Faut-il
soumettre les très hauts salaires à l'impôt sur les
sociétés ? Oui, selon le ministre du Travail Xavier
Bertrand, qui annonçait
récemment sur France Inter une possible taxation des
rémunérations « extravagantes »
versées à certains dirigeants d'entreprises. Cette
réforme du code des impôts séduira peut-être ces
99% de salariés dont le salaire brut annuel moyen est inférieur
à 215
600 euros, mais est-elle légitime pour autant ?
La critique des très hauts salaires
présuppose l'existence d'un seuil au-delà duquel les
rémunérations ne sont plus justifiées et constituent de
ce fait une insulte aux autres salariés. Ainsi l'Observatoire des
inégalités dénonce-t-il des revenus « bien
supérieurs à ce que le talent, l'investissement personnel, la
compétence, le niveau élevé de responsabilités ou
la compétition internationale peuvent justifier ».
Le rédacteur en chef d'Alternatives Économiques, Guillaume
Duval, défend une position similaire, soutenant que l'entreprise est « fondée
sur le travail, la créativité, l'engagement et
l'efficacité de dizaines de milliers de personnes ».
Le
message est clair : les entreprises ne savent pas ce qui est bon pour
elles et doivent être sanctionnées quand elles versent à
leur PDG des rémunérations jugées indécentes.
Cette conception est certes validée par le code fiscal
français, qui stipule en son article
39 que les salaires n'échappent à l'impôt sur
les sociétés qu'à condition de ne pas être
« excessives eut égard à l'importance du service
rendu ». Malheureusement, on part du principe qu'un salaire
excessif est nécessairement un « très haut salaire »,
oubliant que même un salaire
moyen, voire bas, peut être excessif « eut égard
à l'importance du service rendu ».
Force
est de constater que les raisons
invoquées pour justifier le plafonnement ou la taxation des hauts
salaires tiennent moins de la réflexion que de l'opinion. Est-il
judicieux de s'en remettre au « sens commun » pour
différencier les rémunérations
« raisonnables » des rémunérations
« excessives » ? Les ministres et parlementaires
en croisade contre les « riches » distingueront-ils le
sens commun « raisonnable » du sens commun
« excessif » quand ils comprendront qu'eux-mêmes,
aux yeux de nombreux Français, font partie de ces nantis
« payés à ne rien faire » ?
On
ne le répétera jamais assez : ni le degré de
compétence d'un PDG ni le montant de son salaire ne justifient que
l'État intervienne pour modérer la
générosité des conseils d'administration. L'appétit des PDG en effet n'a pas
besoin d'être contenu, étant déjà
limité par le consentement des conseils d'administration. Sauf
à prétendre que ces derniers agissent sous la contrainte, on ne
peut tolérer que l'État substitue sa volonté au
consentement des parties.
De
plus, l'appel au sens commun revient à légitimer l'envie et le ressentiment, comme en
témoigne la comparaison systématique des très hauts
salaires aux salaires moyens. Il est devenu normal aujourd'hui de chercher
partout le « manque à gagner », ce pourcentage
des revenus d'autrui qui nous permettrait de changer de voiture ou
réparer le toit du garage si l'État méprisait davantage
la propriété privée. Comme si, en dernière
analyse, l'argent d'autrui était aussi le nôtre.
Regardons
la réalité en face : la taxation des très hauts salaires n'est pas la victoire de la
décence sur la voracité, mais le triomphe de la voracité
sur le droit. La proposition UMP n'a d'autre but que de contenter les
envieux tout en remplissant les caisses de l'État. Un pays
civilisé doit-il vraiment s'en féliciter
Nils Sinkiewicz
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