Mes chères contrariées, mes chers contrariens
!
Un internaute du pseudonyme Fromagerp en
réaction à l’édito d’hier se posait, et nous
posait, une question fort passionnante : quel serait le coût
d’une sortie de l’euro ?
Pour lui, et je le cite, « bref nous sommes d'accord personne ne
peut payer !! Sauf à Chyprioter les 2 600
milliards d'épargne des Français !
Donc si on ne paie pas que fait-on ? On sort de l'euro mais quel est
l'impact en termes d'inflation ? Est-ce que cela coûtera plus cher ou
pas ? Nulle part il y a d'évaluation du coût de cette sortie :
le calcul est infaisable ou irréaliste ?… »
Effectivement, aucun travail sérieux n’a
été fait sur ce sujet et là encore notre camarade contrarien Fromagerp arrive
à la bonne raison… le calcul est infaisable.
Certains ont tenté mais quel que soit le travail fourni, le
résultat n’a pas grand intérêt ni grand sens.
Pourquoi ?
Comment
calculer le coût d’une sortie de l’euro ?
Il n’y a aucune formule mathématique pour obtenir ne
serait-ce qu’une approximation du coût éventuel
d’une fin de la monnaie unique. Autrefois, lorsque nous avions nos
monnaies nationales, nous étions en mesure d’avoir une estimation
de l’impact d’une dévaluation car l’on savait par
rapport à quoi la dévaluation allait avoir lieu et nous avions
un certain nombre d’hypothèses connues.
Avec une sortie de l’euro, rien de tel. Lorsque vous entendez
ici ou là qu’une sortie de l’euro c’est rentrer en
terre inconnue, c’est tout à fait vraie.
Deux
hypothèses qui peuvent changer radicalement le coût d’une
sortie l’euro !
Est-ce une sortie ordonnée et préparée de la
monnaie unique ?
Est-ce une explosion de l’euro et une panique
générale dans le cadre d’un sauve-qui-peut européen
?
Pour chacune de ces deux possibilités, les coûts seraient
radicalement différents puisque le prix d’une panique est
toujours très élevé. Néanmoins, là aussi
personne n’est capable de dire combien tout cela coûterait !
Quelques estimations en vrac
Selon UBS :
Dans une étude, la banque helvétique UBS a tenté
d'évaluer le coût d'une sortie de la zone euro : selon ses
calculs, cela se situerait entre 9 500 euros et 11 500 euros par habitant la
première année pour un pays endetté et affaibli, soit
près de la moitié de la richesse produite par le pays.
Selon le Front National :
Sur le site chiffrage et déchiffrage 2012 concernant les
programmes des différents candidats à la dernière
élection présidentielle, voici ce qui est écrit pour le
programme du Front National, pour qui la sortie de l’euro est une
mesure économique phare :
« - la dévaluation du change (20 %) ;
- la hausse des taux d’intérêt ;
- la diminution des dépenses publiques et les hausses
d’impôts (nécessaires pour compenser cette hausse des taux
d’intérêt et l’accroissement de la dette sur les
finances publiques).
L’évaluation de la mesure prend en compte une sortie de
la zone euro de la France sans désagrégation du reste de la
zone euro. Le chiffrage proposé résulte essentiellement de
l’utilisation du modèle macro-économétrique
MESANGE, de la DG Trésor (version 2010, cf. document de travail
disponible sur internet). Toutefois, ce type de modèle n’a pas
été développé pour estimer en particulier une
hypothèse de sortie non anticipée de la France de la zone euro.
En conséquence, le chiffrage présenté ci-dessus est
plutôt « optimiste », sans qu’il soit pour autant
possible de l’améliorer aisément : il ne prend pas en
compte un certain nombre d’effets systémiques négatifs
potentiels à court comme à long terme
(désintégration de la zone euro, potentielle guerre
commerciale, redistribution de la richesse entre secteurs
d’activité et restructuration de certains d’entre eux,
coûts de transitions, etc.). »
Vous voyez donc que dans ce cas, seuls trois grands paramètres
ont été retenus pour l’estimation. Quelle est
fiabilité ? Similaire aux chiffres avancés par la banque UBS,
c’est-à-dire proche de zéro.
Selon Patrick Artus
Pour lui, la liste serait la suivante – j’ai
résumé un peu ses réponses et vous avez en lien
l’article original qui est une interview donnée au site Captain Economics.
- Coûts de la réintroduction des monnaies nationales.
- Dégradation des termes de l'échange pour les pays du
Sud. On présente souvent la sortie de la zone euro et de la
dévaluation monétaire comme LA solution aux problèmes
des pays du Sud de la zone (Grèce, Portugal, Espagne...). Mais dans
les pays industrialisés de petite taille, une dévaluation
pourrait avoir un impact négatif, car certes cela relancerait les
exportations (en volume), mais cela renchérirait fortement le prix des
importations.
