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Présentées
à tort chaque jour comme sur le point d’aboutir, les tractations
à propos du second plan de sauvetage de la Grèce sont
désormais « sur le fil du rasoir », si l’on en croit
Evángélos Vénizélos,
le ministre des finances grec. Nouvelle date butoir, ce dimanche soir.
D’autres, comme François Baroin,
annoncent prudemment un report de cette échéance au 13
février.
Dans
cette phase où tout est encore possible, les négociations se
poursuivent parallèlement sur deux terrains, identifiés par les
acronymes de PSI et d’OSI (private et official
sector involvement).
Avec d’un côté des efforts supplémentaires
demandés aux créanciers privés de la Grèce, qui
s’y refusent au nom de la « générosité
» dont ils ont déjà fait preuve, et de l’autre de
nouvelles mesures d’austérité exigées du
gouvernement grec, qui cherche à esquiver les plus explosives.
Drôle de jeu qui s’éternise et va devoir trouver une fin.
Jean-Claude
Junker vient de mettre en garde à propos du risque de faillite de la
Grèce, si les réformes exigées n’étaient
pas adoptées et menées à bien, car « nous ne
reculerons pas sur le thème des privatisations ». Apportant de
l’eau au moulin de ceux qui pensent que cette éventualité
n’est plus le tabou qu’elle était. Tandis que
d’autres, notamment Josef Ackermann, président de la Deutsche
Bank, exprimait la crainte que « si nous laissons la Grèce
s’effondrer, je pense que nous ouvrons la boîte de Pandore
». On aurait tendance à dire qu’il en sera ainsi dans tous
les cas !
L’objectif
est de créer les conditions permettant de réduire la dette
publique grecque, à l’horizon 2020, de 160 % à 120 % du
PIB, selon le butoir placé par le FMI, qui selon les Français
pourrait être un peu augmenté. Cela a comme conséquence
de lier les deux négociations, car si les effets du PSI sont moindres
que prévus, ceux de l’OSI doivent le compenser, toujours en
application de l’équation posée par le FMI.
Tout
s’annonçait bien : la dette devait être réduite de
100 milliards d’euros, et 130 milliards d’euros être
prêtés par l’Union européenne et le FMI. Mais
voilà qu’une quinzaine de milliards d’euros ont
manqué à l’appel, faute à la récession et
aux difficultés que rencontre l’État pour accroître
ses rentrées fiscales, et que tout en dépend. D’une
manière qui pourrait paraître surprenante, vu la modicité
de la somme comparée à ce qui était acquis. Que
s’est-il donc passé ?
L’attention
a été focalisée sur les négociations du PSI,
ainsi que sur la participation éventuelle de la BCE, faisant oublier
l’importance de celles de l’OSI. En particulier à propos
des salaires du secteur privé, du montant du salaire minimum et des
retraites complémentaires. Or c’est pourtant là que se
trouve maintenant la clé des négociations. Le gouvernement grec
est sommé de réaliser ses promesses non tenues, notamment dans
le domaine des privatisations, et de ne pas s’en tenir aux coupes
budgétaires et aux impôts qu’il a levés dans
l’urgence. Comme disent les financiers qui affectionnent cette
expression, il faut gratter jusqu’à l’os.
L’enjeu est toujours de le faire plier, après s’être
traduit par la tentative inachevée de le mettre sous tutelle.
Dans
toute l’Europe, la diminution du coût du travail apparaît
de plus en plus comme au centre de la stratégie suivie par les
dirigeants européens. En application de l’analyse selon laquelle
il faut ainsi accroître la compétitivité pour relancer la
croissance ; une pirouette que la Grèce a le redoutable honneur de
réaliser en premier, afin d’éviter à
l’Allemagne d’infléchir son propre modèle
tourné vers l’exportation. Celui-ci s’appuie sur des
salaires contenus sur son sol et le développement de la sous-traitance
dans les pays d’Europe Centrale et de l’Est à bas
salaires.
Pour
le reste, il faut encore et toujours gagner du temps, ce à quoi la BCE
s’emploie. En inondant de liquidités le système bancaire
européen, elle est parvenue à détendre un peu le
marché obligataire (sauf pour le Portugal), en attendant la suite.
Elle finance les banques des pays sous le feu d’attaques sur le
marché obligataire, afin qu’elles achètent sa dette. Ce
qui la conduit à prendre ensuite ces titres en pension, faisant
d’elle la bad bank
que les gouvernements n’ont pas créée, ne sachant plus
comment la financer. Après la quasi monétisation par des
prêts à trois ans pour sauver les banques, nous assistons
à la création d’une structure de défaisance by
proxy (par procuration) afin d’en faire autant avec les États !
Ceux qui réclament l’intervention de la BCE comme allant tout
régler feraient mieux de s’apercevoir qu’elle a lieu, sous
des formes appropriées pour employer le vocabulaire des
banquiers centraux, et qu’elle représente une fuite en avant.
Depuis,
la menace s’est déplacée. La BCE constate elle-même
que le crédit aux entreprises et aux particuliers diminue. Afin de
reconstituer leurs fonds propres, les banques contribuent à la
récession dans un monde qui dépend de la croissance comme
d’une énergie vitale, car il a été ainsi calibré.
La
démonstration qui est en train de nous être administrée
est à contre-pied de ce qui est revendiqué, pour être
repoussée à plus tard. Résumant l’analyse de la
situation à une simple question, si l’on ne veut pas voir plus
loin que le bout de son nez : combien de temps va-t-il falloir donner aux
banques pour qu’elles puissent relancer la machine, et comment tenir en
attendant ?
Pour
ce faire, le FMI est attendu comme le Messie par ceux qui ont compris que ni
l’Espagne ni l’Italie ne pourront longtemps se financer aux
conditions actuelles, mêmes adoucies, et qu’il faudra leur
trouver un relais. Cherchant des fonds, Christine Lagarde vient de s’y
employer en Arabie Saoudite, et Angela Merkel en
Chine. Mais quelles seront les conditionnalités de demain du
FMI, s’ils sont finalement réunis ? Est-il possible de suivre
toujours la même stratégie en se contentant de moins en
précipiter le déroulement, une fois les États en
difficulté provisoirement soustraits aux rigueurs du marché ?
Cette variante n’abandonne pas le cœur de la stratégie
poursuivie, la recherche illusoire d’une compétitivité
reposant sur la diminution du coût du travail, dans un monde où
celui-ci est à bas prix et le demeurera longtemps.
L’autre
question pendante n’est pas moins lancinante : si la machine à
faire de la dette et du crédit ne peut plus prétendre aux
mêmes performances, son mécanisme brisé, ne va-t-on pas
accélérer le déclin des pays avancés, dont
la croissance repose sur la consommation ? Pour déséquilibrer
encore plus le monde, car le succès des pays émergents
repose sur leurs exportations vers les premiers, leur marché
intérieur ne pouvant pas prendre le relais sans une profonde
réorientation de l’appareil de production et d’importantes
remises en causes sociales.
À
bien y réfléchir, pour réussir, l’exercice
reviendrait à tout simplement inverser les grands flux
d’échanges commerciaux… Tant qu’à faire de
retourner le cadre, il vaudrait alors mieux carrément en changer.
Billet rédigé par
François Leclerc
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