Pourquoi l’État
français a-t-il échoué en Afghanistan ?
Je sais que le
gouvernement prétend
avoir gagné mais il s’agit surtout de camoufler
l’embarras d’un gigantesque gâchis se soldant par une
défaite qui était prévisible.
Depuis 2001,
ce sont près de 70 000 militaires, soit la quasi-totalité des
effectifs opérationnels de l'armée de Terre, qui ont
été engagés en Afghanistan. Quatre-vingt-huit soldats
français sont morts dans ce pays dans une guerre qui a
coûté environ 20 milliards d’euros aux contribuables et qui
n’est toujours pas terminée après 11 ans (la Seconde
Guerre mondiale a durée 6 ans ; la guerre d’Algérie
en a duré 8). Mi-2013, si tout se passe comme prévu, il n'y
aura plus que 500 soldats français à Kaboul.
11 ans de guerre
Les raisons de
l’échec de la coalition et de l’État
français en particulier sont actuellement peu débattues alors
que nous aurions besoin d’analyses contrastées et bien
renseignées sur ce qui s’est passé.
Le problème
structurel de notre engagement militaire était que l’objectif
poursuivi par la coalition ne pouvait pas être atteint sans un plus
grand engagement de ressources, mais les enjeux liés au conflit ne
justifiaient pas un tel niveau d’engagement.
En d'autres termes,
remporter la victoire n’en valait pas la peine et le véritable
échec des gouvernements successifs (Jospin, Raffarin, de Villepin,
Fillon, Ayrault) a été de ne pas reconnaitre ce fait beaucoup
plus tôt et d'en tirer les conclusions politiques appropriées.
Pas assez de troupes
Premièrement,
pour décrocher une victoire significative en Afghanistan – que
l’on peut définir comme vaincre définitivement les
Talibans et créer un gouvernement efficace de style occidental à
Kaboul – il aurait fallu envoyer beaucoup plus de troupes sur le
terrain.
Ce
déficit a été aggravé par les divisions ethniques
qui animent l'Afghanistan, son terrain montagneux, son isolement
géographique, l'insuffisance des infrastructures et ses
frontières poreuses.
Le refuge pakistanais
Deuxièmement,
la victoire était insaisissable parce que le Pakistan a
continué à soutenir les Talibans et son territoire leur a
fourni des sanctuaires efficaces. Un rappel en guise d’exemple :
Oussama Ben Laden se trouvait au Pakistan, pas en Afghanistan. Les Talibans
combattant en Afghanistan pouvaient toujours traverser la frontière et
revenir se battre un autre jour.
Paris et
Washington n'ont jamais été prêts à forcer le
Pakistan à cesser de soutenir les Talibans et il n'est pas certain que
cela aurait été possible sans entrer en guerre contre le
régime pakistanais lui-même, soulevant la question de la
stabilité d’un État doté d’un arsenal
nucléaire.
Le gouvernement afghan
Troisièmement,
la coalition n’a pas pu obtenir du gouvernement afghan d’Hamid Karzai qu’il réforme le pays à
l’occidentale parce que ce dernier était le seul gouvernant
presque crédible et qu’il le savait.
À moins
que l’OTAN n’ait été prête à prendre
en charge l'ensemble du pays et à essayer de le gouverner directement –
une tâche qui aurait fait passer l’occupation de l'Irak pour un
jeu d’enfant – la coalition était forcée de
travailler avec Hamid Karzai, malgré ses
nombreux défauts.
Les
opérations militaires anti-insurrectionnelles réussies exigent
des partenaires locaux efficaces et légitimes ; ces derniers
n’existaient pas en Afghanistan.
Une inadéquation fondamentale
Les forces de
la coalition ont fait d'énormes sacrifices personnels en s'efforçant
de gagner dans des conditions difficiles. Mais si cette guerre avait
été une véritable priorité stratégique, les
États auraient lutté de façon très
différente.
Ainsi, la
véritable raison du fiasco de la guerre en Afghanistan est due au fait
que l’ensemble des décideurs et analystes ont omis de
reconnaitre l’inadéquation fondamentale entre a) les intérêts
de l’État français et de la coalition qui étaient très
limités dans la région, b) les objectifs déclarés
qui étaient bien trop ambitieux (créer une démocratie à
l’occidentale en Afghanistan) et c) les vastes ressources et la patience
qu’il aurait fallu avoir et mobiliser pour atteindre ces objectifs.
Compte tenu de
ce décalage entre les intérêts, les objectifs et les
ressources, il était malavisé de continuer à essayer de
gagner une guerre à un niveau d'effort qui n'était pas suffisant
pour réussir.
Pourtant,
personne n’a jamais soulevé cette contradiction. Ou bien leur
avis n'a pas été entendu.
Il est plus
que temps de réformer la politique étrangère de
l’État français.
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