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L'expression
« chômage volontaire » évoque
inévitablement des gens paresseux, indifférents aux vertus du
travail et passés maîtres dans l'art d'exploiter la
générosité de l'État-providence. Le portrait
paraît d'autant plus réaliste que les chômeurs volontaires
sont perçus comme minoritaires. Il y aurait ainsi une majorité
de chômeurs involontaires, victimes de la conjoncture, et une
poignée de chômeurs volontaires, vivant au crochet de la
société et donnant une mauvaise image de l’ensemble. Une
distinction commode qui ne résiste pas à l'analyse.
Chômage volontaire :
l'exception ou la règle ?
Le
chômage volontaire est un phénomène moins
négligeable qu'il n'y paraît. Bien sûr, si on s'en tient
à la définition suggérée par la loi du 1er
août 2008, ce que l'on appelle parasitisme est l'exception plutôt
que la règle. Cette loi stipule en effet qu'un demandeur d'emploi peut
se faire radier de la liste de Pôle emploi s'il refuse à deux
reprises une offre d'emploi « raisonnable ». Ainsi y
aurait-il entre le chômeur involontaire et le chômeur volontaire
une différence de degré, le premier n'ayant refusé qu'une
seule offre, contrairement au second qui en a refusé au moins deux.
Pourtant, le
demandeur d'emploi qui refuse une offre n'exerce pas moins sa volonté
qu'un demandeur d'emploi en refusant deux d'affilée. En outre, la
notion d'offre « raisonnable » pénalise les
demandeurs d'emploi peu qualifiés, moins exigeants et donc moins
susceptibles de refuser un emploi au motif qu'il ne répond pas
à leurs attentes. Résultat : le chômeur
qualifié est plus volontiers considéré comme un
chômeur involontaire que le demandeur d'emploi sans qualification.
Or il est
clair que le cadre au chômage depuis plusieurs mois est un
chômeur volontaire dans la mesure où il a accès à
un plus grand nombre d'offres d'emploi, des plus
« raisonnables » au moins qualifiées. Sa
situation, il l'a bel et bien choisie – non par horreur de l'effort,
mais à l'issue d'un arbitrage rationnel.
Le
chômage, un choix rationnel
Suite aux travaux de George Stigler en
1962, les théoriciens du job search ont mis en évidence cette
rationalité du chômeur. Selon eux, le demandeur d’emploi
peut, dans de nombreux cas, préférer rester au chômage
pour chercher un emploi en accord avec ses attentes. Le temps
chômé est alors investi dans la recherche
d’opportunités, l’envoi de candidatures,
éventuellement l’auto-formation.
Le demandeur d’emploi peut
également choisir de rester en poste ou d'accepter une offre
même moyennement « raisonnable » si cela lui
paraît nécessaire pour trouver un emploi plus satisfaisant et/ou
négocier un contrat d’embauche en position de force (on-the-job search).
Dans un cas comme dans l’autre, la décision de prendre ou de
refuser un emploi résulte d’un arbitrage rationnel – et
non d’une quelconque allergie au travail.
Bien entendu, ces théories
n'expliquent pas tout. L'indemnisation du chômage est parfois
regardée comme une fin en soi par le demandeur d'emploi, qui y voit
une sorte de congé payé et est confiant dans ses chances de
retrouver du travail une fois ses droits épuisés. Il s'agit
pour lui de savoir à quel niveau de salaire le travail devient plus
avantageux que l'inactivité.
D'aucuns parlent de
« stratégie du chômeur volontaire » pour
décrire cet arbitrage entre les bénéfices du travail et
le coût de l'inactivité – un coût inversement
proportionnel à l’indemnisation du chômage. Rappelons
qu'en France, l’allocation d’aide au retour à
l’emploi (ARE) peut atteindre 75 % du revenu de référence
pour les salaires inférieurs à 1 128 euros brut. Pas de quoi
mener la grande vie donc, mais dans de nombreux cas cela suffit pour refuser
sans regret un contrat de 20 heures par semaine payé au SMIC (9,43
euros brut de l'heure). L'inactivité est encore moins coûteuse
pour les hauts revenus, qui peuvent vivre correctement de leurs seules
allocations chômage en attendant de reprendre un emploi.
C’est
cette rationalité du chômeur qui pose problème. Car le
demandeur d’emploi peut, par ses choix, représenter un
coût plus ou moins important pour la collectivité. Les
honnêtes travailleurs s’en indignent : le chômeur
devrait arrêter de faire la fine bouche et « prendre ce
qu’il y a », à plus forte raison s'il n'est ni
diplômé ni qualifié. C’est l’autre face du
« modèle social ».
Le paradoxe
du modèle social français
Le
problème du chômage de masse met en lumière l'hypocrisie
de notre modèle social. Pour prolonger la survie d'un système
destiné à défendre les plus faibles contre les
turbulences du marché, beaucoup trouvent normal et légitime de
rappeler aux plus faibles la « dure loi » de
l’offre et de la demande.
Ainsi les
ménages défavorisés sont-ils à la fois les
protégés de la collectivité et son bouc-émissaire :
on demande aux chômeurs de jouir le moins possible de leurs droits
(allocations chômage, Revenu de solidarité active, couverture maladie
universelle...), afin de rendre leur indemnisation plus supportable pour le
reste de la société. Parallèlement, comme nous
l'expliquions plus haut, le chômage des demandeurs d'emploi
diplômés et qualifiés est mieux accepté que celui
des personnes peu qualifiées, censées trouver
« raisonnables » (au sens de la loi de 2008) toutes les
offres qui leur sont faites.
C'est
là un double paradoxe très avantageux, puisqu'en rejetant la
faute sur les plus démunis, la collectivité s'épargne
une réflexion de fond sur son sacro-saint « modèle
social ». Il est en effet rassurant de penser que l'on peut
prévenir l'aléa moral de l'assistanat en prônant la vertu
du travail, comme on le ferait par exemple avec un enfant refusant de faire
ses devoirs.
Or, ce que
montre le « problème » de l'assistanat, c'est
justement que les mécanismes régulateurs fonctionnant dans les
groupes restreints sont inefficaces à l'échelle d'une
société. L'anonymat des grands ensembles rompt les liens
d'interdépendance propres aux petits groupes, permettant à
chacun de jouir de ses droits sans autres limites que celles de la loi.
C'est vrai des
chômeurs mais également des honnêtes travailleurs et
généreux contribuables qui, nous le verrons dans le prochain
article, ne sont pas les derniers à « profiter du
système »...
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