censure en France et que le
genre d’humour de Charlie Hebdo est justement le genre qu’il faut protéger.
En ce sens oui, « je suis Charlie ». Je pense que la liberté de
cette expression-là, ainsi que le refus de s’estimer lié par les
susceptibilités d’autrui, est au cœur des valeurs françaises.
Aussi
je propose de créer un « test aux caricatures » où l’on
testerait la réaction des candidats à l’immigration ou à la naturalisation
face aux dessins les plus choquants de Charlie Hebdo sur les 3 monothéismes.
Si la France se veut construite sur des valeurs - et non pas sur le sang ou
sur la race - il n’est pas absurde de proposer ce genre d’examen.
Mais
le problème n’est déjà plus un problème de contrôle des frontières dans le
mesure où et les frères Kouaichi et Mohammed Merah sont nés en France. Je
propose donc de mettre ce test au programme de la Journée défense et
citoyenneté de manière à prendre le pouls idéologique des nouvelles
générations.
Ce
test existe déjà en pratique dans la mesure où, en France, les non-musulmans
demandent spontanément aux musulmans : « Que pensez-vous de
l’attentat du Charlie Hebdo et de ses caricatures ? Où tracez-vous la limite
à ma liberté d’expression ? ». C’est une manière, au fond, de
demander : « Avons-nous les mêmes valeurs ? Est-ce que je
peux vous faire confiance ? Pouvons-nous vivre ensemble ? ».
De
mon côté de la planète, au Moyen-Orient, l’islam traverse une crise très
grave dont il ne ressortira pas je crois, du moins pas sous sa forme
actuelle. En France on oublie quelque fois que dans le monde la majorité des
victimes des terroristes musulmans sont des musulmans. Au Liban et au
Moyen-Orient, le conflit est entre Sunnites et Shiites. A Beyrouth, les
quartiers chrétiens sont les plus sûrs, ce qui signifie seulement que les
attentats y sont moins fréquents. Si on regarde les chiffres au niveau
mondial, les musulmans sont en train de s’entre-tuer. L’État islamique (EI)
représente une crise de conscience terrible pour les musulmans. Al Baghdadi
s’est proclamé calife des musulmans. Si l'on ne veut pas le reconnaitre comme
calife ni lui obéir, on doit clamer haut et fort un autre islam, ou changer
de religion, ou devenir athée. On parle d'ailleurs aujourd’hui d’une « vague
d’athéisme » dans le monde arabe.
Dans ses publications, l’EI adopte une stratégie rhétorique
précise qui consiste à construire son argumentation à partir de sources
consensuelles et dont l’autorité n’est pas contestée (un peu comme si un
groupe terroriste catholique ne citait que la Bible, les documents
pontificaux et Thomas d’Aquin). Que des représentants de l’islam condamnent
l’EI est heureux mais c’est toute l’argumentation de celui-ci qui demande à
être réfutée.
D’un
autre côté, en France, les musulmans servent de bouc émissaire pour les
problèmes non seulement économiques et sociaux, mais aussi identitaires du
pays. Pour autant ce n’est pas la présence aujourd’hui d’un certain islam qui
menace l’identité française. C’est en revanche cette présence même qui est le
signe et la conséquence d’un problème identitaire français, beaucoup plus
profond et antérieur à la politique du regroupement familial.
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