Par le massacre gratuit de petits enfants par un maniaque,
les Etats-Unis ont finalement présenté à la face du
monde la maison des horreurs qu’ils sont. Manquer de protéger des
enfants contre le mal n’est-elle pas la plus terrible des faiblesses
dont un adulte pourrait faire preuve ?
Et bien entendu, le rituel veut que l’on ne parle
maintenant plus que de trouver une solution pour qu’une chose pareille ne puisse plus jamais se produire.
Comment ? En examinant les moindres recoins de la psychologie du tireur,
Mr. Lanza… ses allers et venues, ses emails, ses locations de film sur Netflix, et la composition chimique de ses
coupe-ongles… Nous nous flattons à l’idée
très technocrate que si nous pouvons mesurer précisément
quelque chose, nous pouvons le contrôler. Bannir le port d’arme
et renforcer le contrôle des antécédents ? Tout le
monde ne parle plus que de ça. Il y a aujourd’hui assez
d’armes aux Etats-Unis pour que soit conduite une guerre civile
à l’échelle nationale. Et certainement assez de
ressentiment. Ne reste plus qu’à choisir le parfum :
Politique ? Religieux ? Racial ? Régional ?
De mon humble avis, le massacre de Newtown est la preuve
même de l’échec des hommes aux Etats-Unis, de leur
échec à aider les petits garçons à devenir des
hommes. Le monstre tragique qu’est devenu Mr. Lanza vivait avec sa
mère, qu’il a laissée derrière lui après
lui avoir logé quatre balles dans la tête. Imaginez la tension
que devait ressentir ce monstre. Ce n’est pas par hasard si les
fantaisies commerciales représentées à la
télévision et dans les films destinés aux petits
garçons sont peuplés de légions de super-héros.
Cette forme de grandiose – le désir de développer des
pouvoirs super-naturels - est
exactement ce que finissent par développer les enfants dont le champ
d’activité n’a rien de réel ou de significatif
– et je ne considère pas nécessairement
l’école telle que nous la connaissons aujourd’hui comme
étant un domaine d’activité significatif,
puisqu’elle n’est plus qu’un processus
d’accréditation brutalement ennuyeux. L’arme
utilisée par Mr. Lanza était un fusil Bushmaster.
Elle faisait de lui le ‘maître’ de quelque chose,
même si ce n’était que du massacre d’enfants de six
ans et des femmes qui s’en occupaient.
L'Histoire suit son propre cours, et certains moments de
l’Histoire semblent avoir un esprit particulier. Pour nous, le moment
présent n’est que la somme des conséquences inattendues
de tous les mauvais choix que nous avons fait des décennies durant
pour garder comme toile de fond nos richesses matérielles. J’ai
assez parlé de ce fiasco qui est le nôtre. Ses
conséquences ne sont autres qu’une nation ayant
transformé ses hommes en gringalets, en imposteurs et en monstres. Je
pense que notre plus grande tragédie est que nous ne sommes plus
capables de nous dicter comment nous conduire, et que c’est
désormais au tour de l’histoire et de la nature de nous fournir
l’unique forme d’instruction que nous soyons encore capables de
comprendre.
Lors de mes visites à l’université,
j’avais pour habitude de glisser une petite blague dans l’une de
mes présentations diaporama : ‘nous sommes un peuple
diabolique qui mérite d’être puni’.
Mais aujourd’hui, cette blague ne me fait plus rire.
Regardez ce que les Etats-Unis ont fait de leur propre territoire : un
terrain vague couvert de parkings gratuits et de centres commerciaux, de
jungles urbaines, de villes laissées à l’abandon
rouillant sous la pluie d’automne, de milliers de kilomètres
d’autoroutes – et puisque vous y êtes, pourquoi ne pas
jeter un œil à ces boîtes déprimantes dans
lesquelles sont installées les salles de classe, celles que l’on
appelle ‘infrastructures’. Nous vivons dans un environnement qui
semble destiné à créer des serial killers, des tueurs,
des psychopathes insensibles et des sadomasochistes préoccupés
uniquement par l’orchestration du rituel de leur propre
déshonneur au service de la douleur.
Laissez-moi vous rappeler qu’il existait autrefois
des sentiments propres à la nature humaine qui ont désormais
disparu aux Etats-Unis. Ils étaient ce que l’on appelait des
vertus. Elles représentent une manière d’agir reposant
sur la bonté et l’excellence et se font très rares en
notre pays, bien que nous disposions de tout un tas d’ersatz –
comme par exemple l’héroïsme ressenti hier par tous les
hommes qui ont regardé le foot à la télé. Tout ce
qui importe aujourd’hui est le tourbillon
d’évènements qui emporte notre nation colossale vers une
série de convulsions économiques qui prendront sans conteste
des allures politiques. Je ne pense pas que notre société
puisse survivre telle qu’elle est aujourd’hui. Elle devra traverser
une multitude de tribulations qui donneront naissance à des hommes qui
sauront agir en tant que tel. Et tous ceux qui seront encore en vie de
l’autre côté auront grand peine à comprendre les
monstres qu’ils auront laissés derrière eux.
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