Jusqu’au
début du dix-septième siècle, la civilisation
occidentale avait eu pour philosophie celle de la Grèce et de Rome,
préservée et développée par les scholastiques de
l’Eglise Catholique. La « science » était
alors appelée « philosophie naturelle ». La
philosophie (et la philosophie naturelle) incluait la métaphysique, un
domaine d’études basé sur la déduction et qui
explique le monde matériel comme étant un effet produit par des
causes opérant au-delà du monde matériel.
Puis il y eut
deux penseurs, Francis Bacon (1561-1626) un anglais, et René Descartes
(1596-1650), un français. Les deux posèrent les fondations
d’une révolution scientifique. C’est en grande partie
grâce à eux que la métaphysique passa de mode et le
demeura. L’induction – la découverte des lois physiques
basées sur l’expérimentation - fut proposée par
Francis Bacon comme l’unique méthode conduisant à la
vérité scientifique ; René Descartes aida
puissamment avec ses découvertes mathématiques. (Les graphes
que nous aimons tant et sur qui nous nous reposons sont de son invention.)
La philosophie
classique déclina et le matérialisme (“toute science est
mesure et seule la mesure est science”) envahit le monde.
La révolution scientifique en elle-même n’aurait
pas changé le monde de telle manière s’il n’y avait
pas eu un facteur particulier rendant possible la révolution
scientifique : l’invention de la machine à vapeur
fonctionnant avec l’énergie locale. La révolution
scientifique et le charbon ont amené la révolution industrielle
que les historiens datent d’environ 1780.
Cent ans plus tard, aux environs de 1880, il devient clair que
l’énergie pétrolière va devenir
l’énergie du futur. Depuis cette date, le pétrole
constitue une énergie abondante et bon marché pour le monde
entier. Le pétrole est, et doit être, produit en
quantités croissantes pour permettre de soutenir la croissance
mondiale à un rythme toujours plus rapide.
L’évaporation de la civilisation
L’histoire de la civilisation occidentale depuis la
révolution industrielle peut être comparée à une
casserole d’eau posée sur le feu allumé. Alors que de
plus en plus d’énergie atteint l’eau dans la casserole,
l’eau commence à s’agiter à
l’intérieur de la casserole, puis commence à faire de la
vapeur ; ensuite l’eau frémit, fait bientôt des
bulles et bout. Cela continue ainsi jusqu’à ce que tout se soit
évaporé.
C’est ce qui s’est passé dans toutes les
sociétés humaines sous l’influence des quantités
croissantes d’énergie provenant de sources diverses que
l’on leur injectait, mais bien entendu, surtout de pétrole.
Toutes les sociétés ont été
déstabilisées par l’énergie qu’on leur
injectait. Comme les sociétés sont constituées
d’êtres humains, on peut clairement observer comment, plus une
société est « développée »,
plus l’activité physique et mentale de sa population est
grande ; la population n’a pas vraiment le choix
d’être ou non en activité incessante. Qu’on
l’aime ou pas, l’énergie dans les sociétés
dans lesquelles nous vivons est la matière qui nous propulse : le
mouvement, physique et mental, devient un impératif comme celui de la
molécule d’eau dans la casserole d’eau bouillante. Chaque
américain consomme, je devrais plutôt dire, est
« bouilli » par 27 barils de pétrole par an. Le
chiffre pour le Mexique est de 7 barils par personne et par an. Pour la Chine, autour de 2.
Ceci
déstabilise n’importe quelle société, parce que
l’énergie accrue qui y est injectée pour propulser les
êtres humains vers une vie encore plus agitée fait entrer ces
humains en collision avec des institutions stables d’une époque
précédente plus calme. Les institutions elles-mêmes ne
peuvent plus contenir les mouvements des humains. Toutes les institutions
cèdent ; aux Etats-Unis, le chaos grandissant face à
l’émiettement des contraintes institutionnelles a produit une
situation dans laquelle un américain sur 150 est en prison.
Je peux citer plusieurs institutions qui sont en train de
fondre : la famille, les mœurs sexuelles anciennes, le respect pour
l’Autorité, pour n’en citer que trois. Mais je
m’intéresse particulièrement à l’institution
que constitue la monnaie.
L’évaporation
de la monnaie
L’institution de la monnaie s’est complètement
évaporée ! Nous ne nous servons plus du tout de la monnaie
quel que soit l’endroit où nous nous trouvons dans le monde. Ce
que l’humanité utilise comme monnaie est un simulacre de
monnaie : de simples bons qui sont utilisés partout comme moyen
d’échange.
Cependant, ces
bons ne sont pas véritablement de la monnaie - de la monnaie
définie en tant que chose ayant la valeur, qui une fois
délivrée, en constitue le paiement. La monnaie
d’aujourd’hui est une non-chose, un simple nombre soit
imprimé sur un billet ou pressé sur une pièce ou un
nombre représenté par des bits sur un disque d’ordinateur.
