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Tout
démarre d’une mauvaise notion économique. Marc Schwartz,
médiateur de l’accord entre Google et la presse
d’information générale et politique, décrypte :
« La presse mettait notamment en avant le fait que ses ressources
publicitaires avaient considérablement baissé depuis
l’arrivée de Google en France, et que, selon ses estimations, le
chiffre d’affaires actuel de Google France correspondait globalement
à ce manque à gagner. » Autrement dit, la concurrence
du moteur de recherche l’aurait privé d’une partie de son
chiffre d’affaires, comme si celui-ci était une sorte de rente
intouchable. Marc Schwartz dit bien que pour la presse française
« il s’agissait donc
d’une « captation » de chiffre
d’affaires. » Le refus de l’économie de
marché sous-tend cette conception économique car elle est
fondée sur le partage plutôt que sur la création de
richesse et la conquête de nouvelles parts de marché.
Nathalie Collin est le porte-drapeau de cette conception
économique. Ancienne
co-présidente du directoire de Libération, co-présidente
et directrice générale du groupe Nouvel Observateur, elle est
surtout présidente de
l'Association de la presse d'information politique et générale
(IPG) qui a signé l’accord avec Google. Elle avait
proposé en 2009 que les fournisseurs d'accès Internet soient
taxés pour participer au financement de la presse écrite
française. En 2010, elle avait lancé Epresse
Premium, un kiosque numérique qui se voulait une alternative à
Google. On était presque dans le « Tout Sauf
Google. »
Le constat est que la loi du
marché est plus favorable à Google vers qui se tournent les internautes
pour sélectionner les informations. Cet état de fait est
inacceptable pour une presse française « papier »
ayant parfois du mal à faire sa transition vers le numérique et
gérer son référencement. Le bras de fer était
inévitable. Au-delà de Google et de l’IPG, ce sont bien
deux conceptions du marché qui s’affrontent : l’une
fondé sur le «laissez-faire » répondant
à l’offre et la demande, l’autre fondée sur la
« régulation » et le partage des richesses.
Comme nous sommes en France, Nathalie Collin et la presse française ont donc fait appel
à l’État avec lequel elles partagent la même
philosophie économique pour régler le différend avec
Google. Eric Schmidt, président de Google, et surtout Carlo
d’Asaro Biondo,
vice-président de Google, en charge de l’Europe, ont donc dû composer avec
François Hollande qui a nommé Eric Schwartz en tant que
médiateur pour mener les négociations entre les deux parties et
trouver un accord.
Mais peut-on parler de
négociations ? « J’avais
dit que s’il n’y avait pas d’accord, il y aurait une
loi. »
Ce sont les mots exacts
de François Hollande lors de la conférence de presse du 1er
février avec Eric Schmidt, Nathalie Collin
et Eric Schwartz à l’issue de la signature de l’accord. Le
Président avait brandi d’entrée de jeu la menace d’une
loi. Google a donc préféré
payer 60 millions d’euros pour éviter une loi à
caractère coercitif plus difficile à modifier qu’un
accord commercial. Payer pour éviter une loi,
voilà une nouvelle pratique qui ne laisse pas indifférent.
Et François Hollande
lui-même d’expliquer l’accord : « Il
permettra que des groupements de presse puissent bénéficier
d’un fonds à la hauteur de 60 millions d’euros, de
manière à ce qu’il puisse y avoir des soutiens à
la transition numérique, à des investissements, à des
innovations. » Et devant le parterre de journalistes, Nathalie
Collin se félicite car ce fonds doit « soutenir la presse dans sa mutation
numérique. »
Autre volet de l’accord que
signale Eric Schwartz, celui d’« un
partenariat commercial, dont les médias se font peu
l’écho, mais qui est très important car il vise à
favoriser le développement à long terme de l’audience et
des revenus publicitaires de la presse en ligne. C’est un accord par
lequel Google va mettre à disposition de la presse ses différentes
plates-formes technologiques, AdSense pour la
publicité sur PC, AdMob pour la
publicité sur mobile, etc... »
Eric Schmidt a donc préféré cet
accord, ce lien contractuel plutôt que la force de la loi. Il a sans
doute eu raison. Mais sur le principe, ces 60 millions d’euros restent
tout de même une sorte de subvention, symbolique d’une presse
sous perfusion qui a du mal à s’adapter à la nouvelle
économie du savoir et à faire sa mue numérique. Loin
d’être une vraie solution, cet accord ne fait que retarder le
processus de destruction-créatrice qui serait pourtant
bénéfique : certes une partie de la presse
disparaîtrait, mais ce serait au profit de nouveaux projets,
d’innovations notamment numériques, nécessaire à
cette profession. La subvention, c’est prendre du retard dans
l’innovation.
Mais c’est bien plus qu’un fonds que
François Hollande a mis en place, c’est une rente de situation
pour une presse à bout de souffle. La dernière phrase de sa
conférence de presse est significative : « Lorsque le
fonds sera épuisé, nous nous retrouverons pour une prochaine
conférence de presse avec le Président de Google. » Eric
Schmidt risque de devenir la vache à lait de la presse
française.
Mais, entre nous, Google
s’en tire plutôt bien. En effet, 60 millions d’euros
représentent 4% de son chiffre d’affaire de 2012 et cette somme
est allouée pour plusieurs années jusqu’à
épuisement. Le prélèvement est finalement assez
léger si on le lisse sur les deux ou trois années à
venir. Et puis, d’un point de vue business, François Hollande,
ses deux ministres impliqués, Fleur Pellerin et Aurélie Filippetti, et Nathalie Collin
ne sont pas de bons leveurs de fonds. À quatre, avec le poids de l’État
et la menace d’une loi, ils ont récolté 60 millions
d’euros. En comparaison, le français Daniel Marhely,
28 ans, cofondateur et directeur technique de Deezer,
a levé 100 millions d’euros en octobre dernier auprès de
Len Blavatnik qui a repris Warner Music. La vieille
école étatique en a encore beaucoup à apprendre
auprès des jeunes et vrais entrepreneurs. Finalement, la dupe
n’est peut-être pas celle que l’on croit.
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