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1. La rhétorique.
On voudrait que les socialismes - la démocratie sociale que nous
connaissons en est un type - soient des formes atténuées des
communismes, voire n'aient rien à voir avec ces derniers.
En vérité, ils sont pires comme s'y attendaient qu'ils le
seraient, par exemple, Adolphe Thiers, 1848 ou Vilfredo Pareto dans la décennie 1890,
Ils sont pires, en particulier, car ils n'appellent pas "chat" un
chat, mais "chien" ... Les communistes font certes de même,
mais c'est plus pataud, moins insidieux.
C'est ainsi qu'ils sont pires car ils dénomment en effet
"incivilités" des violences éhontées faites
aux personnes, "justice sociale" l'injustice, "dépenses
fiscales" des vols légaux d'un montant moindre que le montant
attendu, pour ne pas parler des "techniciens de surface" ou des
"agents d'ambiance" pour quoi aucune "traduction" de bon
aloi en "non socialisme" n'est disponible.
Et tout cela est destiné à faire imaginer, rêver ou
cauchemarder selon les sensibilités, les uns et les autres pour mieux
les conditionner.
En d'autres termes, les destructions qu'occasionnent les socialismes
commencent par celle du sens des mots, par la rhétorique au mauvais
sens du mot, et s'y articulent.
Aussi faut-il en finir avec cette rhétorique ... au mauvais sens du
mot.
2. La rhétorique
de la monnaie.
La rhétorique au mauvais sens du mot dans le domaine de la monnaie est
particulièrement développée et destructrice comme nous
pouvons le constater aujourd'hui, et comme chacun devrait s'en rendre compte
étant donnée la réalité à quoi elle a finalement contribué à
conduire.
Malgré cette réalité, certains continuent à
soutenir, explicitement ou non, par exemple, qu'une banque centrale - la
banque centrale européenne par exemple - est un "facteur de
stabilité économique" et que, sans banque centrale, tout
irait à vau-l'eau, ce serait pis...
Dans le meilleur des cas, ils taisent dans leur prétendu raisonnement
pour parvenir à ce jugement, que la banque centrale est un monopole
étatique obligatoire, donc violent.
Et ils n'hésitent pas à dire que, dans les autres domaines
économiques sur quoi ils s'apesantissent,
les monopoles sont déstabilisants, des facteurs d'instabilité.
Et ils ne se rendent pas compte du chaos intellectuel où les propos
qu'ils tiennent les situent.
Dans le pire ? N'en parlons pas trop.
Disons qu'ils font des arabesques sur le thème de "la monnaie, un
bien pas comme les autres" ... dont les hommes de l'Etat doivent
être maîtres.
3. Qu'est-ce que la
monnaie ?
Dans le Journal des
économistes, Joseph Garnier écrivait en 1864 :
"La notion de la monnaie est une des plus fondamentales en
économie politique [...]
L'idée qu'on s'en est faite a conduit aux formidables erreurs du
système mercantile et de l'exclusivisme commercial, aux
altérations et spoliations de plusieurs siècles de
générations, au papier monnaie qui a fait tant de ruines dans
le passé et qui est encore une plaie de l'économie
contemporaine" ( J. Garnier, 1864, p.253)
Peu de choses ont changé dans le bon sens depuis lors en dépit
de la longue série de changements tant techniques que scientifiques
qui ont vu le jour, jusqu'à aujourd'hui inclus.
Il faut se rendre à l'évidence : l'idée de la monnaie
est fondamentalement ravagée par la rhétorique et la
réglementation que celle-ci propulse. Dans un billet précédent du 17 octobre
2011, j'ai déjà eu l'occasion de le signaler.
Mais la réglementation est multiforme et il convient de cibler son
plus gros vecteur, à savoir la comptabilité bancaire.
4. Il y a
comptabilité et comptabilité.
La comptabilité bancaire actuelle est une comptabilité
réglementaire dont les manipulateurs n'ont tiré les
conséquences ni de l'interdiction de la convertibilité intérieure en
monnaie or des billets et dépôts à vue bancaires - i.e.
des "substituts de monnaie bancaires" (S.M.B.) comme les
dénommait avec perspicacité Ludwig von
Mises -, dans la décennie 1930, ni de l'abandon de la convertibilité extérieure depuis
1971-73.