Comme la monnaie n’est pas une chose mais une non-chose, la tendre dans
un échange ne peut pas et ne constitue pas un paiement.
Qu’est-il
advenu de la monnaie? L’augmentation de l’activité humaine
résultant de la révolution industrielle a son origine dans le
processus injectant de l’énergie dans les sociétés
humaines ; l’augmentation de l’activité humaine est
reflétée par une grande augmentation du commerce, des
transports et des moyens de communication. Le charbon, puis le
pétrole, ont rendu les gens incomparablement plus actifs et plus
agités qu’à aucun moment auparavant dans
l’histoire. Tandis que le commerce, les transports et les
communications augmentaient en volume et en vitesse, le besoin d’un
moyen de paiement plus rapide et plus aisé vit le jour presque
naturellement. Ainsi un « dérivé » de la
monnaie fut utilisé communément : un billet convertible
fut accueilli favorablement par une population mondiale appelée
à l’action par l’énergie pompée dans cette
société.
L’utilisation
de billets –dérivés de la monnaie- plutôt que de
monnaie réelle elle-même, donna lieu à une inflation de
l’offre de monnaie. Ces dérivés étaient
utilisés avec un effet de levier par rapport à leur
référent, la véritable offre de monnaie. Cette inflation
de l’offre de monnaie au moyen de dérivés
déformait le niveau de production au-delà des besoins
réels du marché.
Les banquiers
ne sont pas des intellectuels. Ce sont des gens assez ordinaires, de sang et
de chair, qui veulent développer leur affaire de manière
à récolter le plus de richesses possibles. Leur attention ne se
porte pas sur les principes. Les banquiers et les économistes
qu’ils emploient se penchent sur les méthodes
l’élimination des barrières limitant leur commerce qui
est l’octroi de crédits.
Pour faire
bref, les dérivés –qui furent inventés pour
faciliter le volume et la vitesse toujours croissante des transactions
causées par l’application de volumes croissants
d’énergie à la société- finirent par
déplacer le référent sous-jacent lui-même, la monnaie
en or ou en argent.
Actuellement,
les billets ne sont plus des dérivés de l’or ou de
l’argent. Ils ne se réfèrent à aucune valeur
sous-jacente et ne promettent rien à leurs détenteurs. Ils ne
sont plus de la monnaie, bien qu’ils en aient l’air.
Depuis le 15 août 1971, la monnaie mondiale a cessé
d’être une chose, ou bien même un dérivé
d’une chose, en conséquence les nations n’ont pas fait les
comptes entre elles depuis cette date. Elles se sont contentées de
brasser des bons (dollars, euros, yen, livres etc.) qui sont les moyens
d’échange utilisés.
Le
pétrole a supplanté presque toutes les institutions du monde.
C’est un fait terrifiant, car une société sans
institutions, c’est la définition d’une
société barbare. Un monde sans institutions qui perdurent,
limitent et organisent la vie humaine, c’est un monde barbare. La
dernière institution restante est une institution qui
caractérise le barbarisme : l’armée. C’est ce dont nous nous
approchons aujourd’hui.
Pourquoi le pétrole a-t-il supplanté presque toutes les
institutions du monde ? Pourquoi le monde occidental se dissout-il dans
la casserole d’eau bouillante que j’ai mentionnée? La
réponse est la suivante : parce que le monde s’est
détourné de la philosophie au début du
dix-septième siècle. Petit à petit, la sagesse
accumulée au cours de deux milles ans de philosophie a
été écartée en faveur du brillant succès
du matérialisme scientifique et de ses applications à la
production de merveilles éblouissantes utilisant du pétrole et
encore plus de pétrole. Les principes retardaient et gênaient
les hommes qui étaient pressés ; le pragmatisme et le
pratique étaient les favoris des gens dans les affaires. Les principes
sont pour les gens « carrés », le pragmatisme
tangue.
La philosophie
nous a quitté parce qu’elle n’était pas
désirée et nous a délaissés pour bouillir sur
notre casserole, posée sur un poêle à pétrole, et
nous y sommes maintenant, en train de bouillir, jusqu’à ce que
nous retournions au barbarisme.
LE Nouvel Ordre Mondial est basé sur une énergie abondante
et une monnaie factice
Ceux qui règnent sur le monde aujourd’hui peuvent le
faire grâce à la monnaie factice que nous utilisons – la
monnaie réelle s’est évaporée il y 35 ans. Ils
observent une déstabilisation de toutes les sociétés du
monde ; les maîtres de la monnaie ont le pouvoir
d’émettre des montants illimités de monnaie factice et de
crédit libellé dans cette monnaie factice. Ils en arrivent
à la conclusion que le monde, dans cet état de flux et de
semi-barbarisme, est mou et malléable et susceptible de prendre la
forme que bon leur semble selon les circonstances. Les sociétés
aux institutions débiles ou évanouies sont des
sociétés qui manquent de structures, elles sont flexibles et
peuvent être formées comme du fer rouge.
