Parmi les fables
qui circulent à propos de la crise des subprimes, figure en bonne
place celle selon laquelle le secteur financier, et notamment celui des
Etats-Unis, aurait été totalement
dérégulé depuis la fin du siècle dernier. Entre
autres voix, je lisais encore, sous la plume de DSK, ou j'entendais avant
hier par la voix de Pascal Lamy sur BFM, que "le secteur financier
américain était beaucoup trop dérégulé".
Martelez un mensonge ad nauseam et il deviendra vérité. Bien
des honnêtes gens, abusés par tant de certitudes
assénées par de si doctes gens, croient que le secteur
financier est devenu une sorte de jungle sans foi ni loi.
C'est, bien
évidemment, une pure fadaise destinée à alimenter un
préjugé anti-libéral. En fait, dans le monde entier, les
règles applicables aux secteurs de l'assurance et de la banque sont
devenues toujours plus nombreuses et contraignantes. L'économiste
Philippe Nataf a découvert que le code bancaire du Massachussets
comportait 37 pages en 1860. Aujourd'hui, la réglementation occupe des
rayonnages qui couvrent l'intégralité des murs d'une grande
salle de bibliothèque de la représentation locale de la FED.
J'ai eu
l'occasion d'évoquer le caractère hautement nocif de
l'application bête et méchante d'une norme comptable
appelée Mark
to Market, ou "Fair value accounting". Mais
ce n'est là qu'un des volets de l'hyper-réglementation qui
touche la sphère financière américaine.
Quelques chiffres
Tout d'abord,
voici une liste des lois importantes
ayant affecté le secteur financier américain (Banques - Je n'ai pas
trouvé de liste similaire pour les assurances), et dont
beaucoup sont encore en vigueur. Attention, les lois "secondaires"
en sont omises, encore que l'on puisse se demander si le CRA, qui
ne figure pas dans la liste, est une loi secondaire... Ces lois sont de
longueur inégale, je ne les ai pas toutes examinées. Mais
à titre d'exemple, vous pouvez vous même juger du nombre de
pages du "Bank Holding Company act"
de 1956 toujours applicable, ou de la loi Sarbanes
Oxley en 2002. Notez que lorsqu'on dit, par exemple, que
le "Glass Steagall act" de 1933 a été aboli, cela
signifie seulement que certaines dispositions en ont été
abandonnées et que les autres ont été reprises par la
loi de 1999 qui l'a remplacée, en complément de nouvelles
règles. Que certaines de ces règles soient venues assouplir
d'anciens textes ne permet pas, à l'examen de ces lois, de parler de
"dérégulation
sauvage" !
Cependant,
même une thèse d'un assouplissement des réglementations
ou de leur application au cours des dernières années
demanderait un examen approfondi. Une étude du Mercatus Center
(George Mason University) nous apprend que durant la période
1990-2007, les dépenses des agences fédérales
régulant le monde financier ont cru de 43% hors inflation, et que le
nombre de régulateurs financiers travaillant pour ces agences est de
l'ordre de 12 000. Accessoirement, dans les années qui ont suivi le
vote de Sarbanes Oxley, la réglementation du secteur financier (Banque
et assurance) a gonflé de 70 000 pages (soixante dix mille, pas une
faute de frappe). Qu'est-ce que ce serait si la finance américaine
n'était pas "abusivement dérégulée"...
Exemple de
régulation nocive: l'évaluation normative des portefeuilles
d'investissements
Mais plus que le
poids brut des textes opposables, ce sont leurs effets pervers qui
mériteraient un livre. Je m'en tiendrai à ce qui restera
sûrement considéré plus tard par les historiens de
l'économie comme le "noeud" non pas du déclenchement
de la crise, mais de sa transmission à tout le système
financier mondial: l'essor de techniques de titrisation aux effets mal
maîtrisés.
