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5.
Les
véritables péchés
capitaux de l’Europe et l’erreur fatale
de la Banque Centrale Européenne
Personne ne
niera que l’Union Européenne souffre de problèmes
économiques et sociaux importants et chroniques. Toutefois, cet euro
tant critiqué n’en fait pas partie. L’euro agit, au
contraire, comme un puissant catalyseur ; il montre la gravité
des véritables problèmes de l’Europe et
accélère (ou « précipite ») la
prise des mesures nécessaires à leur solution.
Aujourd’hui, en effet, et grâce à l’euro, se
développe plus que jamais la conscience de la non-durabilité de
cet Etat-providence européen hypertrophié et de la
nécessité d’importantes réformes.
L’on peut en dire autant des programmes omni-compréhensifs
d’aides et de subventions, parmi lesquels la Politique Agricole Commune
occupe la première place, à cause tout autant de ses effets
très nocifs que de son manque total de rationalité
économique. Et
l’on peut surtout en dire autant de l’ingénierie sociale
et de la règlementation écrasante qui, sous prétexte
d’harmoniser les diverses législations nationales, fossilise le
marché unique européen et l’empêche
d’être un véritable marché libre.
Aujourd’hui, plus que jamais, apparaît, dans la zone euro, le
coût véritable de toutes ces insuffisances structurelles :
sans politique monétaire autonome, les différents gouvernements
sont obligés de reconsidérer (et, éventuellement, de
réduire) tous leurs postes de dépenses publiques et
d’essayer de gagner en compétitivité sur le plan
international, en dérégulant et en flexibilisant au maximum
leurs marchés (en particulier celui du travail, traditionnellement
très rigide dans de nombreux pays de l’Union Monétaire).
A tous ces
péchés capitaux de l’économie européenne
s’ajoute un autre, plus grave encore à cause de son
caractère particulier et sinueux. Il s’agit de la grande
facilité avec laquelle les institutions européennes se laissent
entraîner, souvent par manque de vision, de leadership, ou de foi en
leur propre projet, dans des politiques incompatibles, à la longue,
avec les exigences d’une monnaie unique et d’un véritable
marché unique libre.
Ainsi, par
exemple, il est surprenant de voir que les nouvelles mesures croissantes et
asphyxiantes introduites en Europe viennent de plus en plus du monde universitaire
et politique anglo-saxon et, en particulier, des Etats-Unis,
alors qu’elles se sont déjà avérées
inefficaces ou fortement perturbatrices. Cette influence malsaine date de
loin (rappelons que les subventions accordées à
l’agriculture, la législation de « défense de
la concurrence », ou les réglementations en matière
de gouvernement et de « responsabilité sociale
corporative » sont venues des Etats-Unis) ; elle se répète
et se renforce aujourd’hui : pensons aux Normes Internationales de
Comptabilité, ou aux tentatives faites, heureusement sans
succès, pour parachever les accords de Bâle III dans le secteur
bancaire (ou de Solvabilité II dans le secteur des assurances) et qui
montrent d’insurmontables carences théoriques de fond et de
graves problèmes d’application pratique.
Un
deuxième exemple de cette influence anglo-saxonne malsaine concerne le
Plan Européen de Relance Economique (« European
Economic Recovery
Plan »). Celui-ci fut lancé, sous l’égide du
sommet de Washington et le leadership de politiques keynésiens comme
Barak Obama et Gordon Brown et avec le conseil de théoriciens ennemis
de l’euro comme Krugman, fin
2008 par la Commission Européenne. Il était recommandé
aux pays membres une expansion de la dépense publique d’environ
1,5 pour cent du P.I.B. (environ 200 milliards d’euros au niveau
agrégat( ?)). Quelques pays, comme
l’Espagne, commirent l’erreur d’élargir leurs
budgets mais, grâce à Dieu et à l’euro, le plan
s’en est vite allé « en eau de boudin »,
au désespoir des keynésiens et de leurs acolytes,
lorsqu’on a vu qu’il ne servait qu’à augmenter le
déficit, empêcher l’accomplissement des objectifs du
Traité de Maastricht et déstabiliser gravement les
marchés de la dette publique souveraine des pays de la zone euro.
L’euro a agi une nouvelle fois comme cadre disciplinant et frein
anticipé du déficit, en contraste avec le désordre
budgétaire des pays victimes du nationalisme monétaire et, en
particulier, des Etats-Unis et de l’Angleterre, qui a
clôturé avec un déficit public de 10,1 pour cent du
P.I.B. en 2010 et de 8,8 pour cent en 2011, dépassé seulement,
au niveau mondial, en Grèce et en Egypte. Malgré de tels
déficits et stimulants fiscaux, le chômage continue
d’atteindre en Angleterre et aux Etats-Unis des niveaux records (ou très
hauts) et leurs économies respectives n’arrivent pas à
démarrer.
