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Dans un
article du 29 mai 2013 publié par le mensuel
Challenges, l’économiste Jacques Delpla
propose une solution radicale pour effacer la dette publique de la France :
un impôt sur la fortune « exceptionnel » de 17%
frappant tous les patrimoines au-delà de 30 000 euros (pour ne pas pénaliser
les ménages les plus modestes). Si certains chiffres appellent discussion,
le calcul n’en est pas moins rigoureux.
Doit-on prendre pareille idée
au sérieux ? L’auteur soutient que oui, à condition de
lever deux obstacles majeurs. Un obstacle de « trésorerie»,
tout d’abord : la taxe étant susceptible de représenter
plusieurs dizaines (voire centaines) de milliers d’euros par ménage,
il est indispensable que les contribuables puissent s’en acquitter en nature ;
il serait ainsi possible de céder une part de sa maison (ou de son terrain)
à l’État ! Un obstacle politique, ensuite : une taxe de
cette ampleur susciterait naturellement un certain émoi dans l’opinion.
Mais, nous dit Delpla, elle affecterait surtout les
retraités, soit un électorat que l’actuel gouvernement devrait
avoir peu de scrupules à surimposer (puisqu’il vote majoritairement
pour l’opposition).
Est-ce vraiment aussi simple ?
Évidemment non. Passons
rapidement sur l’effet violemment dépressif que ne manquerait pas d’avoir
un tel impôt : on considère généralement qu’en
Europe, les « effets de richesse » (c’est à dire,
le pouvoir d’achat qu’infèrent les individus de la valeur perçue
de leur patrimoine) affectent moins la consommation des ménages – donc
le PIB – que ce n’est le cas aux États-Unis. Il est cependant
difficile d’imaginer qu’une amputation d’un sixième de
leur patrimoine n’impacterait pas le train de vie des Français…
D’autres obstacles se font jour
qui, mis bout à bout, se révèlent insurmontables.
Delpla soutient par exemple que l’effacement de notre dette publique
affranchirait l’investissement productif d’une contrainte majeure. Or,
en supposant que la taxe soit effectivement perçue, quid du problème
structurel à l’origine de cette dette monumentale ? Le stock actuel
de dette publique est sans nul doute un facteur de stagnation de l’économie
française. Mais les anticipations relatives à la dette future le sont
au moins autant. La relance de l’investissement productif dépend vraisemblablement
moins d’une taxe, même « exceptionnelle », que
de puissantes réformes structurelles.
Les difficultés inhérentes
au calcul et à la collecte de la « taxe Delpla »
ne sont pas moins considérables. Comment ferait-on pour en évaluer
l’assiette ? Comment passer d’une évaluation macro-économique
à une évaluation micro-économique, sans même remarquer
que les chiffres de la comptabilité nationale sont datés ? Le patrimoine
des Français est composé de biens fonciers ou immobiliers à
hauteur des deux tiers ; de tels actifs ne sont pas cotés sur un marché.
Quand bien même il est possible d’approximer leur valeur marchande (au
regard des prix des transactions courantes de même nature), cela induirait
un effort de recherche coûteux, grevant par là même le rendement
espéré de l’ISF exceptionnel. Sans
même parler des stratégies de dissimulation et de
sous estimation que cette taxation engendrerait (une « fraude »
au sens strictement fiscal du terme).
L’essentiel de ce qui serait néanmoins
perçu prendrait la forme de « parts » de biens immobiliers
et fonciers. Or, de tels actifs sont peu (voire pas) liquides. Il est illusoire
d’espérer s’en servir pour rembourser une dette négociable
qui, elle, l’est. Au mieux, cela induirait des « coûts de
transaction » très élevés entre débiteur
(la puissance publique) et créanciers (banques, compagnies d’assurance,
fonds de pension et d’investissement, épargnants).
Delpla sous-estime enfin le « choc civique »
induit par une taxation de l’ampleur qu’il propose. Que resterait-il
de la base électorale des « partis de gouvernement »
à l’annonce même d’une telle saignée fiscale ?
Voire, n’y aurait-il pas là de quoi faire trembler le régime
sur ses bases ? Colbert, qui s’y connaissait, déclara un jour
(en substance) qu’imposer consistait à plumer l’oie sans qu’elle
crie. Or, les oies ne se contentent pas de crier. Il arrive aussi qu’elles
mordent.
La taxe Delpla
semble donc relever de la provocation plutôt que de la proposition. Et pourtant…
Elle donne un cap fiscal d’une redoutable pertinence. Car l’appétit
des investisseurs (notamment étrangers) pour la dette française se
nourrit bel et bien du trésor que constitue le patrimoine des particuliers.
En abdiquant sa souveraineté monétaire, l’État français
a en effet renoncé aux deux expédients qui, historiquement, lui ont
si souvent permis de « gérer » sa dette au détriment
des créanciers : l’inflation galopante et la dévaluation. Sauf
à envisager un défaut de paiement – ce qui serait cataclysmique
– ou à infléchir le tropisme (modérément) anti
inflationniste de son partenaire allemand, il lui faut donc assumer le passif accumulé
depuis 40 ans. À moins d’un très hypothétique « retour
de la croissance » ou d’un ambitieux programme de cession d’actifs
publics, il n’y a que la hausse de la pression fiscale pour faire face…
La taxe Delpla
bénéficie donc d’un avantage indéniable : celui
de présenter la facture fiscale de « notre » dette
publique. Proposer un ISF exceptionnel frappant le patrimoine des « plus
riches » (au sens extrêmement large du terme) fait écho
à ce qu’était la situation financière de la France au
lendemain de la Révolution. Voici par exemple ce que déclame Mirabeau,
le 26 septembre 1789, devant l’Assemblée Constituante : « mes
amis (…), deux siècles de déprédations et de brigandages
ont creusé le gouffre où le royaume est près de s’engloutir.
Il faut le combler, ce gouffre effroyable ! Eh bien, voici la liste des propriétaires
français. Choisissez parmi les plus riches, afin de sacrifier moins de citoyens ;
mais choisissez (…). Allons, ces deux mille notables possèdent de quoi
combler le déficit. Ramenez l’ordre dans vos finances, la paix et la
prospérité dans le royaume ». Il
ne s’agit plus, aujourd’hui, de « choisir » parmi
les plus riches ceux auxquels le remboursement de la dette incombera : et pour
cause, les hauts patrimoines sont déjà taxés au titre de l’impôt
sur la fortune. Dès lors, c’est (presque) tout le pays qu’il
faut mettre à contribution.
La taxe Delpla,
confirme que la dette publique n’est jamais que de l’impôt en
sursis. Et c’est particulièrement vrai dans le cas de la France, comme
j’essaierai de l’argumenter ultérieurement.
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