Depuis quelques semaines, je vous ai encouragés à analyser le
secteur des cryptos en allant au-delà de Bitcoin et de la spéculation, en
insistant plutôt sur les bouleversements et la création de secteurs
économiques que les registres distribués peuvent provoquer. Les
crypto-actifs, un terme qui est aujourd’hui bien plus représentatif,
commencent tout doucement à convaincre. BlackRock vient notamment de publier
un billet sur son blog qui est bien loin des critiques
aveugles lancées par les acteurs de la finance traditionnelle :
Quelles sont réellement les perspectives des cryptomonnaies après
l’augmentation spectaculaire de leur valeur ? Sont-elles déjà mûres pour
devenir une cible d’investissement ? Voici ce qu’en pense Richard
Turnill, stratégiste en chef investissements de BlackRock :
Les cryptodevises sont tout feu tout flamme. Leur valeur a fortement
augmenté en 2017, pour atteindre une valeur de marché global de près de 500
milliards. Mais nous ne les estimons pas mûres à court terme pour devenir une
partie intégrante des portefeuilles d’investissement. Les marchés des
cryptodevises sont hautement volatiles, fragmentés, largement non-régulés.
Leur risque opérationnel et leur liquidité sont uniques.
Les cryptodevises ont connu d’énormes mouvements de prix. Nous avons
comparé la volatilité quotidienne sur base annualisée des 3 plus grosses
cryptodevises (Bitcoin, Ethereum et Ripple) avec les marchés actions et l’or.
La volatilité des cryptomonnaies (en bleu) est bien plus importante que celle
des actions ou de l’or. Même les mouvements importants de la Bourse durant la
crise de 2008 furent de la petite bière par rapport à la volatilité
habituelle des cryptodevises. Il y a plus de 1500 cryptodevises, ce qui rend
ce marché encore plus chaotique. Les échanges ont lieu sur plus de 400
plates-formes disséminées à travers le monde, sans livre d’ordre centralisé.
Prudence sur Bitcoin, bullish sur la chaîne de blocs ?
La nature des cryptodevises en fait une cible d’investissement risquée. En
plus de leur volatilité très importante, les cryptodevises font face à de
gros challenges tels qu’une régulation faible, des failles de sécurité auprès
des bourses d’échange et à d’autres niveaux. Leur valorisation est difficile
vu que les cryptodevises n’offrent pas de cash-flow, de dividendes ou
d’intérêts. Leur utilisation va du pari spéculatif au moyen de paiement. Le
marché évolue, cependant. Des bourses d’échange établies ont mis en place des
contrats à terme sur Bitcoin, même si pour l’instant l’accueil a été mitigé. Les
niveaux de marge élevés requis l’expliquent en partie. Un cadre régulateur
mondial pourrait être en train d’être élaboré – la régulation des
crypto-monnaies est à l’agenda de la réunion du G20 en mars.
Prudence sur Bitcoin et optimisme concernant la technologie de la chaîne
de blocs : il s’agit du consensus qui est en train d’émerger auprès des
politiciens et des grands dirigeants. La chaîne de blocs, un registre
distribué, permet d’effectuer des transactions P2P fiables. Cela signifie
l’absence d’intermédiaire ou d’autorité centralisée. Les sociétés de nombreux
secteurs, de la logistique au secteur pharmaceutique en passant par les
services financiers, s’intéressent à ce potentiel capable de bouleverser
l’économie. Mais les challenges sont nombreux. Prenons par exemple le secteur
financier. Une base de données sur la chaîne de blocs pourrait éliminer les
risques et le manque d’efficacité des processus humains, mais son adoption à
grande échelle nécessiterait un modèle de maintenance bien établi, ainsi que de
gros efforts de développement. Les régulateurs auraient probablement leur mot
à dire.
En bref
Nous pensons que les cryptodevises pourraient devenir de plus en plus
utilisées alors que le marché arrive à maturité. Nous pensons cependant
qu’elles ne devraient être considérées uniquement par ceux qui sont prêts à
encaisser une perte totale potentielle. Similairement, la chaîne de blocs
devra surmonter des barrières significatives pour tenir toutes ses promesses.
