Ce n’est vraiment pas de chance pour le gouvernement Ayrault. Que ce soit
sur le terrain réel ou sur le terrain numérique, il accumule les mouvements
de protestation et de contestation de plus en plus suivis. Et s’il avait
relativement bien joué la partition pour se débarrasser tranquillement d’une
jacquerie assez violente avec les Pigeons, il sera plus difficile de s’en
sortir sans concessions avec les Médecins et les Poussins…
On se souvient qu’en octobre 2012, une page Facebook, qui s’était
rapidement muée en mouvement de fond, avait animé la vie politique française
en rassemblant plusieurs dizaines de milliers d’entrepreneurs sous une même
bannière, celle des Pigeons. Ces derniers se plaignaient alors ouvertement du
sort qui allait leur être réservé par les socialistes qui venait d’accéder au
pouvoir et se sentaient pousser des ciseaux taxatoires
au bout de chaque doigt. À ce moment-là, en effet, un projet encore dans les
cartons de Bercy prévoyait de modifier le code fiscal pour assaisonner les
entrepreneurs qui auraient eu l’outrecuidance de faire des bénéfices à la
revente de leur entreprise (en France, oui, c’est fou, non ?) et promettait
alors de les faire parcourir un petit enfer fiscalo-administratif
pour les punir d’avoir eu l’idée idiote d’entreprendre sur le territoire de
la Nouvelle Socialie triomphante. Pour mémoire, le
projet de loi aboutissait à une taxation si complexe qu’un schéma exact mais absurde résumait à lui seul l’incroyable
folie qui s’était emparée de nos dirigeants.
L’issue de ce mouvement fut assez piteuse : peu doués dans la politique
politicienne, les auteurs de l’appel initial, visant à supprimer l’énième
changement fiscal ubuesque proposé, furent reçus en grandes pompes, furent
correctement embobinés, et furent amenés à retirer leur proposition de
manifestation avant même que la loi ne fut discutée, en l’échange d’une
assurance (toute politicienne) que la proposition serait retirée. La suite,
on la connaît : comme convenu, la manifestation de protestation n’eut pas
lieu et en échange, la loi ne fut ni retirée, ni amendée, illustrant ainsi la
valeur réelle de la parole des politocards qui nous
gouvernent.
Quelques mois plus tard, c’est au statut d’auto-entrepreneur d’entrer dans
les turbulences gouvernementales.
Il faut bien comprendre que ce statut, qui permet à une personne de se
lancer dans l’aventure entrepreneuriale dans un cadre juridique et fiscal
simplifié et pas trop violent, était la création d’un politicien de droite, Hervé Novelli, datant de 2008. Héritage sarkozien,
son temps était donc compté pour les dogmatiques imbéciles au pouvoir, qui se
devaient de sucrer tout ce qui pouvait porter un germe de réussite, même
vague ou a minima, et qui serait, sans nul doute, porté au crédit du
prédécesseur de l’autre camp. Le factotum en charge de la suppression fut
rapidement désigné : ce serait Sylvia Pinel, et roulez jeunesse.
L’angle d’attaque choisi fut relativement simple : il a suffi, pour la minustre, d’écouter plus patiemment ceux qui s’élevaient
dès le départ contre l’odieux statut d’auto-entrepreneur, qui avait malgré
tout permis de créer plusieurs centaines de milliers d’emplois. Certains
artisans (pas tous, loin s’en faut) ont en effet choisi de
considérer que ce statut constituait une concurrence frontale et déloyale, et ont bruyamment
réclamé sa disparition, comme il se doit en terre de lobbying, ou, à tout le
moins, qu’il soit affublé des mêmes boulets que celui d’artisan, pour faire
bonne mesure, assorti d’une impossibilité pour ces auto-entrepreneurs de
devenir ensuite artisans.
Eh oui : en France, plutôt que de réclamer la disparition de vos propres
boulets lorsque vous constatez que d’autres courent sans entraves, vous irez
plutôt insister pour que tout le monde subisse le même carcan. Voilà qui est
très productif et parfaitement sain, répété des milliers de fois, dans tous
les pans de l’économie.
La riposte ne s’est évidemment pas faite
attendre. Et, tout comme pour les Pigeons qui ont compris que les réseaux
modernes se tissent de façon électronique, les auto-entrepreneurs auront
largement misé sur la version électronique de la mobilisation. Une page
facebook et une page traditionnelle
puis une pétition sont rapidement mis en place, rassemblant plus de 85.000
signatures, pour s’opposer aux modifications plus que substantielles envisagées par le gouvernement.
Du reste, et comme le rapporte une récente interview d’Adrien Sergent, le leader du
mouvement de résistance des auto-entrepreneurs, la concurrence décriée par
les artisans est parfaitement marginale :
Quand des membres de l’IGF et de l’IGAS écrivent dans leur rapport que la
concurrence déloyale est un « phénomène résiduel » et qu’il ne faut pas
introduire de limitation, c’est justement parce qu’ils ont observé le
phénomène. (…) Les témoignages des artisans que nous avons interrogés dans
notre mouvement, auto-entrepreneurs ou non, nous expliquent que le problème
c’est le travail au noir, que le régime est parvenu à limiter et c’est la
concurrence avec des travailleurs d’autres pays qui cassent les prix et les
charges.
En outre, lorsqu’on interroge les Français sur la question, entre deux
manifestations anti-fascistes en carton et un
sondage bidon sur la prochaine Maire de Paris, il apparaît qu’une forte majorité (85%) est pour conserver le statut, qui
pourrait être éventuellement limité dans certains secteurs d’activité.
La conclusion que tire Sergent de la situation est celle que je fais
moi-même depuis des années : « Ce n’est pas l’auto-entrepreneur qui
ne paie pas assez de charges, c’est l’artisan qui est écrasé sous les charges
! «
Ces éléments (l’opinion publique favorable, l’absence réelle de
concurrence frontale, et l’état catastrophique des niveaux de charges sur les
artisans en particulier et sur l’emploi en général) auraient du inciter l’équipe au pouvoir à sortir de son dogmatisme
anti-entrepreneurial mais les vieilles habitudes socialo-collectivistes, dans
lesquelles la ponction, l’impôt et les taxes sont les piliers de tout
raisonnement, ont bien du mal à disparaître : le statut, en pratique, compte
probablement ses dernières heures, et tant pis si 400.000 personnes
supplémentaires se retrouvent, peu ou prou, au chômage dans les prochaines
années…
C’est tellement vrai que ces manies taxatoires
compulsives se sont déjà étendues à d’autres professions qui commencent à
trouver le pain bien noir et l’absolution fiscale bien dure à obtenir ;
pendant que les auto-entrepreneurs se battent pour conserver un travail, les
Médecins (et, plus généralement, les professionnels de santé) s’organisent à
leur tour pour dénoncer la façon dont l’État gère la Sécurité Sociale, qui
conduit les patients et ces professionnels à renoncer toujours un peu plus à
une santé de qualité pour un coût raisonnable. Une page
existe déjà qui reçoit le soutien de plusieurs dizaine de milliers de
personnes.
On le comprend : le gouvernement patauge, et doit non seulement faire
face, éberlué, à une situation économique catastrophique à laquelle il ne
croyait pas, mais en plus, il doit maintenant tenir compte d’une nouvelle
forme d’organisation des foules qui n’entendent plus se faire bobarder comme jadis où la télévision constituait seule
le canal d’information privilégié.
Zut et flûte, cela ne sera pas aussi simple que prévu !