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Dans
un article
paru en décembre sur Bloomberg, l'entrepreneur américain Nick Hanauer s'attaque à la bonne réputation des
patrons, expliquant que contrairement à l'idée reçue,
les emplois sont créés par les consommateurs, et non par les
entreprises. Derrière ces considérations théoriques sur
l'offre, la demande et le marché de l'emploi, il y a la défense
d'une politique fiscale particulière et de ce que beaucoup de gens
croient être le rôle légitime de l'État dans
l'économie.
Taxer
l'un, c'est taxer l'autre, et vice versa
L'article
de Nick Hanauer amalgame deux niveaux
d'interprétation, l'un économique, distinguant l'offre et la
demande, l'autre sociologique, évoquant classes aisées et
classes moyennes – le tout donnant l'impression qu'un entrepreneur est
nécessairement riche. Ainsi M. Hanauer
peut-il justifier une politique fiscale plus favorable aux ménages
qu'aux entreprises, supposant que le malheur des uns fait le bonheur des
autres. En d'autres termes, en épargnant les consommateurs pour se
reporter sur les producteurs, la pression fiscale stimule la demande.
« Taxons les riches, explique l'ami des petites gens, et utilisons
cet argent pour stimuler la croissance en rendant le pouvoir d'achat aux
classes moyennes ».
En
soi, cette position n'est pas incompatible avec l'affirmation que taxer les
ménages fait baisser la demande. Mais le problème, c'est que
Nick Hanauer a lui-même mis en
évidence la relation d'interdépendance existant entre les
entreprises et les consommateurs. S'il est vrai que la demande impacte
l'offre, il est vrai également que l'offre influe sur la demande.
Car
qui dit interdépendance dit réciprocité. Que
l'impôt frappe l'offre ou la demande, le résultat est grosso
modo le même. Si les ménages paient plus d'impôts, il
leur reste moins d'argent disponible pour la consommation. De même, si
les sociétés paient plus d'impôts, cette hausse est
susceptible de se répercuter sur les salaires ou sur les prix, voire
sur les deux. Dans un cas comme dans l'autre, la victime est le pouvoir d'achat
– ce trait d'union entre l'offre et la demande qui permet à M. Hanauer de dire que sans les consommateurs, il n'y a pas
de profit possible.
L'État
plus raisonnable ?
Dans
un système économique fondé sur des relations
d'interdépendance, ménages et entreprises ont donc un
intérêt commun à ce que la plus grande part de leurs
ressources respectives soit investie dans l'échange. De ce point de
vue, le parasite, c'est le fisc.
Mais
Nick Hanauer, loin d'y voir un parasite,
s'entête à présenter l'État comme le meilleur
allié des ménages dans leur lutte contre le « big business ». S'il ne nie pas que les
« riches » consomment et investissent, contribuant
ainsi à la création d'emplois et au financement de projets, il
estime que les pouvoir publics utiliseraient ces richesses plus
équitablement, c'est-à-dire au profit de la
collectivité, et plus rationnellement, c'est-à-dire en
investissant dans des projets répondant à
l'intérêt général. On peut sérieusement en
douter, mais les idées reçues ont la vie dure : même
inefficace, l'action unique de l'État paraît plus
compréhensible et donc moins suspecte que ces innombrables actions
individuelles non concertées.
L'article
de Nick Hanauer n'est en fin de compte qu'une
énumération des lieux communs sur les inégalités,
le pouvoir d'achat, la cupidité des entrepreneurs et les vertus
correctrices de l'impôt. Peu d'originalité en somme, mais une
grande franchise, et c'est ce qui le rend si intéressant.
Sans
oublier que ce n'est pas la première fois que ce discours se fait
entendre. En août dernier, Warren
Buffet s'était déjà fait le porte-parole de ces
« milliardaires patriotes » appelant Washington
à taxer les « riches ». Le discours surprend, on
y voit une prise de conscience. Si les riches eux-mêmes confessent
n'être pas les mieux placés pour savoir comment utiliser leur
argent, n'est-ce pas la preuve, pensent certains, qu'il y a des gens
« trop » riches et d'autres « trop »
pauvres, que les richesses sont mal réparties, que l'État peut
et doit intervenir pour y remédier ?
La
réponse est non. Comme je l'ai déjà
expliqué, cette repentance des nantis ne prouve rien, sinon que
quelques hommes veulent imposer leurs préférences à tous
les autres – se félicitant au passage de légitimer la
croyance que les difficultés du grand nombre sont dues à la prospérité
d'une minorité. Une croyance qu'il est dangereux d'entretenir, surtout
en temps de crise.
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