La fourniture de
biens et services par l’État est-elle économiquement
supérieure à leur production privée, donnant ainsi une justification
économique à la fiscalité ? Pour cela, il faut
démontrer que l’État est capable de mieux gérer
des ressources rares que le secteur privé de l’économie.
Autrement dit, il faut analyser la capacité de l’État
à utiliser le calcul
économique.
Le calcul
économique ne se limite pas au calcul des profits monétaires,
c’est-à-dire, à la différence entre recettes et
dépenses. En fait, ce calcul monétaire n’est qu’un
outil permettant l’utilisation du calcul économique. Le calcul
économique consiste plus largement à comparer les profits de
divers projets, car un même capital peut être utilisé de
différentes façons. Le tout est d’en déterminer le
meilleur usage. Celui qui l’emporte sur toutes les autres utilisations
possibles de ce capital.
Faire un
profit monétaire est
fondamental, car ce profit est l’évidence que le projet
réalisé a permis de recouvrir les ressources utilisées
dans l’activité concernée tout en créant un
capital supplémentaire qui pourra être utilisé dans
d’autres projets. La notion de profit économique va plus loin car elle comprend aussi cette
idée que l’usage des ressources choisi a été productif étant donné les alternatives existantes. Faire un
profit monétaire qui est aussi un profit économique implique
que l’investissement choisi a permis de créer le plus de capital
supplémentaire possible à partir du capital initial.
Une perte
monétaire indique, au contraire, un transfert des ressources. Le
capital est consommé par les dépenses et sa capacité
productive diminue proportionnellement jusqu’à disparaître
entièrement en fonction des pertes réalisées. La notion
de perte économique
n’implique pas nécessairement une perte monétaire. En
effet, il est toujours possible de choisir une utilisation rentable des
ressources sans pour autant qu’elle soit la plus rentable. De ce fait,
il existe un manque à gagner en termes de capacité à
créer un capital additionnel et d’une certaine façon cela
constitue un gaspillage économique. Il aurait été
possible de faire mieux et ainsi de créer davantage de capital.
Evidemment,
pour être mené à bien, l’utilisateur du calcul
économique doit être incité à l’utiliser de
façon à éviter des pertes économiques (en
évitant notamment des pertes monétaires). Dans le secteur
privé, cette incitation se manifeste par le biais de la
propriété privée et les liens contractuels qui en
découlent.
Un
entrepreneur est incité à utiliser efficacement le calcul
économique car il veut au moins
maintenir la capacité productive de son capital – cependant,
cette incitation si elle est nécessaire, ne suffit pas au succès.
Si les pertes sont inévitables dans les usages alternatifs envisagés de
son capital, il sera alors incité à choisir l’usage le
moins pénalisant. La propriété du capital implique la
responsabilité de pertes. L’incitation n’est pas seulement
fondée sur l’envie de réaliser les gains potentiels, mais
aussi sur la crainte de faire des pertes potentielles.
Un
salarié à qui est délégué une partie ou la
totalité du capital d’un entrepreneur se trouve également
incité à utiliser le calcul économique du fait de l’institution
de la propriété privée. Certes, le salarié ne
possède pas le capital de l’entrepreneur, mais il dispose
d’un patrimoine personnel qui dépend intimement des revenus
issus de ce capital. Si le salarié veut au moins maintenir ce
patrimoine, il lui faut d’être économiquement efficient
dans l’usage des ressources qui lui sont
déléguées.
Ces
incitations ne sont pas présentes au sein de l’État. Tandis
que dans le secteur privé, le maintien ou la croissance d’un
capital est directement lié
à sa gestion économique, ceci n’est pas vrai dans le
secteur public. Certes, les politiciens et fonctionnaires ont une incitation
à maintenir ou faire croitre leur patrimoine personnel, mais ceci
n’est pas lié à une gestion économique des
ressources de l’État.
Les revenus
légaux des politiciens dépendent de leur maintien au pouvoir.
Or, celui-ci dépend des élections et pas nécessairement
des résultats économiques. Par conséquent, leurs revenus
dépendent de tout ce qui
peut leur faire emporter des élections. Le politicien est ainsi incité
à utiliser un calcul politique
qui vise les élections et non un calcul économique pour
gérer le capital de l’État.
A ceci
s’ajoute le problème de la formation du capital public.
Contrairement au capital privé qui se forme par l’incitation de
l’institution de la propriété privée, le capital
public est formé par l’expropriation légale du patrimoine
et des revenus des citoyens. Ceci donne aux politiciens la capacité
d’effacer leurs pertes par décret, ce qui n’est pas
possible pour les agents du secteur privé. Tandis que dans ce dernier,
l’individu est responsable de
ses décisions et donc des pertes, dans le secteur public, le
politicien n’est pas responsable des pertes et peut même les
couvrir en décidant de créer des impôts supplémentaires.
Les
salariés de l’État, les fonctionnaires, sont
encadrés par les lois et les organismes créés par les
politiciens. Si ces lois et organismes n’intègrent pas le calcul
économique, il est tout à fait naturel que les fonctionnaires
ne l’utilisent pas. Il ne s’agit donc pas d’un
problème d’incompétence ou de corruption mais
d’incitation – même si ces problèmes peuvent exister
indépendamment de toute incitation.
Les
politiciens et par conséquent les fonctionnaires sont incités
à faire usage du calcul économique dans des situations rares où
une augmentation de la fiscalité se traduit par une révolte
électorale, voire par une révolte violente de la population. Mais
dans de tels cas, il faudra que la responsabilité des pertes soit bien
établie entre les pertes de l’État sous forme de déficits
et de dette publique et les politiciens et fonctionnaires en place. Sinon, le
problème sera tout simplement laissé au prochain gouvernement.
Dans le
prochain billet, nous analyserons une autre justification de l’impôt,
celle du transfert des ressources par l’État. Nous aborderons
ainsi la question de l’illusion fiscale.
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