C’est ce
que les dirigeants ont l’intention de faire. Il y a deux
impératifs : le pétrole doit être abondant et la
monnaie factice, elle, n’avoir aucun concurrent. Avec ces deux
éléments, le contrôle et la forme de la
société mondiale sont entre leurs mains.
Cependant, je
pense que ces soi-disant contrôleurs du monde se fourvoient
eux-mêmes. Si nous n’avons pas encore atteint le « pic
du pétrole » maintenant mais que nous ne l’atteignons
que dans 50 ans, le pétrole va probablement devenir très rare
et très cher. La conséquence est que les sociétés
du monde qui commencent à ralentir, et ralentir, cela signifie
qu’il y a davantage de temps pour réfléchir mais aussi
moins de mouvements erratiques en réponse aux injections
d’énergie. Le ralentissement va entrainer une contraction du
nombre de personnes vivant dans ce monde. Moins de pétrole, cela veut
dire moins d’engrais, moins d’irrigation, moins de machines pour
semer et récolter, moins de transport pour déplacer ces récoltes
et moins d’énergie pour transformer et emballer les produits
agro-alimentaires et les faire parvenir sur le marché. Moins de
nourriture sur les marchés, cela se traduit une baisse de la
population.
Triste
réalité, mais réalité probable tout de
même.
Tandis que le monde ralentit parce que “le feu sous la casserole
brûle moins fort » et que les gens ont davantage de temps
pour s’asseoir et réfléchir dans un environnement
« plus serein », l’humanité pourrait être
capable de récupérer sa tranquillité et d’entamer
une reconstruction des institutions conduisant à la vie
civilisée. L’emprise des dirigeants du monde ne pourra pas
demeurer toute puissante.
Comme pour la
monnaie factice, les soi-disant dirigeants vont tenter de supprimer toute
compétition. Alors que l’humanité rabougrie souffre du
processus de ralentissement, il se peut qu’elle redécouvre la
philosophie ; il se peut qu’elle guérisse des illusions
matérialistes de la révolution industrielle et de
l’âge du pétrole. La tranquillité –
s’asseoir, réfléchir ou contempler- est aussi une
activité, l’activité la plus haute de l’âme,
de fait : la contemplation de la vérité est une pure
action de l’intellect.
Il est possible
que les gens se débarrassent de la croyance irrationnelle dans la
monnaie simulée. L’énergie a rendu la
société tellement folle que seuls peu de gens peuvent voir
derrière le rideau. Comme « Alice au pays des
merveilles », nous sommes tous en train de courir comme des fous
pour rester au même endroit. La réintroduction de la monnaie
authentique dans la société sera une
« fondation nouvelle» de la vie civilisée :
les paiements signifieront de nouveau donner quelque chose en
échange d’une autre chose et non pas seulement échanger
un bon sans valeur contre une chose réelle. La vraie monnaie est
l’institution centrale d’une société (religion et
philosophie exceptées, en tant qu’institutions
supérieures, d’ordre plus élevé). La vraie monnaie
est le ciment matériel qui maintient la cohésion d’une
société et permet la vie civilisée grâce à
une division du travail paisible. Sans ce ciment, nous ne pouvons pas
bâtir de grandes entreprises, le ciment social de la vraie monnaie
absent, la vie sociale devient impossible et nous vivons dans un état
de guerre virtuel parmi nous. La véritable monnaie doit être
redécouverte tandis que l’activité du monde commence
à se ralentir.
L’énergie gratuite est la mort de la civilisation
Actuellement,
les scientifiques travaillent à l’invention de machines qui
produisent de l’électricité à partir
d’énergie dans l’espace ; le flux d’énergie
sera toujours inexhaustible quel que soit le volume désiré.
Ceci est un projet certifié et garanti pour « faire
bouillir l’eau dans la casserole », ce à quoi nous
avons fait allusion plus haut, jusqu’à la dernière
goutte, et pouf ! l’humanité se sera
évaporée, remplacée par des sauvages brutaux. En Suisse,
il existe actuellement une petite communauté religieuse
chrétienne près de la ville de Linden. Dans un bâtiment
de cette communauté, une machine produit davantage
d’énergie qu’il n’en faut pour la faire fonctionner.
Pourquoi cette machine n’a-t-elle pas été mise sur le
marché ? Les aînés de la communauté
répondent : « parce que l’humanité dans
son état actuel n’est pas prête pour cela ».
