Dans un
premier article,
nous avons pu constater qu’à la fin des années 1970, les
banques commerciales disposaient d’importantes réserves de
liquidité.
Cette grande
disponibilité de liquidités par rapport aux obligations
courantes des banques – mais pas nécessairement toutes leurs obligations exigibles –a permis
aux banques de procéder à une expansion du crédit, ou
plus proprement dit des moyens fiduciaires.
Cependant,
dû à la stagnation économique aux États-Unis et en
Europe occidentale, les opportunités de rendement sûr et
élevé étaient limitées.
Le fait est
que la fin de la convertibilité or du dollar crée de facto des billets sans couverture ni rendement. Ces billets
étaient principalement détenus par de grands exportateurs vers le
marché américain : les pays arabes (exportateurs de
pétrole), les pays européens et le Japon (exportateurs de biens
de capital et biens de consommation).
Or, dans les
années 1970, l’économie américaine traverse une
période de stagnation économique et son marché financier
y est beaucoup plus rigide que celui de la place européenne. En effet,
les principales places européennes telles que Londres, Paris et
Francfort ne connaissent alors pas les mêmes exigences en termes de
réserves obligatoires ou de
taux d’intérêt que la place américaine. Cela
leur permet d’opérer à des coûts opérationnels
moins élevés.
En outre, les
règlementations de type Glass-Steagall Act, imposant la
spécialisation bancaire (notamment la séparation stricte entre
banque de détail et banque d’investissement), disparaissent plus
vite en Europe qu’aux États-Unis. Dès le milieu des
années 1960, le système financier européen, jusque là strictement contrôlé par
l’État pour financer la reconstruction, gagne en autonomie et se
tourne vers le financement massif des entreprises et de la consommation
privée. Ajoutons à cela le fait que les institutions bancaires
européennes proposent des placements en dollars et nous verrons que le
terrain est donc prêt pour voir l’émergence des
marchés « offshore » en dollars –
c’est-à-dire, des marchés d’investissement en
dollars en dehors des États-Unis.
Les
opportunités d’investissement dans le monde
développé étant rares du fait de la stagflation, les
meilleures options d’investissement se déplacent vers les pays
en développement, en particulier les pays Latino-Américains
comme le Mexique et le Brésil. Ces pays présentent à
l’époque des taux de croissance de 9%/an en moyenne et affichent
un appétit vorace pour des capitaux. Une bonne partie de cette
croissance était néanmoins gonflée par l’expansion
monétaire de ces pays et allait résulter dans des
phénomènes
hyper-inflationnistes dans les années 1980. Reste
qu’alléchées par la forte rentabilité de ces pays,
les banques vont procéder à des grandes opérations de
crédit syndiqués pour ces pays.
Le
crédit syndiqué n’est rien d’autre qu’une
forme de leveraged buy-out (LBO).
Dans un LBO typique, les participants sont en général des fonds
d’investissements, des fonds de pension, des épargnants
individuels, et des entreprises. Dans un crédit syndiqué, les
principaux acteurs sont des banques. En fait, plusieurs banques
s’associent au sein d’une société holding pour financer un pays ou une
entreprise cible. L’objectif final est le rachat de l’entreprise
ou des obligations du pays en question par la société holding.
L’opération vise à diluer le risque par le biais de la
participation de plusieurs investisseurs et à profiter d’un effet
de levier fiscal. Si l’achat de l’actif est réalisé
par le biais d’un emprunt, alors cet emprunt peut être
l’objet d’importantes défiscalisations, ce qui
améliore considérablement la rentabilité de
l’opération.
Evidemment,
l’implosion de la croissance dans ces pays Latino-Américains avait
été sous-estimée. Les banques avaient confondu la
capacité de remboursement des États latino-américains
avec la détention d’actifs, souvent privés, tels
que des matières premières comme des céréales,
pétrole, fer, et autres minerais. Or, les avancées
technologiques dans l’agriculture (de meilleures récoltes), dans
l’électronique (miniaturisation), et dans la mécanique
(meilleure efficacité de moteurs), entraînent une forte baisse
de prix des matières premières. La croissance réelle des
pays Latino-Américains est alors vite rattrapée par
l’inflation et entraîne le défaut de paiement du Mexique
en 1982 suivi de celui du Pérou et des moratoires de la dette en
Argentine et au Brésil.
Malgré
la panique provoquée par cette crise de la dette dans les pays en
développement, les banques vont réussir à profiter des
arrangements mis en place pour éviter des défauts majeurs. Par
exemple, elles se voient proposer un échange de leurs obligations
d’État contre des participations dans des entreprises
privées. Or, une bonne
partie de ces entreprises se révèleront être de
très bons investissements : hôtels au Mexique, exploiteurs
de minerais au Brésil et au Pérou, etc.
Ce qu’il
faut comprendre, c’est que les banques ont toujours opéré
dans la légalité. Elles ont respecté les ratios de
réserve obligatoire qui leur étaient imposées, elles ont
saisi les opportunités de profit de gains liés aux effets de
levier fiscaux. Ensuite, elles se sont organisées au sein de holdings
pour mutualiser et donc diluer le risque qui pesait sur chacune d’entre
elles. On verra que cette procédure sera de nouveau
utilisée, cette fois au sein des pays développés qui
dans les années 80 renouent avec la croissance. À suivre les accords de Bâle et la titrisation sur les
marchés dérivés…
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