S'il y a
encore un aspect surprenant à la crise des dettes publiques de la zone
euro après plus de trois ans d'agonie, c'est bien l'absence d'un
mouvement eurosceptique européen.
Il est
évident que la zone euro fonctionne mal. Il est flagrant que les
politiques mises en œuvre pour la sauver sont un échec.
Pourquoi donc
les Européens n'envoient-ils pas leurs hommes politiques en retraite
anticipée ?
Certains
gouvernements ont perdu des élections nationales. Mais la politique générale
s’articulant entre renflouement des États et « faustérité
» (hausse des
impôts sans
réduction du poids de l’État dans
l'économie ni réformes structurelles) n'a jamais
été autorisée à changer. Pourquoi ?
Des
narrations nationales incompatibles
La
réponse est qu'il n'y a pas d'analyse des problèmes
européens communément admise. Dans tous les pays de la zone,
les sondages d'opinion suggèrent qu'un malaise face à
l’euro et à la gestion de la crise est très
répandu. Ce qui diffère de pays à pays sont les raisons
de l'insatisfaction des Européens.
Dans les pays
qui souscrivent pour l’instant au sauvetage de la monnaie unique, la
principale préoccupation des citoyens est de payer pour les erreurs
des autres. Les Finlandais, les Néerlandais, les Autrichiens et les
Allemands ne souhaitent ni renflouer les oligarques russes et leurs
dépôts à Chypre, ni les préretraités grecs,
ni les fraudeurs fiscaux italiens. Il s’agit là
d’exagérations stéréotypées, mais elles
représentent assez bien le sentiment populaire.
Pour ceux qui
s'opposent à l'euro en Grèce, à Chypre ou en Italie, la
monnaie unique et les choix politiques qui sont sensés la soutenir
sont vus comme des diktats indésirables
promulgués par Bruxelles, Francfort et Berlin.
Le lecteur de
la presse populaire britannique, quant à lui, apprend que l’euro
est juste la façon dont l'Allemagne a tardivement gagné la
guerre. Ce que les panzers n'ont pu conquérir, la puissance
économique de l’Allemagne moderne l’a fait.
Il ne semble
guère possible pour un Allemand préoccupé par la
compétitivité de son pays et son propre fardeau fiscal de s'associer
à un manifestant anti-austérité grec. Les deux peuvent
être convaincus que l'euro est la racine de tout mal ; mais ils le sont
pour des raisons totalement différentes. Pour l'Allemand, l'euro a
incité l’État grec à dépenser sans compter
avant la crise, provoquant la débâcle actuelle ; pour le Grec,
cette débâcle est la conséquence des politiques
d'austérité imposées par Berlin afin de sauver
l’euro.
On le voit,
l’opposition à la monnaie unique est fragmentée à
travers le continent. Les récits nationaux eurosceptiques ne sont pas
compatibles.
Des partis
politiques aux lignes opposées
Dans la
plupart des pays européens, il existe maintenant des mouvements
eurosceptiques. Mais leurs lignes politiques ne sauraient être plus
diverses.
Ainsi,
même si on note de grandes différences de fond et de style entre
ces formations politiques, le Parti pour l'indépendance du
Royaume-Uni, l’Alternative pour l’Allemagne et l'équipe Stronach en Autriche pourraient toutes être
définies comme étant plutôt opposées à
l’Union européenne tout en étant vaguement libérales
sur le plan économique.
De leur côté,
le Mouvement 5 étoiles italien et la Coalition de la gauche radicale
grecque justifient leur position anti-euro par leur rejet des politiques
réformistes imposées par l’Union européenne.
L'Union
européenne a toujours souffert de son incapacité à unir
le continent derrière des causes communes. Ironie du sort, ses
détracteurs sont confrontés à la même
difficulté. Ils sont trop différents pour contester
efficacement l’orthodoxie de l’Union.
Extrêmes
dans l'exagération ou le consensus
S’opposer à la monnaie unique
a été rendu encore plus difficile par la façon dont les
partis concernés ont été étiquetés comme
étant extrêmes ou réactionnaires.
Le Parti pour l'indépendance du
Royaume-Uni semble en partie composé de
personnes excentriques, désagréables et tonitruantes - ce qui n’est
guère surprenant : chaque mouvement s’opposant au consensus
attire son lot d'hurluberlus.
En Allemagne,
être en faveur d’une intégration européenne
toujours plus étroite a été longtemps
considérée comme une condition sine qua non de
respectabilité politique. Aucun parti politique souhaitant rester
éligible n'aurait osé s'écarter de ce consensus
démocratique d'après-guerre.
Le nouveau
parti Alternative pour l’Allemagne, dirigé par un éminent
professeur d'économie de Hambourg, a dû se défendre dès
sa création contre des allégations d’extrémisme
politique. Et pourtant, s'il y a quelque chose qui est extrême dans ce
parti, c'est sa volonté de jouer selon les règles de la
démocratie européenne.
Ce curieux
parti eurosceptique se décrit comme pro-européen et même
en faveur de l’Union européenne mais déclare que
l'introduction de l'euro a été une erreur qui doit être
corrigée. Toutefois, la fin de la zone euro devrait se produire
à la suite de renégociations entre les membres de la zone euro,
dans le cadre d’une dissolution ordonnée de la monnaie unique.
Cette recherche permanente du consensus dans l’alternative rappelle la
célèbre maxime de Lénine : « Si j'ordonne
à des Allemands de prendre une gare, ils commenceront par acheter des
tickets de train ».
Tant que les
mouvements eurosceptiques en Europe restent fragmentés, les chances
qu’il y ait une opposition significative à la politique
européenne sont proches de zéro.
Comme toutes les monnaies, l'euro finira
par disparaître, peut-être à cause de ses défauts
de conception. Mais on peut penser que l’opposition politique à
la monnaie unique ne contribuera guère à sa chute.
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