Commentaire or-argent.eu
Ce billet de BlackRock marque déjà une évolution par rapport aux
commentaires acerbes lancés par la majorité des grandes sociétés
d’investissement il y a encore quelques mois. S’il y a une amélioration, cet
article comporte encore des inexactitudes qui indiquent que même BlackRock,
qui emploie des gens à n’en pas douter extrêmement intelligents, n’a pas fait
tous ses devoirs d’analyse, ou est encore influencé par un biais cognitif.
Quelques exemples :
- « Les failles de sécurité » : elles sont dues
à l’amateurisme qui règne auprès de certaines bourses d’échange, qui se
sont engouffrées sur un filon prometteur sans disposer des compétences
nécessaires. C’est en train de changer, avec l’apparition de nouveaux
acteurs tels que la bourse de Gibraltar, ou encore l’acquisition de Poloniex
par Circle Internet Financial, une start-up qui bénéficie du soutien de…
Goldman Sachs. De plus, les failles de sécurité existent dans tous les
organismes qui gèrent de l’argent de façon électronique. Pour preuve,
des hackers ont récemment volé 6 millions de dollars à une banque
russe via le système SWIFT (source). L’article de Reuters nous rappelle qu’en
février 2016, 81 millions ont été volés à la banque du Bangladesh.
Ironie du sort, SWIFT travaille sur une nouvelle architecture basée
sur la chaîne de blocs… Les fraudes à la carte de crédit représentent
des pertes de plusieurs milliards de dollars chaque années (source). De plus, une nouvelle tendance de
plate-forme d’échange est en train d’émerger : les DEX, à savoir les
plates-formes décentralisées qui permettent aux clients d’échanger
directement de portefeuille à portefeuille leurs cryptomonnaies, ce qui
élimine le risque de contrepartie.
- « Il y a plus de 1500 cryptodevises » : comme
dit en intro, « cryptodevises » est un terme trompeur. Il y a
des titres, des jetons, des monnaies, l’équivalent de parts d’ETF, etc.
Dans le monde, il y a plus de 100 000 titres cotés en Bourse.
- Les cryptodevises n’offrent pas de cash-flow, de
dividendes ou d’intérêts : ce n’est pas toujours vrai. Détenir les
jetons de certaines start-ups vous donne droit à des dividendes sur le
chiffre d’affaires. Par exemple Bankera, qui paie un dividende
hebdomadaire prélevé sur les frais de transaction de sa plate-forme
d’échange. Il y en a bien d’autres (Astronaut Capital, C20, TAAS,
Spectre, etc.). Comme je l’ai déjà dit, c’est ce genre de projet qui
fait la majorité des nouvelles « cryptomonnaies », en fait des
cryptos-actifs.
- Les cryptodevises ont connu d’énormes mouvements de prix
: c’est vrai. Mais quid du VIX, qui a crashé de 90 % récemment, si bien
que certains traders se sont fait laminer par leurs appels de marge ?
Il y a également du vrai dans ce que BlackRock dit. Je suis très
pessimiste pour l’avenir des cryptomonnaies pures et dures, tout simplement
car les banques centrales ne pourront pas se permettre de laisser échapper
leur monopole monétaire vu que les taux négatifs pour contrer la prochaine
crise sont presque acquis. Il y a beaucoup de cryptos qui ne valent pas un
clou. En revanche, je pense que l’on va assister à la migration de tous les
actifs traditionnels vers la chaîne de blocs au fur et à mesure que les
soucis actuels seront réglés (scalabilité, professionnalisation du secteur
des plates-formes d’échange, etc.), ainsi que de nombreux processus comme le
vote (la mairie de Moscou fait déjà des consultations populaires via le
réseau Ethereum, source). Les start-ups qui s’engagent sur ce terrain et
qui proposent des tokens à dividendes présentent, selon moi, un rapport
risque/récompense assez attractif dans la catégorie des investissements
spéculatifs.