Des décisions européennes
incohérentes
Les instances
européennes nous ont encore récemment offert un spectacle
pitoyable. La décision de taxer les dépôts des banques
chypriotes afin de contribuer au financement de la crise bancaire locale procédait
sans doute d’une bonne intention. Il s’agissait d’éviter
que le coût de la crise bancaire ne repose que sur le contribuable
chypriote et en dernier ressort sur le contribuable européen à
travers le plan d’aide européen. Le problème est que des
règles à géométrie variable ad-hoc pourraient
générer cette instabilité que ces instances
européennes veulent à tout prix contrecarrer.
Les règles ne valent que si
elles sont clairement énoncées et mises en application
Quiconque a
dû éduquer des enfants sait pertinemment qu’une
règle doit être énoncée clairement pour valoir en
tant que règle et principe fondamental s’il en est un. Elle doit
s’appliquer systématiquement sinon elle n’est pas
respectée. Il semble bien que nos dirigeants européens aient
oublié ce principe de base qui caractérise le comportement
humain, des petits comme des grands.
Depuis le
début de la crise de 2007, les plans de résolutions de crise
bancaire au niveau européen se succèdent sans se ressembler.
L’État irlandais et ses contribuables ont dû absorber le
coût de la crise bancaire alors que l’Espagne a
bénéficié du soutien de l’aide européenne.
Il s’agissait d’éviter que le cas de l’Espagne ne se
transforme en problème grec et de rompre le cercle vicieux entre dette
bancaire et dette publique. L’union bancaire européenne a
été créée à cet effet et le programme
d’achat illimité de la dette des états européens
en difficulté par la Banque centrale européenne vient le
compléter.
Face à
la crise bancaire chypriote, il était donc légitime de
s’attendre à ce que ce pays puisse bénéficier de
cet outil réglementaire. Et bien, non. Comme
les irlandais, les chypriotes ont eu droit à un traitement
particulier. Les raisons invoquées tiennent à la
spécificité de Chypre, paradis fiscal européen pour
Russes en mal de placement en Euros. Il est néanmoins difficile de
voir le rapport entre ce constat et la décision de taxer
l’ensemble des déposants pour participer au financement de
sauvetage des banques.
Taxer les déposants, une
décision particulièrement inique
La
décision de taxer les déposants est particulièrement
inique dans la mesure où les déposants, en particulier les
petits déposants sont, à tort ou à raison,
considérés comme incapables de juger de la qualité de
leur établissement bancaire et à ce titre sont couvert par
l’assurance des dépôts qui au niveau Européen
s’élève à 100 000 euros, plafond qui
s’applique également dans le cas de Chypre.
Cette garantie
des dépôts est supposée contribuer à éviter
les paniques bancaires dans la mesure où, dans un contexte de crise
bancaire et d’incertitude, les déposants pourraient être pris
d’un sentiment de panique et « se ruer » sur les
banques afin d’y retirer massivement leurs dépôts. Cela
entrainerait la faillite certaine des établissements bancaires
déjà fragilisés.
Taxer les
déposants, c’est les obliger à contribuer au renflouement
de leurs banques et le rendre solidaires des décisions prise par leurs
banquiers. Or, dans le même temps, les régulateurs estiment
qu’ils ne sont pas assez compétents pour juger de
l’état de leur établissement bancaire. Cette
contradiction évidente ne semble pas sauter aux yeux des
régulateurs. Ou bien on
estime que les déposants sont capables de discernement et effectivement
il est envisageable de les mettre à contribution en tant que
créanciers responsables. Ou bien on estime qu’ils ne sont pas
avertis et ils ne peuvent donc pas être mis à contribution
puisqu’ils ne sauraient être « responsables »
des actions entreprises par leur établissement bancaire.
Fort
heureusement les autorités européennes, face à
l’impopularité de la mesure, ont recommandé de ne taxer que
les dépôts supérieurs à 100 000 euros. Cependant
cela conduit à la vider de sa substance puisque le plafond
s’applique au compte et non au titulaire du compte. Or, il est fort
à parier que peu de comptes seront concernés étant
donné que les titulaires de comptes supérieurs à 100 000
euros détiennent plusieurs comptes pour bénéficier de
l’assurance totale de leurs avoirs. C’est sans doute ce qui a
conduit le gouvernement chypriote à proposer de taxer les
dépôts supérieurs à 20 000 euros même
si le 19 Mars le parlement n’approuvait finalement pas le plan de
sauvetage. Par ailleurs, la taxation des comptes supérieurs à
100 000 euros aggrave la fuite des capitaux dans un contexte difficile.
Une cacophonie
révélatrice d’un manque de vision
Il
n’empêche que cette situation est révélatrice de la
cacophonie qui règne au sein des autorités européennes
et des pays membres de l’Euro. Leur incapacité à
énoncer des règles communes et claires tient au fait que les
pays membres de l’Euro sont en permanence tiraillés entre leur volonté
de ne faire qu’un tout et leur souhait de garder leur
spécificité dans un ensemble où coexistent de multiples
exceptions, à commencer par Chypre.
En effet, l’île est à maints égards un paradis fiscal en zone Euro alors
même que les pays européens ont fait de la lutte contre ces
paradis un cheval de bataille. Face à la crise bancaire chypriote,
l’idée de faire payer les contribuables locaux (et potentiellement
les contribuables européens) était difficile à
défendre.
Il fallait
donc réintroduire un peu de justice. Ainsi, conformément aux
règles de l’union bancaire, les créanciers des banques se
révélaient les premiers à devoir contribuer à
l’effort de renflouement de leur banque, à défaut des
actionnaires en vertu de leur responsabilité limitée. Cependant,
la structure des créances des banques chypriotes est telle
qu’elle ne laisse pas d’autres choix que de ponctionner les
déposants. Ils sont, en effet, les principaux créanciers dans
la mesure où les banques chypriotes ne possèdent que
très peu de dettes obligataires. Ce choix semblait d’autant plus
rationnel qu’il permettait de mettre à contribution les
déposants Russes qui profitent de la spécificité de
l’île pour mettre à l’abri leurs avoirs et qui
détiennent principalement des comptes non assurés. Évidemment
le risque était de voir à l’avenir ces
dépôts fuir vers des places plus accueillantes et plus stables.
Si
l’intention était bonne, le résultat est
désastreux ! Il est aujourd’hui impossible de savoir et
d’anticiper la règle qui sera appliquée demain. Chaque
crise bancaire au sein de l’Euro a conduit à un traitement
particulier. C’est à ne plus rien y comprendre et il est
à craindre que les déposants européens deviennent
nerveux à l’avenir ! Si l’existence de
l’assurance des dépôts a sans doute contribuer à
expliquer l’absence de mouvement de panique général lors
des précédents épisodes de crise bancaire, il est
à redouter que ce ne soit plus le cas à l’avenir…
La stabilité et le respect des
règles : une condition indispensable à la
crédibilité de la zone Euro
La
multiplication des déclarations incohérentes au mieux et
contradictoires au pire exacerbent les tensions au sein des pays membres de
l’Euro et entre les pays membres. Ce climat
délétère ne contribue ni à l’apaisement des
populations mises à rude épreuve dans certains pays, ni
à la stabilité pourtant indispensable à l’envie
d’entreprendre et de faire des projets. Il est urgent que les
dirigeants européens en prennent la mesure afin de recréer de
la cohérence et de la confiance en zone Euro.
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