Débattre avec Ambrose
Evans-Pritchard n’est pas tâche facile. Il sait de quoi il parle,
a beaucoup voyagé, écrit très bien et a l’esprit tranchant. Et pourtant, je me dois de
vous dire que le raisonnement de son article publié dans The Telegraph
le 17 janvier 2013 et intitulé A
new Gold Standard is being
born est imparfait.
Dans son article, il fait
référence aux ‘dynamiques de l’ancien étalon
or et de leurs pouvoirs destructeurs, et de la présence continue du
risque de rupture’.
Je suppose qu’il fait
référence à l’étalon or d’avant la
première guerre mondiale et du chaos financier qui a
éclaté dans les années 1930 lorsqu’il parle des
effets destructeurs de l’étalon or. Ce chaos ne devrait pas
être attribué à l’étalon or tel qu’il
existait à l’époque, mais à l’expansion de
crédit, qui représente en réalité une violation
des règles établies par l’étalon or. Les troubles
des années 1930 ont été causés par la correction
imposée par l’étalon or sur la manipulation
financière du crédit à laquelle s’adonnaient les
pouvoirs en place. Ce qui était destructeur n’était autre
que leur politique d’expansion du crédit au-delà de
l’épargne. Si vous mettez votre main dans le feu, ne
blâmez pas ses ‘pouvoirs destructeurs’, empêchez-vous
simplement de le refaire à l’avenir.
Ambrose écrit
ceci : ‘le système global est souple, il se plie sous la
pression’.
A dire vrai, il n’existe
pas de ‘système global’. Ce qui existe aujourd’hui
n’est qu’un processus global.
Par définition, un
système a des paramètres. Un système, c’est un peu
comme une table de billard sans trous. Les paramètres sont les bords
de la table de billard au-delà desquels les boules ne peuvent aller.
Les paramètres d’un système assurent sa stabilité
et son endurance au travers du temps.
Un processus a quant à
lui un début, un milieu et une fin, un peu comme la cuisson d’un
steak ou l’allumage d’un pétard. Si vous allumez un
pétard, le processus prend fin par son explosion. Un processus ne dure
pas indéfiniment.
Depuis Bretton
Woods (1944) jusqu’en 1971, le monde a connu
un système défectueux et fragile. Un paramètre ne
pouvait être violé : les Etats-Unis ont solennellement
promis d’échanger les dollars détenus par les banques
centrales étrangères contre de l’or à hauteur de
35 dollars par once. Ce système permit de contenir l’expansion
de crédit jusqu’en 1971, lorsque Nixon décida de revenir
sur cette promesse. Voir le graphique suivant intitulé
‘International Central Banks, excluding
gold’ :
Depuis 1971, nous
n’avons plus eu de système monétaire pour la simple
raison qu’il n’existe plus aucun paramètre de
l’expansion de crédit.
Ce que nous avons eu depuis
1971 est un processus explosif d’expansion de crédit de par le
monde. La dette totale du monde est estimée à 350% du PIB
mondial.
Ce processus explosif –
comme celui d’un pétard – est entré en phase
finale. Il n’y a aucun moyen d’éviter
l’effondrement : une dette mondiale de 350% du PIB global
n’est pas soutenable. Il n’existe aucun moyen de nous en sortir.
Le monde n’a pas seulement mis sa main au feu, il s’est
jeté dedans complètement. La peine qu’apportera
l’effondrement à venir sera épouvantable.
Il serait intéressant
de voir comment ceux qui sont responsables du désastre actuel en
expliqueront la cause, qui n’est autre que l’expansion
illimitée de crédit.
Ambrose fait l’apologie
du système global : ‘le système global est souple,
il se plie sous la pression’. C’est vrai, il ‘se plie sous
la pression’ – qui n’est rien de plus qu’une autre
façon de dire qu’il n’existe aucun paramètre, et
que ce que nous avons aujourd’hui n’est autre qu’un
processus explosif de création de crédit. Dans un futur proche,
nous apprendrons que le processus d’effondrement de crédit est
porteur d’un ‘pouvoir destructeur’.