- Perte de compétitivité pour les pays qui
réévaluent. Un pays est visé par ce point : l'Allemagne.
En effet, en cas de sortie de la zone, le deutsche mark s'apprécierait
et rendrait difficile les exportations allemandes vers les autres pays de la
zone euro. Autant vous dire que les exportations de l'Allemagne vers son
principal partenaire commercial (la France), exportations qui
représentent tout de même environ 100 milliards d'euro par an,
vont substantiellement diminuer !
- Nécessité de faire défaut sur les dettes
publiques et privées des pays qui dévaluent. Si un pays
dévalue sa monnaie, les dettes extérieures, dénominées
en dollar ou converties en deutsche mark, deviennent impossibles à
rembourser. Par exemple vous habitez en Grèce et vous faites du
business avec les États-Unis et avez une dette "en dollar"
envers votre fournisseur. La zone euro explose, mais vous devez alors
toujours rembourser votre fournisseur en dollar. Votre monnaie ayant subie
une forte dévaluation, c'est impossible pour vous et vous devez donc
soit (1) faire défaut partiel ou total soit (2) convertir votre dette
en drachme, mais dans ce cas, votre fournisseur ne va pas être super heureux...
- Perte massive en capital pour les pays qui réévaluent
et qui ont des actifs extérieurs. C'est le même raisonnement que
précédemment, mais dans l'autre sens. Des pays comme
l'Allemagne ont beaucoup d'actifs extérieurs, et une
réévaluation du deutsche mark baisserait la valeur de ces
actifs.
- Le coût politique de cet aveux
d'échec de l'Europe. Pas grand chose
à ajouter, mais une fin de l'euro pourrait entraîner la
montée des partis extrémistes dans toute l'Europe. Le FN et le
Front de Gauche pourront alors se vanter "d'avoir eu raison en
critiquant l'euro et la construction européenne depuis de nombreuses
années" et la crise provoquée par la sortie de la zone
devrait renforcer ces partis.
La sortie de
l’euro n’est pas une solution miracle !
NON et cent fois non, en sortant de l’euro nous n’allons
pas nous économiser la sueur le sang et les larmes, ce qui ne
m’empêche pas de penser que c’est quand même le
début de la solution. Pourquoi ?
En réalité, sortir de l’euro serait la
première étape pour retrouver de la souveraineté.
Le coût pour notre pays d’une sortie de l’euro
dépendrait de ce que nous choisirions de faire de cette
souveraineté retrouvée et disons-le. Si nous le faisons bien,
nous nous en sortirons bien. Si nous faisons de mauvais choix et ceux de la
facilité (comme c’est souvent le cas), les conséquences
seraient sans doute dramatiques.
La sortie de notre pays de l’euro s’accompagnera-t-elle
d’un protectionnisme raisonné et raisonnable permettant une réindustrialisation ?
La sortie de l’euro s’accompagnerait-elle d’un
défaut partiel sur notre dette ? Car une dévaluation est un jeu
à somme nulle sur notre pourcentage de dettes en tout cas en
théorie. Dévaluer notre monnaie de 20 % en dévaluant
notre dette de 20 % ne change rien au ratio dette du PIB. Or un défaut
même partiel aura un coût diplomatique et économique fort
sans parler des plumes qu’y laisseront les épargnants
français.
La sortie de l’euro ne servira-t-elle qu’à pouvoir
imprimer autant de billets que nécessaire ? Dans ce cas, c’est
une fin à la zimbabwéenne qui nous attend et ce ne serait pas
fondamentalement une bonne chose.
Vous l’aurez donc compris, la sortie de l’euro n’est
pas une solution miracle et le croire c’est se tromper quelles que
soient ses convictions économiques ou politiques.
Il faudrait
aussi chiffrer les coûts d’un maintien de l’euro !
Alors le débat sur le coût d’une sortie de
l’euro permet d’éluder un autre débat que
l’on doit avoir simultanément à savoir quel est le
coût d’un maintien aux forceps de l’euro ?
À court terme, il est évidemment moins onéreux,
ce qui n’est pas le cas à moyen terme et je ne parle même
pas du long terme. Disons que sur ce sujet, l’espoir des pays du Sud
est que l’Allemagne finisse par arrondir les angles et permette une
politique monétaire réellement plus accommodante sur le
modèle de ce que fait la FED aux États-Unis… mais rien
n’est moins sûr. Si l’Allemagne maintien
l’étau de la rigueur et de l’austérité en
Europe, l’Europe étouffera comme la Grèce et comme
Chypre. Nous serons tous progressivement "grécisés"
et notre épargne se fera inéluctablement chyprer
!
