Alors que l’affaire Cahuzac
continue de faire couler de l’encre et que sous le coup de
l’émotion, une batterie de mesure en faveur de la transparence a
déjà été proposée, il n’est pas
simple d’analyser les choses sereinement. Pourtant le sujet en vaut la
peine. Mais, comme souvent, on risque de traiter sous l’angle
exclusivement « people » et superficiel un
problème bien plus profond, nous touchant directement ou
indirectement.
Il est certain que Jérôme Cahuzac
est coupable de mensonges répétés. Il s’est aussi
comporté de façon immorale en ce qu’il n’a jamais
cessé de défendre et mettre en œuvre des hausses d’impôts,
quand il ne s’appliquait pas la chose à lui-même et pratiquait
l’évasion fiscale. Ce double discours n’est pas tenable et
il est sain qu’il ait été épinglé. Une
bonne chose de faite.
Cependant, les cris d’orfraie à
l’égard d’une regrettable affaire ne doivent pas occulter
une spécificité française, le poids des impôts et
des charges. Les propositions formulées dans les derniers jours et le
discours du président le mercredi 10 avril - moyens supplémentaires pour
lutter contre les fraudes, haro sur les paradis fiscaux, harmonisation
fiscale, etc. – ne répondent pas à cette
réalité intenable.
Comme nous l’avons montré dans une
étude publiée en collaboration avec Ernst &
Young, le poids des charges et impôts est en France l’un des plus
lourds de l’Union européenne. La France arrivait l’an
passé en 26ème position, juste avant la Belgique
pour la fiscalité pesant sur le salarié moyen. Il est
malheureusement peu probable que les choses s’améliorent dans le
futur. D’une part nous sommes incapables d’équilibrer nos
comptes publics depuis 1974. D’autre part les mesures fiscales annoncées
ou déjà mises en œuvre pénalisent à
multiples titres les ménages, qu’il s’agisse des revenus
de leur travail ou de leur épargne ou des taxes sur leur consommation.
L’évasion fiscale est devenue le
symptôme d’une société française malade
d’une fiscalité trop gourmande. Or, à ce jour, la
question est systématiquement abordée de façon
idéologique. Se contenter de condamner les exilés fiscaux, sans
même s’interroger sur les raisons de leurs actes, serait une
erreur.
Il est urgent de se demander, dans un pays qui
prélève toujours plus d’impôts, si le fardeau
fiscal est juste et supportable ? C’est d’ailleurs ce que nous
a invité à faire le Conseil constitutionnel. Il a ainsi sanctionné
des mesures du gouvernement actuel, après avoir posé
ouvertement la question de savoir « si le nouveau niveau de
certaines impositions faisait peser sur les contribuables concernés
une charge excessive au regard de leur faculté
contributives. » C’est la question que se posent nombre de
français qui - sans
nécessairement se mettre hors-la-loi - décident de
réduire la voilure en travaillant moins, ou de quitter le navire en
s’expatriant.
Ajoutons que les seuls taux d’imposition ne donnent
pas une image complète de la situation française. En effet,
l’autre caractéristique de l’environnement fiscal
français est plus qualitative, comme l’explique l’avocat
fiscaliste Jean-Philippe Delsol. Elle est
liée à l’instabilité intrinsèque des codes
des impôts, de la sécurité sociale ou du travail. Cette
instabilité crée un climat d’incertitude
extrêmement pernicieux pour le développement des affaires, et donc
de la croissance économique et sociale.
Quand on joint les deux éléments ensemble, on
comprend mieux pourquoi des citoyens français font le choix de
travailler moins pour payer moins d’impôts, de travailler au
noir, d’ouvrir un compte à l’étranger ou tout
simplement de quitter la France.
La question de la fraude fiscale gagnerait donc à
être appréhendée de façon plus pragmatique. La
fraude n’est pas seulement un problème moral et un manque
à gagner de recette fiscale, mais aussi la réaction d’individus découragés
par un niveau de fiscalité jugé confiscatoire et un climat
incertain.
L’affaire Cahuzac ne
devrait pas être l’arbre qui cache la forêt et le grave
problème moral de notre société n’est pas
là où on le pense. Le phénomène de la fraude
fiscale n’est pas exclusivement le fait d’individus immoraux et
cupides. Il est le symptôme d’une société qui prive
ses concitoyens de libertés fondamentales : celles de produire
dans un contexte stable et de conserver une partie suffisante des fruits de
leur travail. Il est dommage que, dans le pays des droits de l’homme, l’on
puisse se contenter de stigmatiser des comportements sans être capable d’agir
sur leurs causes réelles.
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