Et s’il y avait quelque chose d’un peu pourri au Royaume de l’Ednat ? C’est en tout cas la question que semblent (enfin ?) se poser certains politiciens. Et là réside un danger puisqu’à chaque fois qu’un de ces êtres étranges se pose des questions, forte est la probabilité qu’il y réponde par une ânerie assez invraisemblable.
Cette fois encore, ça n’a pas loupé. Certes, lorsque le politicien est fraîchement élu, la gamelle est bien plus facile à prévoir et lorsque, de surcroît, il s’agit d’Aurore Bergé, cette politicienne dont le plan de carrière a été entièrement bâti sur le retournement de veste supersonique et le changement de bord politique par saut quantique, il était absolument certain que toute question posée aboutirait à une réponse effarante.
Et c’est donc avec consternation que nous lisons la réponse à la question « Comment restaurer la confiance entre les familles et l’institution scolaire ? » que se sont posée Aurore Bergé et Béatrice Descamps dans les conclusions de leur « mission flash » sur les relations école-parents.
Vingt-neuf pages n’étaient pas de trop pour déclencher l’hilarité sur un sujet pourtant aride et dont les tenants et aboutissants sont lourds de conséquences pour des millions de citoyens français, sans même évoquer l’avenir du pays que l’institution dont il est question est censée préparer. Grâce à la palpitante prose de la député, nous découvrons toute une tempête de nouveaux domaines où la créativité politicienne va pouvoir s’exprimer : depuis la création de médiateurs école-parents jusqu’à la réflexion sur (je cite) « l’architecture scolaire pour créer les conditions d’une mise en application rapide de l’espace parents » en passant par la « semaine du goût » ou la « rentrée en musique », tout est fait pour rendre hilarante la lecture de ce rapport.
Les 25 propositions… Au-delà du fou rire face à certaines, il y a un truc magnifique : pas UNE ligne pour dire qui fait quoi quand et avec quoi.
Pas. Une. Ligne. pic.twitter.com/CeUBTqF0XP
— Padre_Pio (@Padre_Pio) February 1, 2018
Finalement, de l’exercice qui consistait à analyser les problèmes que rencontre l’institution scolaire et y apporter des solutions opérationnelles, tout semble avoir été fait pour le transformer en une sorte de pignolade olympique incluant sur la fin un furieux syndrome de canal carpien.
Si l’idée de base était de continuer à transformer avec application l’école en une espèce de grande garderie conviviale, écoconsciente et hyperinclusive, c’est réussi. Si l’idée était de s’atteler à résoudre les graves problèmes que l’institution rencontre, c’est un ratage chimiquement pur, parfait et qui peut assez sûrement servir d’étalon.
Sans surprise, la réaction des enseignants devant ce salmigondis de niaiseries ne s’est guère faite attendre : ils se sont payés la tête d’Aurore Bergé, en notant que d’eux ou d’elle, ce n’était pas eux qui étaient les plus détachés de la vie réelle.
Il faut dire qu’il y a comme un écart entre les bonnes intentions gluantes proposées par l’élue et cette fameuse réalité qu’un nombre croissant d’enseignants se paye en pleine poire lorsqu’ils doivent faire classe dans certains établissements.
Outre la chute du niveau général, que j’ai déjà évoquée (notamment dans ce billet), et qui n’en finit pas d’inquiéter un peu tout le monde à l’exception des turbopédagogues de l’institution elle-même, c’est aussi la question de la discipline minimale et nécessaire dans les établissements républicains d’enseignement qui revient de plus en plus souvent dans l’actualité.
Cela fait un moment que la « violence à l’école » n’est plus un thème réservé aux films d’auteurs et aux documentaires poignants d’une certaine catégorie de chaînes de télévision publique. Il a trouvé une place récurrente dans la rubrique « Chiens et élèves écrasés » de la plupart des journaux. On s’habitue apparemment à tout, même à l’insupportable ; tout est question de dose, je présume.
Alors, petites doses après petites doses, on ne s’étonnera même plus de l’introduction, discrète, planifiée et assumée, de la police directement dans certains établissements. L’excuse servie ici d’une présence policière pour rassurer en cas d’attaque terroriste est du même humour que les saillies de Bergé dans son rapport.