Curieusement, les substituts désormais ... de rien, au lendemain des
interdictions, sont restés inscrits, comme si de rien n'était,
au passif du bilan des banques, au passif du bilan des banques
centrales en ce qui concerne les billets dont celles-ci ont, chacune,
reçu le privilège de monopole d'émission, et en ce qui concerne
les dépôts à vue, au passif du bilan des banques de
second rang .
Et certains ont cru se tirer de ces mauvais pas en y voyant des dettes des
banques, des créances de ceux qui en sont titulaires sur ces
dernières.
Jacques Rueff avait mis le doigt sur le point à l'occasion de la
perspective, à la fin de la décennie 1960, de l'allocation des
droits de tirages spéciaux (D.T.S.) par le Fonds monétaire
international en dénommant « néant habillé en
monnaie » ceux-ci.
Hier, parler de monnaie, de crédit et de liquidité situaient du côté "actif" du bilan,
parler des "substituts de monnaie
bancaires" situaient du côté "passif"...
Aujourd'hui, liquidité et crédit situent du côté
"actif" et "substituts de rien bancaires" - "billets
et dépôts" bancaires" - du côté
"passif".
Ce qu’on dénomme « monnaie »
aujourd’hui n’est donc pas comparable à ce qu’on
dénommait ainsi il y a un siècle.
La monnaie au sens d’hier n'existe plus car elle a été
détruite entretemps.
De fait, ils se situent d'abord "hors droit"... et, sans se soucier
des contradictions, ils font allusion à des notions juridiques
(créances - actifs - pour les uns et dettes pour les autres autres) qui ont perdu toute signification.
Aujourd’hui, "monnaie" est le nom donné à
l’ensemble des billets et des dépôts bancaires.
Celui-ci a toujours une contrepartie comptable bancaire mais cette
contrepartie ne saurait avoir la signification de "couverture"
qu'elle avait antérieurement …
Il y a un siècle, « monnaie » désignait
la monnaie or ou argent et les billets émis, voire les
dépôts bancaires, i.e. les « substituts de monnaie
bancaires » convertibles en or ou en argent.
Et les S.M.B. étaient couverts comptablement
dans une certaine proportion par la monnaie or ou argent.
La réglementation qu'est l'interdiction de la convertibilité
des S.M.B. ne doit pas cacher le fait que les règles de la
comptabilité bancaire n'ont pas été modifiées en
conséquence et créer des illusions ou fait entrer dans la
magie.
La monnaie ne procède plus du droit, mais de la comptabilité
réglementaire et d'une fixation a
priori sans raison de la structure de l'actif comptable.
En toute rigueur, on ne devrait plus parler de "monnaie".
C'est une hérésie comptable.
C’est un abus de langage qui atteste de l’abus de droit ou du
coup d’Etat qu'a été l’interdiction de
convertibilité.
La modification de la réglementation bancaire en matières de
convertibilité et de couverture comptable, appuyée sur une
constance des règles de la comptabilité bancaire, contre toute
attente, a contribué en effet au déplacement
du sens du mot « monnaie » au XXème siècle .
Comment peut-on voir dans les billets et les dépôts bancaires,
des créances des agents économiques sur les banques, des dettes
de celles-ci ?
Le prétexte qu'ils sont restés inscrits au passif du bilan des
banques est un leurre qui dure depuis l'interdiction de
convertibilité.
La comptabilité bancaire cache aujourd’hui une
réglementation qui fait qu'elle est différente de la
comptabilité du passé quoique son apparence n'ait pas
été modifiée.
Elle donne lieu à soi seule à une rhétorique au mauvais
sens du terme qui se répercute sur la compréhension que chacun
peut avoir de la monnaie.
En définitive, nous vivons aujourd'hui les effets à long terme
des interdictions de la convertibilité et de la cuisine inadmissible
à quoi celles-ci ont donné lieu et dont est issu ce qu'on dénomme l'euro.
5. L'échange
synallagmatique.
Il faut réhabiliter l'échange synallagmatique comme concept
d'analyse économique central et ne pas le laisser caché
par le concept de "marché" tant perverti ou ceux,
fondamentalement comptables, d'"exportations" ou
d'"importations".