Mindles Dreck (Pseudonyme ironique d'un
professionnel de la finance), déjà cité sur
ce blog, a écrit, au lendemain de l'affaire Enron, un article
très pédagogique sur les origines des produits
dérivés les plus "shadocks":
ils sont les enfants d'un abus de régulation, de normes
imposées aux banques et assurances pour pondérer la valeur de
leurs portefeuilles de couverture. Je vous livre un très libre
"résumé-traduction", car cela en vaut la peine pour
comprendre le bazar dans lequel nous sommes :
Les
compagnies d'assurance furent une mine d'or pour les vendeurs de
dérivés. Non que leurs managers soient des idiots, mais
parce qu'ils doivent gérer leurs investissements dans un
enchevêtrement de réglements particulièrement
contraignants. Régulation fédérale, régulation
d'état... Ils remplissent chaque trimestre un rapport statutaire
utilisant des calculs de prix réglementés (NdT: pour leur portefeuille d'actifs),
qui déterminent des ratios de risque.
Bien
que l'assurance ait été lourdement réglementée
depuis la fin de la seconde guerre, les cas de fraude ou de mauvaise gestion
ont été nombreux et spectaculaires, et encore, pour chaque cas
médiatisé, il y en a des dizaines moins importants dont vous
n'entendrez pas parler. C'est peut être la nature de l'activité
qui le veut, mais cela ne constitue pas à première vue un
argument pour plus de régulation.
Les
régulateurs passent trop de temps à regarder les instruments
utilisés dans un portefeuille d'une compagnie d'assurance plutôt
que le portefeuille en lui même. Les règles, dans la plupart des
états, pénalisent voire interdisent l'investissement dans les
obligations de signature de qualité inférieure, et la plupart
du temps en capital. Ils évaluent les crédits en fonction de
leur notation S&P ou Moody's...
Seulement
voilà: les compagnies d'assurance ont besoin du rendement des
obligations les moins bien notées (ndT: Sans quoi, leurs fonds n'auraient pas de valeur
ajoutée par rapport à l'achat de bons du trésor...).
Les vendeurs de dérivés trouvent là une
opportunité de bâtir des produits autour de ces
réglementations. Ils packagent des fonds de placement qui dissimulent
la volatilité des prix pour certains types de risques en
théorie proscrits. Ainsi l'investisseur peut il être
récompensée pour une prise de risque additionnelle, et le
banquier est rémunéré pour son montage.
Un
exemple simple en sont les CBO, "Obligations
collatéralisées par des obligations" (ndt: !!!),
crées en groupant des obligations de signature moyenne ou basse dans
un "véhicule à usage spécial" (SPV), et
faisant émettre par ce fonds au moins deux instruments de dette, l'un
"senior" à remboursement prioritaire et taux plus faible,
l'autre "junior" à taux élevé mais risque de
défaillance plus élevé. La tranche
"sénior" obtient une note élevée du fait de
l'effet amortisseur de la tranche "junior". Le coupon
"junior", par exemple, absorbe les premiers 10% de pertes de tout
le portefeuille, les bons "séniors" ne sont impactés
que lorsque les pertes excèdent ce montant. Les obligations
"junior" sont communément appelées les "Tranches
Z", obligations à haut risque, adaptées seulement aux
spéculateurs... Ou à certains gestionnaire de fonds publics
incompétents, comme dans certains comtés de Californie.
Les
CBO ne sont qu'un exemple parmi d'autres d'outils financiers bâtis
autour de la réglementation de notation du crédit. La plupart
d'entre eux parviennent au même résultat: ils réduisent la
fréquence des pertes, mais a contrario, ils en augmentent la
sévérité. Ils s'écroulent
rarement, mais quand cela arrive, cela produit souvent un immense
désordre !
(ndt: La crise actuelle vérifie
plus que largement ce constat !)
Les
instruments packagés autour des notations d'agence sont moins
risqués que le pool d'actifs qu'ils représentent mais bien plus
risqués et surtout plus illiquides que les investissements directs
autorisés auxquels ils se substituent. Résultat, ils versent un
rendement plus élevé à l'investisseur, malgré des
commissions bancaires plus élevées. Le "premium" peut
couvrir ou ne pas couvrir suffisamment le risque associé, mais
l'important est que ces titres obtiennent la sacro-sainte note d'agence
exigée par le législateur. Ils sont ainsi, parfois, le seul
véhicule d'investissement possible pour des portefeuilles
encadrés par des règles de rating mais qui recherchent malgré
tout un peu de rendement.