Encore 3 ans à ce rythme et la France explosera, l’Italie
aussi, sans même parler de l’Espagne. Les MES ou FESF ne seront
plus suffisants et les digues seront emportées.
À l’arrivée, nous devrons sans doute assumer un
double coût. D’abord celui du maintien à tout prix de
l’euro, puis son explosion ce qui est le scénario catastrophe le
plus coûteux. Belle affaire n’est-ce pas.
Il faudrait
aussi chiffrer les gains d’une sortie de l’euro et pas que ces
coûts !
Nous parlions du débat sur le coût du maintien, mais il
faudrait aussi connaître les gains d’une sortie de l’euro !
Et là encore tout dépend de ce que l’on en fera car rien
n’est écrit d’avance sur ce type de sujet.
Disons que la France, qui est la deuxième économie de la
zone euro, pourra s’en sortir et profiter des « gains » car
la dévaluation (si nous ne faisons pas n’importe quoi) devrait
être relativement limitée par rapport à la monnaie
allemande. Cela signifie que notre inflation importée pourrait rester
gérable. Ce ne serait sans doute pas le cas des PIGS qui verraient
leurs nouvelles monnaies laminées !
Mais là encore estimer les coûts d’une sortie,
comme les gains, cela relève du « pifomètre » et de
la politique du doigt mouillé. C’est tout simplement impossible.
Alors
comment choisir lorsqu’il n’y a pas de chiffres disponibles pour
aider à la décision ?
Nous en sommes là. Enfin pas nous : nous, nous subissons.
Disons… eux, les chefs !
Ils doivent prendre des décisions… sans
éléments pour appuyer ou étayer leurs décisions.
En réalité, ils ne savent à peu près qu’une
chose : combien leur coûte – et donc in fine combien nous
coûte – chaque plan de sauvetage européen… mais cela
ne prend pas en compte la récession, le coût social et encore
moins humain.
Alors comment raisonner dans un tel cas de figure ? Eh bien justement,
dans le cas précis où nous nous trouvons, nous sommes comme un
pilote qui a perdu l’ensemble de ses instruments. Cela ne devait pas se
produire. Cela ne pouvait pas se produire, pensez-donc avec toutes les
redondances prévues, les normes, bref… C’était
impossible et pourtant il est en panne, à 10 000 mètres et il
va falloir qu’il prenne des décisions sans mesures, sans
chiffres, sans indicateurs, c’est-à-dire exactement
l’inverse de ce qu’il a fait toute sa vie, l’inverse de ce
qui lui a été appris et de son expérience.
Autant vous le dire, il a très peu de chance de poser
l’appareil, car il prendra toutes les plus mauvaises décisions
en essayant désespérément de s’accrocher à
un cadre connu. Or ce cadre connu ne fonctionne plus.
En restant dans l’euro dans sa forme actuelle, nous savons que
nous allons nous écraser. L’issue est parfaitement connue. Mais
nous nous écraserons en ayant suivi la procédure et personne ne
pourra reprocher l’accident. Sortir de l’euro, c’est
prendre le risque de se sauver… mais en ne respectant pas la
procédure, ce sera de votre faute… et les gens détestent
être responsables d’un échec.
En réalité, tout ce que vous contemplez est éminemment
humain, avec tous les travers de l’âme humaine. La philosophie,
la littérature et l’histoire seront d’un plus grand
secours que les mathématiques et l’économie pour choisir
notre destin... dans un pays hélas dirigé par des
polytechniciens !
Il faut que l’Allemagne (et éventuellement un ou deux
autres pays de la zone euro) sortent les premiers. Il faut que l’euro
devienne la propriété des pays du Sud… Ce sera la voie la
moins coûteuse et la plus efficace à court, moyen et long terme
mais nous ne le ferons pas.
Nous ne le ferons pas car on
préfère une très mauvaise solution aux
conséquences connues qu’une très bonne solution aux
conséquences inconnues !
Nous avons besoin d’audace et de courage… Le contraire des
capacités de nos « zélites
» actuelles. Nous allons donc nous écraser.
Charles SANNAT
Editorialiste et rédacteur du Contrarien
Matin
Directeur des Études Économiques Aucoffre.com
http://www.lecontrarien.com/
Ceci est un article 'presslib', c'est à dire libre de reproduction en
tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit
reproduit à sa suite. Le Contrarien Matin
est un quotidien de décryptage sans concession de
l’actualité économique édité par la
société AuCOFFRE.com. Article écrit par Charles SANNAT,
Directeur des études économiques. Merci de visiter notre
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