Ambrose imagine
l’arrivée d’un nouvel étalon or. Il explique que
l’or ‘occupera une place en tant que troisième devise de
référence globale’, mais ne sera ‘pas dominant au
point de lier notre destinée collective aux hauts et bas de la
production minière, qui ne serait autre qu’un retour à
une relique barbare’. En d’autres termes, ‘oui mais non, le
monde s’en dépatouillera, de quelque manière que ce
soit’.
La production minière
globale que mentionne Ambrose est un facteur négligeable de la
détermination de la valeur de l’or. Si la production
minière doublait ou disparaissait complètement, ses effets sur
le prix de l’or seraient quasiment imperceptibles. Ambrose ne semble
pas savoir que les quantités d’or disponibles ne correspondent
pas au métal extrait chaque année par les
sociétés minières, mais à environ 170.000 tonnes,
parce que l’or qui a été extrait par le passé
– s’il n’a pas coulé au fond de la mer lors
d’un naufrage ou n’est pas enterré quelque part dans un
coffre au trésor – a aujourd’hui un propriétaire et
fait partie de l’offre potentielle.
Le ratio quantités
disponibles/production est plus faible pour l’or que pour toute autre
ressource. La production minière, d’environ 2.400 tonnes par an,
représente 1,5% de l’offre totale. Il faudrait 67 ans, au taux
de production actuel, pour doubler la quantité d’or disponible.
Les quantités disponibles de cuivre ne représentent par exemple
que trois mois de consommation. Le prix du cuivre est sujet aux fluctuations
de l’offre et de la demande. L’or est le modèle de la
stabilité.
Ambrose clôture son
article en disant : ‘établissons trois devises mondiales,
un trépied à la jambe d’or. Voilà qui serait un
système stable’.
Ambrose tergiverse. Il est en
faveur d’un étalon or tant qu’il n’interfère
pas avec l’expansion de crédit, ce qui signifie que les nations
développées peuvent continuer de prétendre être
des Etats-providence jusqu’à ce que leurs citoyens descendent
dans les rues et que des émeutes éclatent.
Les deux ne peuvent pas
coexister. Ambrose ! Le monde aura le choix entre établir un
étalon or et des échanges en or, ou de ne pas le faire. Et si
le monde ne choisit pas l’étalon or, alors nous pourrons dire au
revoir à la civilisation industrielle.
J’ai conscience que
tenir des propos aussi dramatiques va à l’encontre de
l’esthétique Britannique qui perçoit la clarté
comme la preuve d’un manque d’éducation. Mais quand il en
vient à parler de l’or, il n’est pas possible de
‘passer par quatre chemins’, comme diraient les Anglais.
Le prix de l’or est si
élevé dans le monde réel (celui qui n’est pas
peuplé d’économistes Keynésiens,
d’oligarques financiers et de politiciens-valets) qu’il ne pourra
jamais fonctionner en tant que devise internationale tant que d’autres
devises existeront, pour la simple raison que personne n’acceptera de
l’utiliser comme moyen de paiement s’il existe un moyen
alternatif de payer sa dette ou de conclure une transaction.
L’or ne sera pas
utilisé en tant que monnaie jusqu’à ce qu’une
puissance nucléaire exportatrice n’exige des paiements en or en
échange de ses produits, décision sur laquelle
s’aligneront d’autres nations. D’ici à ce que cela
se produise, l’or commencera à faire ce qu’il a fait alors
que l’Empire Romain entrait en phase de déclin et pendant les
années de l’Assignat en France (1790-1797) : il partira se
cacher.
Si l’expérience
Française après la Révolution peut nous apprendre une
chose, c’est que nous n’avons encore rien vécu des spasmes
de désespoir des pouvoirs en place : persécutions,
confiscations, exécutions, emprisonnement de toute personne
détenant de l’or. Lorsque cela sera derrière nous, nous
observerons notre monde comme anti-démocratique, comme un monde
dirigé par des militaires, au sein duquel les plus
éclairés prônaient peut-être d’opter pour
l’utilisation de l’or et de l’argent comme monnaies, mais
qui a dû se plier à un système ‘souple et adaptable
à la pression’.