Débattu
depuis le 3 mai à l'Assemblée nationale, le projet
d'interdiction constitutionnelle des déficits publics défendu
par le Premier ministre François Fillon a suscité de nombreuses
réactions, tant chez l'opposition socialiste, attachée au
« modèle » social français, que chez les
partisans de la rigueur, sceptiques sur l'efficacité
d'une « règle d'or » qui ne concerne que les
dépenses dites de fonctionnement.
C'est
l'occasion de réfléchir sur ce qu'il faut bien appeler la
fonction politique des déséquilibres budgétaires.
Un modèle qui revient cher, même soldé
Les
déficits publics sont ordinairement considérés, à
raison, comme le symptôme d'une mauvaise gestion de l'argent du
contribuable. Les 79% d'opinions
favorables à l'interdiction des déficits publics semblent
témoigner de l'impopularité croissante d'un fonctionnement
ruineux pour l'économie. Si les Français perçoivent le
problème différemment selon leur revenus (un allocataire du
Revenu de Solidarité Active (RSA) au chômage approuvant
davantage un système auquel il ne contribue
« que » via la TVA), ils constatent en grande
majorité que le bilan de notre « modèle social »
est objectivement désastreux.
Et
pourtant ce modèle, tout en coûtant excessivement cher aux
Français, leur est facturé à un prix anormalement bas.
Ce n'est guère rassurant, au contraire : cela signifie que les
sommes déjà considérables prélevées sur
les revenus et le capital du contribuable ne financent qu'une partie des
dépenses de l'État et des collectivités territoriales
– l'autre partie étant « prise en charge »
par une dette susceptible d'atteindre 100% du PIB en 2016.
Plus qu'un symptôme
Décrire
le déficit (148,8 milliards d'euros en 2010, soit plus de 7% du PIB)
comme un symptôme n'a pas plus de sens que de voir dans le RSA une
conséquence naturelle des bas salaires, ou dans les subventions aux
entreprises moribondes la conséquence de leurs difficultés. Dans
tous les cas, une volonté politique est requise, qui indique que les
déséquilibres budgétaires ne sont pas simplement les
conséquences de décisions publiques mais aussi l'outil bien
compris du jeu politique.
Le
problème, on le voit, n'est pas « que » moral
(le sort des générations à venir) ou économique,
il ne se limite pas au régime des retraites ou aux 25 000 euros de
dette par habitant. Il faut voir plus loin également que les
opportunités dont profiteraient les Français sous un gouvernement
moins interventionniste. Le problème est aussi politique : quelle
peut être la légitimité de gouvernements qui dissimulent
aux citoyens le coût réel de leur politique ?
Car
creuser le déficit est une forme de dissimulation, la
possibilité de s'endetter faisant paraitre notre politique sociale
plus abordable, et le gouvernement plus sage, qu'ils ne le sont
réellement. Le fait est que les Français n'accepteraient pas de
payer autant pour obtenir beaucoup moins, ni de payer davantage pour
bénéficier des mêmes prestations. S'il n'était
« subventionné » par la dette, le
« modèle social » auquel les Français
sont si attachés serait perçu avant tout comme un fardeau et
appartiendrait probablement déjà au passé.
On ne change pas une équipe qui perd
D'ailleurs,
loin de rejeter ce modèle, les Français le défendent.
Bien sûr, selon un sondage de l'IFOP, seuls 7% des
Français estiment justifié de contenir
les déséquilibres budgétaires en augmentant les
impôts, afin d'adapter les recettes aux dépenses. Il est
vrai que la taxe pour le RSA, sur les assurances et mutuelles, et les
franchises médicales (pour ne citer que les trois plus importantes
taxes créées par Nicolas Sarkozy depuis son élection) sont
venues alourdir une fiscalité déjà écrasante.
N'en déduisons pas pour autant que les 93% préférant une
baisse des dépenses publiques désapprouvent la politique qui en
est l'origine.
En
vérité, parmi ces 93%, la plupart voient sans doute la
maîtrise des dépenses publiques comme un moyen de sauver le
« modèle social français ». C'est ce que
montrait un
sondage de l'IPSOS réalisé en 2006. Si la majorité
(54%) des personnes interrogées trouve que le modèle social
français fonctionne mal, une majorité plus importante encore
refuse de voir remis en cause les « acquis sociaux »
(congés payés, retraites, minima sociaux, etc.). Même les
personnes conscientes que les cotisations sociales absorbent plus de la
moitié de leur salaire restent malgré tout persuadées
que la sécurité sociale et les politiques d'inspiration
keynésienne (le plan de relance de 2008 par exemple) ne sont
critiquables que dans leurs excès, pas dans leur principe.
Comment
expliquer la persistance de cette croyance autrement que par la banalisation
de l'endettement public ? Les Français vivent au-dessus de leurs
moyens et ne comprennent pas pourquoi l'État devrait renoncer aux
emprunts après en avoir si longtemps abusé. En votant l'interdiction
constitutionnelle des déficits publics, les parlementaires rompraient
la spirale de l'endettement et confronteraient les Français à
la nécessité de produire la richesse au lieu de l'emprunter.
Nils Sinkiewicz
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