Enfin, et
surtout, on remarque une pression croissante en faveur de l’union
politique européenne complète, présentée comme la
seule « solution » capable de permettre la survie de
l’euro à long terme. Mis à part les
« euro-fanatiques », adeptes de tout prétexte
justifiant plus de pouvoir et de centralisme en faveur de Bruxelles, deux
groupes appuient l’union politique. D’une part, et
paradoxalement, les ennemis de l’euro, groupe d’origine anglo-saxonne :
les américains, éblouis par le pouvoir central de Washington et
conscients qu’il ne peut exister en Europe, savent que leur proposition
introduit le virus de la discorde, mortel pour l’euro ; d’autres,
les britanniques, utilisent l’euro comme tête de turc
(injustifiée) pour y déverser leurs frustrations (totalement
justifiées) face à l’interventionnisme croissant de
Bruxelles. Le second groupe comprend tous les théoriciens et penseurs
qui croient que seule la discipline imposée par un organe
gouvernemental central peut garantir les objectifs de déficit et de
dette publique fixés à Maastricht. Cette croyance est
erronée. Le mécanisme de l’Union Monétaire
crée, tout comme l’étalon-or, une menace pour la
solvabilité des pays qui abandonnent la rigueur et la stabilité
budgétaires, et les obligent à prendre des mesures urgentes
pour rétablir la durabilité de leurs finances publiques,
s’ils ne veulent pas se voir contraints à suspendre leurs
paiements.
Nonobstant ce
qui vient d’être dit, le problème le plus grave ne
consiste pas dans la menace d’une union politique impossible, mais dans
le fait indiscutable qu’une politique d’expansion de
crédit continue de la part de la Banque Centrale Européenne
durant une étape de prospérité économique, est
capable de neutraliser, du moins temporairement, l’effet disciplinant
de l’euro sur les agents économiques de chaque pays. Et ainsi,
par exemple, l’erreur fatale de
la Banque Centrale Européenne a consisté à ne pas savoir
isoler et protéger l’Europe de la grande expansion de
crédit orchestrée au niveau mondial par la Réserve
Fédérale des Etats Unis à partir de 2001. Pendant
plusieurs années, la Banque Centrale Européenne a permis, en
contradiction flagrante avec le Traité de Maastricht, que M3 atteigne
des niveaux supérieurs même à 9 pour cent par an, bien
au-delà de l’objectif de croissance de 4,5 pour cent de la masse
monétaire, originairement fixé par la BCE elle-même. De
plus, cette croissance, même si elle est moins délirante que
celle menée par la Réserve Fédérale des Etats
Unis, s’est distribuée de manière non uniforme dans les
pays de l’Union Monétaire et a touché de façon
disproportionnée les états de la périphérie
(Espagne, Portugal, Irlande et Grèce) qui ont vu croître leurs
agrégats monétaires à un rythme très
supérieur -de trois à quatre fois- à celui que
connaissaient la France ou l’Allemagne. Il y a à cela plusieurs
raisons : elles vont de la pression exercée par la France et
l’Allemagne pour que la politique monétaire ne soit pas trop
restrictive pour elles, jusqu’à la myopie absolue des pays
périphériques qui, ne voulant pas reconnaître
qu’ils étaient en pleine bulle spéculative, n’ont
pas su, telle l’Espagne, donner des instructions catégoriques
à leurs représentants au Conseil de la BCE afin d’exiger
la stricte exécution des objectifs de croissance monétaire
fixés par la BCE elle-même. Durant les années
précédant la crise, en effet, tous ces pays, sauf la
Grèce, observèrent
largement les limites du déficit de 3 pour cent, et quelques-uns,
comme l’Espagne et l’Irlande, clôturèrent même
leurs comptes publics avec d’importants excédents.
Ainsi, bien que le cœur de l’Europe ait réussi à se
tenir à l’écart du processus d’exubérance
irrationnelle américain, celui-ci s’est reproduit avec virulence
dans les pays européens périphériques, sans que
personne, ou presque, ait su diagnostiquer le grave danger de ce qui se
passait. Si les universitaires
et les responsables politiques des pays affectés et de la Banque
Centrale Européenne avaient utilisé, non pas les instruments
d’analyse macroéconomiques et monétaristes
importés du monde anglo-saxon, mais ceux de la Théorie
Autrichienne du Cycle Economique
(produit, en fin de compte, de la pensée économique
continentale la plus authentique), ils auraient pu détecter à
temps le caractère largement artificiel de la prospérité
de ces années-là et la non-durabilité de beaucoup
d’investissements (en particulier dans le domaine de la promotion
immobilière) entrepris grâce aux grandes facilités de
crédit. Ils auraient, en somme, compris que le flux étonnamment
croissant de recettes publiques allait être de très courte
durée. Cependant et heureusement, bien que la Banque Centrale
Européenne n’ait pas été, durant le dernier cycle,
à la hauteur de ce que la société européenne
était en droit d’exiger et que sa politique puisse être
qualifiée de « tragique », la logique de
l’euro, en tant que monnaie unique, s’est de nouveau
imposée. Elle a fait apparaître les erreurs commises et
obligé chacun à reprendre le chemin du contrôle et de
l’austérité. Le paragraphe suivant présente un
bref commentaire de la façon dont la Banque Centrale Européenne
a développé sa politique durant la crise et en quoi elle
diffère de celle menée par les banques centrales des Etats Unis
et d’Angleterre.
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