La "valeur économique" résulte de l'échange
synallagmatique et de rien d'autre.
En particulier, elle ne résulte pas de "consommations
obligatoires", ni de "productions subventionnées" par
l'Etat.
Quand les prix en monnaie des biens résultent d'échanges libres
(cf. Pareto, 1896/97), ils sont des indicateurs de la "valeur
économique" des biens, ils informent sur celle-ci et permettent
à chacun d'en tirer des conséquences.
Il ne faut pas tomber dans le piège rhétorique qu'il y aurait
des biens échangeables ou "marchands" et des biens qui ne le
sont pas et qui sont donc "non marchands".
Il faut s'opposer à ce que les hommes de l'Etat ou des entreprises
qu'ils privilégient disent qu'ils produisent des "biens non
marchands" et qu'ils imposent leurs consommations.
Il faut seulement reconnaître que l'échange est une action
humaine comme une autre - comme le sont la production, la consommation, etc.
-, "qu'on ne fait rien sans rien", que l'échange fait
intervenir des ressources - à commencer par du temps - dont dispose
chacun et qu'à ce titre, l'échange est coûteux, comme
toute action économique d'ailleurs.
Alors ce qu'on dénomme "monnaie" aujourd'hui n'est plus
magique, mais retrouve sa raison d'être.
La "monnaie" a en effet contribué, sans que personne ne le
veuille d'une façon centrale et délibérée,
à diminuer le coût de l'échange.
Et ce n'est pas fini car le coût résiduel atteint n'est
pas nul.
Seulement, à cause de la pluie de réglementations
nécessairement aveugles qui s'est abattue au XXème
siècle sur la "monnaie", ce coût est largement supérieur
à ce qu'il devrait être.
6. Ne pas les
écouter.
A l'opposé, les économistes socialistes, à commencer par
Léon Walras au XIXème siècle, mettent à
l'écart sinon le concept d'échange, au moins celui de
"coût d'échange" ou, à défaut, le
supposent "nul", pour résoudre plus aisément leurs
systèmes d'équations linéaires en quoi ils
décomposent l'économie.
Certes, aujourd'hui, beaucoup d'entre eux ont abandonné la
théorie des systèmes en question et font confiance à la
topologie, mais cela ne change rien : soit le coût d'échange est
mis de côté, soit il est supposé nul.
Vilfredo Pareto (1896/97), successeur de Walras
à l'université de Lausanne, avait remis en jeu l'échange
dans toute sa réalité, mais sa pensée a
été déformée par le "Pareto revival" aux Etats-Unis,
à partir de la décennie 1930.
Irving Fisher avait aussi affirmé son rôle avec son
"équation des échanges" (1911), mais celle-ci a
été mise en pièces par les macroéconomistes
à partir de la même décennie 1930.
Ne parlons pas de John Maynard Keynes qui n'a pas hésité, dans sa Théorie
générale... (1936) à laisser de
côté le concept et à parler de
"liquidité" plutôt que de monnaie, à confondre
"liquidité" et monnaie ! Sa confusion a été renforcé depuis lors et est, aujourd'hui, d'une
actualité brûlante.
Ne parlons pas non plus de Milton Friedman (1956) et des monétaristes
qui ont eu l'audace de remplacer dans l'équation fisherienne
les échanges par le "revenu réel", indicateur de la
production !
Ne parlons pas enfin des économistes néo classiques
français qui, loin de prendre en considération toute la mesure
de l'acte d'échange dans l'économie, affublent, comme leurs
collègues étrangers, les droits de propriété ou
le droit des contrats qui l'encadrent, d'"imperfections" - quand
ils n'observent pas dans l'organisation économique depuis Hicks (1935)
des "frictions" -, et donnent pour dénomination générique
aux unes et aux autres la dénomination "coût de transaction",
merveilleux anglicisme.
Ils oublient qu'en français, la transaction n'est qu'un moment
déterminant de l'échange, celui qui suit le contact mais
précède l'accord et le prix et le règlement/livraison,
si tant est qu'il y aura accord
Georges Lane
Principes
de science économique
Georges
Lane enseigne
l’économie à l’Université de Paris-Dauphine.
Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire
J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très
rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié
avec l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
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