Ces
transactions enrichissent surtout les banquiers d'affaires, mais
réduisent les rendements corrigés du risque versés aux
investisseurs, lesquels subissent donc un coût des contraintes
réglementaires plus élevés que ceux qui peuvent se
permettre d'acheter directement des actifs ne recourant pas à ces
techniques de titrisation, qui n'embarquent donc pas avec eux le coût
du montage financier.
Note
du traducteur: et voilà pourquoi dans cette
crise, les Hedge Funds, peu réglementés, sont moins à
blâmer pour le déclenchement de la crise que les banques et les
assurances sous la coupe de Bâle II et lois similaires...
Les
règles qui se focalisent sur la transparence sont bien plus efficaces
que celles celles qui tentent d'infléchir les choix des investisseurs,
et imposent bien moins de charge bureaucratique sur les entités
régulées. La SEC est très constructive de ce point de
vue, les obligations de divulgation qu'elle impose aident efficacement les
analystes privés (agences de notation ou autres) et permettent
à de l'information utile de qualité d'être disponible
pour le plus grand nombre.
La
réponse aux crises n'est pas d'ajouter des listes plus ou moins vagues
d'interdits, mais d'obliger à la plus grande transparence possible des
livres de compte (Ndt: la complaisance vis à vis
des engagements hors bilan, que
les états ne sont pas les derniers à utiliser,
doit évidemment cesser !) et laisser l'acheteur faire ses
choix en conséquence. En paraphrasant Winston Churchill, "c'est
le pire des systèmes, à l'exception de tous les autres".
Avec les
meilleures intentions du monde, des réglementations censées
limiter les risques encourus par les établissements en charge de notre
épargne ont en fait réduit la probabilité d'occurrence
de pertes, mais en ont démultiplié les montants : ce n'est pas
vraiment ce que l'on peut appeler une bonne façon de réduire
les risques !
Au contraire, la
liberté de composition des portefeuilles des investisseurs
institutionnels aurait d'une part permis d'économiser les coûts
d'intermédiation artificiellement imposés à leur fonds
par la titrisation, et surtout, cette
liberté aurait permis d'éliminer plus rapidement les mauvais
investissements de leurs portefeuilles, car des "petites" crises
affectant un nombre limité d'acteurs se seraient produites plus
tôt, envoyant à temps un signal salutaire aux autres
gestionnaires de fonds.
Réguler
plus ? ou réguler mieux ?
Ce sont donc, une
fois de plus, les réglementations qui ont conduit les agents
économiques à mettre au point des outils mal
maîtrisés qui ont transformé une crise sectorielle, la
crise du crédit hypothécaire américain, en crise
financière mondiale. On pourra toujours reprocher aux acteurs de la
finance de n'avoir pas été clairvoyants dans
l'évaluation des risques induits par leur créativité
financière, et ce reproche est fondé: la contrainte
étatique ne supprime pas l'obligation d'être compétent !
Mais dans l'ordre des responsabilités, ce sont bel et bien les
états et leurs règles ultra-normatives qui arrivent nettement
en première position.
Et quelle que
soit la somme d'intelligence mise dans l'élaboration de nouvelles
régulations législatives toujours plus restrictives, celles ci
ne parviendront jamais à éviter ni les effets pervers ni les
stratégies de contournement qui en découlent, amenant elles
même leur lot d'effets pervers.
Ce n'est pas
de "plus de régulation" dont nous avons besoin, mais
un retour à une régulation simple, fondée sur des
principes connus de tous -- honnêteté, sincérité
des contrats, responsabilité--, mettant l'accent sur la transparence
et non sur l'interdit, exprimée en terme de résultat, laissant
les questions normatives à des labels privés contractuels,
obligeant les investisseurs à exercer leur jugement, et où
l'intervention prioritaire de l'état serait celle du juge,
chargé d'identifier les responsabilités quand un contrat est
mal exécuté.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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