On ne s’étonnera pas plus de trouver un corps enseignant en grève ou en protestation devant l’accumulation de problèmes non réglés dans les établissements, à commencer par les bagarres, les insultes, les intimidations et bien plus encore. Si le cas défraye un peu la chronique actuellement (avec quelques petits mouvements académiques consécutifs histoire de donner le change), il ne faut pas perdre de vue que les cas similaires, un peu partout, sont légions ; comme on l’admet de guerre lasse, si le cas de ce lycée fait parler, c’est parce que les faits ont dépassés le seuil du tolérable : manifestement, les ateliers « Cuisine du Monde » et la « médiation parents-école dans une architecture adaptée » n’ont pas suffi à empêcher les us et coutumes de la Cité avoisinante de déborder dans l’établissement avec armes et bagages (littéralement).
Zut, les choses ne sont pas aussi faciles que les mignons rapports parlementaires qui se succèdent le laissent penser. Et flûte, la situation ne semble même pas être récente. Et crotte, ça commence à se voir même dans la presse.
Pas étonnant, dès lors, que le corps enseignant soit à ce point remonté contre l’élue et ses propositions ridicules. Pas étonnant qu’il réclame, comme à son habitude, des moyens, des sous et de l’argent pour arriver au bout du fléau qui s’étend doucement.
Ceci posé, il existe malgré tout un angle mort. Il y a bel et bien une petite déconnexion des enseignants avec la réalité : la situation n’est pas survenue par hasard et ce qu’on observe actuellement est bien le résultat logique de décennies de dégradations systématiques de la discipline, de la relation entre parents, enseignants et établissements, de la perte progressive de repères de tous les acteurs à qui on n’a pas arrêté, pourtant, de demander leurs avis.
Cette dégradation n’est pas un hasard. Oh oui, bien évidemment, les élus sont directement responsables avec les tombereaux d’âneries qu’ils ont déversés à des fins électorales pour faire plaisir soit aux parents, soit aux enseignants, soit à un mélange de ceux-là, syndicalistes inclus.
Mais ce serait aller un peu vite en besogne d’oublier que ces politiciens furent élus et que les propositions idiotes qu’ils ont formulées, encore et encore, ont régulièrement répondu à des demandes formulées par les intéressés.
Autrement dit, le corps enseignant, duquel provient une grande masse d’électeurs qui ont consciencieusement ajouté leurs voix niaiseuses aux gauchistes, bobos et autres zumanistes zumides à la morale en bandoulière, se rend compte — enfin mais bien trop tard — que laxisme et bons sentiments par barils entiers ne suffiront jamais à créer un environnement favorable tant dans le domaine éducatif que partout ailleurs dans la société, que l’ordre et l’état de droit, ça nécessite un travail de fond particulièrement complexe et que bouleverser les équilibres hiérarchiques, ça porte souvent à conséquences néfastes (dont, au passage, on n’a pas fini de voir les effets).
Eh oui : mettre « l’élève au centre », c’est mignon, mais des effets de bords étaient à prévoir. Eh oui : faire la grève pour un oui ou un non, c’est sympatoche, mais ça finit par décrédibiliser celle qu’on devra faire lorsque le risque de se faire trouer la peau augmente trop vite. Eh oui : former (ou laisser former) des élèves au marxisme culturel, c’est rigolo jusqu’au jour où ces élèves, devenus profs à leur tour, tentent l’application de leur idéologie délétère en vraie grandeur avec des résultats catastrophiques qui se retournent contre eux. Eh oui : faire du pédagogisme, oublier d’apprendre à lire, écrire et compter aux gamins et former des semi-imbéciles, ça n’encourage guère à la discipline et au dépassement de soi.
Plusieurs décennies de ce régime, auquel on devra ajouter un délitement complet du policier et du judiciaire (les voies desquels devenant totalement impénétrables pour le commun des mortels), et vous avez la recette d’un pays qui trottine droit vers des problèmes épineux…
Problèmes épineux qu’on fait semblant de découvrir maintenant et qu’aucun rapport d’élu, aussi rigolo soit-il, ne veut vraiment résoudre.
Ce pays est foutu.