Ils ont absolument raison. Mais d’autres travaillent sur ce projet et
font des progrès –vers l’extinction définitive des
humains.
Francis Bacon et René Descartes initièrent le
début de la religion des chiffres et des quantités de notre
époque moderne. La mesure en tant qu’ «alpha et
oméga des sciences » est basée sur le Nombre.
René Guénon, un philosophe français de la
première moitié du vingtième siècle a
appelé notre époque « le règne de la
quantité » dans un livre du même titre. Et vraiment,
l’humanité a été séduite, elle a
oublié deux mille ans d’héritage de la philosophie et
s’est tournée vers la religion des nombres et les nombres et les
mesures sont liés à la matière. Ainsi le
« règne de la quantité » est devenu
la « règne de la matière ». Le
matérialisme est notre anti-religion.
Guénon
pensait que notre époque faisait partie d’un cycle et que la
durée de notre cycle s’approche de sa fin à un rythme
accéléré. Le cycle se répète et passe de
la Qualité à la Quantité , tandis que la
décadence s’installe. A la fin du cycle, notre humanité
actuelle disparait et une nouvelle humanité entre en scène.
L’humanité
va-t-elle se sortir de cette orgie d’énergie
pétrolière qui a banni notre tranquillité
d’esprit, la philosophie, la religion et les institutions
civilisées de l’humanité. Je pense que c’est possible.
Allons-nous
réussir à nous détruire nous-mêmes avec ces
machines « à énergie libre » ? Peut-être.
Sommes-nous
destinés à l’extinction par la loi d’un cycle
inévitable qui contrôle la vie humaine ? Je ne crois pas.
Si suffisamment
de personnes étaient conscientes de la casserole dans laquelle nous
sommes en train de bouillir, nous pourrions peut-être faire quelque
chose pour contrecarrer le cours des événements.
L’Institution
de la vraie Monnaie
Je suis en faveur d’un plan qui réintroduise la monnaie
argent en circulation parallèlement à la monnaie papier
factice. La méthode permet à cette monnaie argent de coexister
quelques temps avec la monnaie simulée en dépit de volumes
croissants de monnaie papier qui sont injectés dans la
société. C’est pour cela que l’on ne gravera sur
les pièces d’argent aucune valeur nominale. Les monnaies
précédentes en argent (et or) ont été
retirées de la circulation monétaire parce que
l’inflation monétaire a fait que la valeur d’or ou
d’argent contenue dans les pièces de métal
dépassait la valeur gravée. En conséquence, la monnaie
or et argent a atteint le « point de fonte » et a
été démonétisée.
“Un
commencement c’est davantage que la moitié” disaient les
grecs de l’antiquité. Pour réintroduire
l’institution de la véritable monnaie en tentant d’abolir
la monnaie simulée d’un seul coup, c’est appeler à
un effondrement massif de toute l’activité économique. Je
pense que cet appel ne pas être soutenu par une majorité
de gens de n’importe quel pays. D’un autre côté,
l’introduction de l’institution d’une vraie monnaie en
parallèle avec la monnaie simulée est une invitation non
menaçante qui offre une ouverture vers des visions neuves et
attractives.
Les conditions
modernes de l’inflation perpétuelle de l’offre de monnaie
rendent les pièces d’or et d’argent dont la valeur est
gravée dessus obsolètes. A cette époque, le métal
précieux ne doit pas porter de valeur gravée –mais
seulement une valeur indiquée, déclarée par une
autorité monétaire. Alors que la valeur de l’or et de
l’argent augmente en raison de l’inflation, la valeur
déclarée officiellement augmente aussi. Une condition
indispensable pour que ces pièces deviennent véritablement de
la monnaie et que cette indication de valeur ne doit à aucun prix
être réduite.
Aujourd’hui, c’est tout ce qui est nécessaire pour
récupérer une véritable monnaie, la plus fondamentale de
toutes ces institutions matérielles. Cette institution doit être
créée, peut importe si la quantité de métal
précieux est faible. En s’en tenant aux principes ou à la
qualité, plutôt qu’à la quantité et au
nombre, une société instituant une monnaie véritable va
agir dans le sens du plus haut intérêt de la vie humaine.
Dans les termes d’un homme d’Etat éclairé, George
Washington: « Elevons un standard que le sage et
l’honnête puissent réparer ».
Le temps va
révéler les contradictions dévastatrices qui vont mettre
un terme à la simulation de la monnaie. Une véritable monnaie
basée sur un principe éternel – un paiement, c’est
donner quelque chose en retour de quelque chose d’autre -. Quand la
grande farce de simulation de la monnaie sera terminée, les
pièces d’or et d’argent serviront la paix et la
coopération entre les êtres humains, et non pas les barbares.
Hugo Salinas Price
Président
de l’Association Civique Mexicaine pour l’Argent
www.plata.com.mx/plata/
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