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Chaque année, les
fonctionnaires de plus de 6 950 villes et villages dans 152 pays et
territoires partout dans le monde demandent formellement à leurs citoyens
d’éteindre les lumières de leur maison pour exprimer leur engagement à sauver
la planète. Commencée en 2007, la Earth Hour (Une heure pour la
planète) est devenue la plus grande action environnementale volontaire du
monde. Selon ses organisateurs, près de 2 milliards de gens sont revenus à la
lueur des bougies (et, on l’imagine, à la lumière des ordinateurs et des
smartphones) pendant 60 minutes en 2012.
Toutefois,
lors de chaque Earth Hour, environ 3 milliards de personnes se
débrouillent sans électricité ou presque, comme tout autre jour, et dépendent
de la combustion de biomasse comme le bois, le fumier animal et les résidus
de récolte, afin de cuire leur nourriture et se garder au chaud. Ils ne
produisent ainsi pas seulement des dommages importants pour l’environnement,
mais, plus grave encore, ils nuisent à leur santé. Chaque année, environ 2
million de personnes meurent prématurément des suites de maladies pulmonaires
obstructives chroniques et d’infections respiratoires aigües, justement parce
qu’elles doivent brûler des matériaux de basse qualité qui libèrent de la
suie, des particules, du monoxyde de carbone et des produits chimiques
toxiques dans des maisons pauvrement ventilées.
Malheureusement,
de nombreuses personnes assez riches pour éteindre les lumières sont
déterminées à en « aider » d’autres véritablement pauvres en
défendant une énergie solaire et éolienne à petite échelle, coûteuse,
intermittente et instable, qui ne pourra jamais faire de différence
significative.
Comme
l’observe le Docteur Todd Moss du Center for Global Development (Centre
pour le développement mondial), environ 600 millions de personnes en
Afrique n’ont pas d’électricité du tout et en moyenne le Tanzanien et le Libérien
utilisent moins de 80 kWh d’électricité par an. Cela représente moins de 20%
de la consommation d’électricité de son nouveau réfrigérateur Energy Star
(459 kWh par an). Pire encore, presque 60% des réfrigérateurs utilisés dans
les cliniques de santé en Afrique sont alimentés par un système d’électricité
instable, compromettant ainsi l’efficacité des vaccins et des produits
pharmaceutiques utilisés pour combattre les maladies graves. Pour de nombreux
Africains, un niveau de vie comparable à celui de la Tunisie où la
consommation annuelle par habitant est de 1 260 kWh (assez pour alimenter
quatre ampoules de 60W, un ventilateur, une télévision et un four de cuisson)
serait une avancée majeure, mais gardez à l’esprit que le citoyen américain
moyen a utilisé 10 837 kWh en 2012 !
La
pauvreté énergétique peut seulement paraître désirable aux yeux des personnes
qui ne l’ont jamais expérimentée. Cela m’est malheureusement apparu clair
lorsque j’ai vécu un an dans un coin reculé de la Chine rurale pour un échange
universitaire. Pendant l’été, alors que les températures extérieures
pouvaient atteindre les 45° C et que le fleuve Jaune était asséché, les
pannes étaient presque journalières. Toutes les machines s’arrêtaient de
fonctionner, et personne ne pouvait savoir quand l’électricité reviendrait.
Étudier ou même exercer mon corps d’une quelconque façon était hors de
question, et je devenais même reconnaissant d’être né dans une économie
développée comme le Japon.
Bien
évidemment, le but de la Earth Hour n’est pas d’apporter des
changements significatifs ou même d’avoir un impact positif, même minuscule.
En effet, les gestionnaires de réseaux électriques qui reposent
principalement sur les combustibles fossiles ont découvert que la mise sous
tension soudaine puis la montée en puissance de la production d’électricité
annulait la quasi-totalité des maigres économies attribuables à la
commutation des lumières pendant une heure.
L’objectif
de la Earth Hour est plutôt de nous culpabiliser de notre abondance
matérielle. Les écologistes pensent que les gains de l’humanité en termes de
santé, d’espérance de vie, etc., ne peuvent signifier qu’une perte pour la
Nature d’une manière ou d’une autre. Cette pulsion est bien plus vieille que
les gens ne le réalisent. Par exemple, dans son traité De l’âme publié
il y a plus de 1 800 ans, le théologien Tertullien notait avec horreur que
nous, les humains, « sommes un fardeau pour le monde », que c’est
« à peine si les éléments nous suffisent », que « les
nécessités deviennent plus pressantes », que « cette plainte est
dans toutes les bouches : la nature va nous manquer. » Et il ajoute que
« les pestes, les famines, les guerres, les gouffres qui ensevelissent
les cités, doivent être regardés comme un remède ».
Cependant,
ce que Tertullien et les écologistes d’aujourd’hui ne comprennent pas, c’est
qu’il est possible d’augmenter le nombre et le niveau de vie des êtres
humains tout en réduisant leur impact environnemental. La clef de ce paradoxe
est assez simple : une population plus grande et plus prospère ne veut pas
seulement dire plus de bouches à nourrir, mais aussi plus de cerveaux
créatifs qui, si on leur permet de se détacher des conventions, trouveront de
nouvelles et de meilleures manières de faire les choses.
Par
exemple, le développement du gaz naturel et de l’hydroélectricité ont conduit
à une réduction conséquente de la demande pour le charbon et le bois de
chauffage, réduisant par-là la pression sur les forêts et améliorant
grandement la qualité de l’air dans les villes. Un nouveau réfrigérateur de
grande taille aujourd’hui utilise moins d’un tiers de l’électricité consommée
par un modèle de la fin des années 70. Et pensez à toutes les lignes
téléphoniques de cuivre dont nous n’avons plus besoin aujourd’hui !
En
outre, la quête pour l’augmentation de la rentabilité combinée à l’innovation
technologique pousse constamment les gens à transformer le gaspillage et la
pollution en des usages positifs. Il y a un peu plus d’un siècle, l’essence
était un déchet volatile issu de la production de kérosène (raffiné à partir
de pétrole) dont personne ne savait quoi faire. Pourtant, à cette période,
l’invention de la combustion interne et des moteurs à diesel ont non
seulement transformé les résidus polluants de la production en des biens de
valeur, mais ils ont également permis de retirer les chevaux des villes,
quand ces derniers créaient des problèmes significatifs (de la fièvre
typhoïde aux collisions dues à un trafic important) tout en exerçant des
pressions significatives sur la campagne en termes de fourrage et de soins
(comme le foin pour la litière).
En
2000, la National Academy of Engineering (Académie nationale d’ingénierie)
des États-Unis a déclaré que l’électrification était le progrès le plus
significatif de l’ingénierie du XXe siècle. L’électricité
abondante, abordable et fiable, dont la plupart est produite par la
combustion des carburants fossiles, a libéré les êtres humains du dur labeur
et de la misère physique qui tourmentaient nos ancêtres. Étonnamment, une
étude suggère même que l’électricité consommée par une personne dans une
économie avancée est en moyenne équivalente à l’aide d’un personnel de 56
domestiques, dans un passé pas si lointain. Loin de nous sentir coupables,
l’électricité bon marché et abordable est quelque chose pour lequel nous
devrions nous battre, afin qu’elle soit rendue disponible pour les milliards
de personnes qui souffrent de la Earth Hour quotidiennement, tout au
long de l’année.
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