La vente de
l’air est un sujet qui n’est pratiquement jamais abordé
dans les débats environnementaux sur la pollution, et l’on
pourrait imaginer que cet oubli est dû au fait qu’il est
impossible de vendre ou d’acheter l’air. Les débats
politiques récurrents sur la dégradation de la qualité
de l’air témoignent toutefois de l’importance du sujet.
Lorsqu’on
met de côté le discours politique, on peut noter qu’il est
non seulement possible de vendre et d’acheter de l’air, mais aussi
que l’air des citoyens de la plupart des pays occidentaux a
déjà été vendu par leurs gouvernements
respectifs. L’air a en effet fait l’objet de régulations
politiques telles que le « marché
des permis de pollution » ou la bourse du carbone (cap and trade
system), qui permettent à certaines entreprises d’acheter
les droits de pollution (SO2, NOX) ou
d’émission de gaz à effet de serre (CO2)
d’autres entreprises, qui préfèrent quant à elles
réduire leur émissions.
Les États
mettent en vente non seulement des droits de pollution mais aussi des droits
de passage des avions. La Russie
perçoit par exemple des droits aériens d’environ 300
millions d’euros par an pour le passage des avions civils
européens. Le marché de l’air n’a donc rien de
différent de ceux d’autres biens, si ce n’est qu’il
est dans la plus part des pays entièrement monopolisé par les États.
Il n’existe pourtant aucun obstacle technique qui
empêcherait de privatiser l’air comme c’est le cas du sol. Dans
le droit romain, on trouve d’ailleurs un principe simple qui permettait
déjà à l’époque de déterminer la légitimité
de la propriété de l’espace aérien : a
cælo usque ad centrum (« du ciel au centre de la Terre »).
Ce principe a été repris au 13ème
siècle par le juriste florentin Accursius (principalement
connu pour ses commentaires de la codification justinienne du droit romain),
puis dans le traité de droit anglais de William Blackstone (Commentaires sur le droit anglais, 1766).
Selon ce principe, il revient au propriétaire du sol tout ce qui est
jusqu'au ciel et tout ce qui est jusqu'au centre de la Terre. (cuius est solum eius est usque ad coelum et ad inferos).
Bien que ce principe ne soit pas reconnu par le droit
français, il est encore aujourd’hui souvent utilisé, dans
le droit anglais et américain, notamment dans le domaine immobilier.
Plus récemment, il s’est trouvé au cœur de nombreuses
affaires. L’achat des droits aériens du voisin permet ainsi de
s’agrandir à l’horizontale (au-dessus du toit de
l’immeuble voisin) ou, au moins de s’assurer qu’il ne
construira pas d’autres étages susceptibles d’entraver la
vue de la maison du nouveau propriétaire de l’espace
aérien. Pour prendre un exemple récent, l’archevêché de New
York s’est récemment déclaré prêt à
vendre des droits aériens au-dessus de nombreuses églises, dont
la cathédrale Saint-Patrick.
A la lumière de cet exemple, l’on comprend
mieux que la vente et l’achat de l’air par les
propriétaires du sol ne rencontre guère de difficultés
techniques. Dès lors qu’il est possible de calculer des volumes
et de mesurer des taux de pollution, il est tout à fait possible de
vendre et d’acheter de l’air. Le marché de l’air
pose en définitive un seul problème moral : pourquoi
l’État s’arrogerait-il la prérogative de vendre
l’air de ses citoyens ?
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