Changer
brutalement de contexte historique a de quoi déstabiliser un homme.
Lorsque Godefroi de Montmirail et son écuyer Jacquouille
la Fripouille se retrouvent soudain au 20e siècle, le
premier ne songe qu’à retourner dans son époque alors que
le second saisit vite les avantages du déplacement fortuit.
Le comte de
Montmirail est scandalisé par les bouleversements survenus en 1000
ans : abolition des privilèges, des corvées, éliminés
le donjon et le pont-levis de « nostre
château », propriété désormais du
descendant de son serviteur. Ce dernier, en revanche, s’en
réjouit, fier du « réussissement »
de son petit-fillot.
Ce film sorti
il y a 20 ans illustre à merveille le clivage entre deux France qui
subsiste encore aujourd’hui : la première s’accroche
au passé et refuse le progrès, persuadée que le pays
reste un modèle qu’il faut à tout prix protéger
contre les invasions barbares (la mondialisation, les marchés
financiers, la prise de risques et les entrepreneurs, ou du moins ce qui en
reste).
La seconde
tente tant bien que mal de produire, de travailler et de créer quand
bien même les pouvoirs publics font tout pour l’en
empêcher. Tel Jacquouille la Fripouille, ceux
qui constituent cette seconde France s’adaptent au gré des
changements politiques pour en tirer le meilleur parti. Quant à lui,
Godefroi le Hardi n’a d’objectif que de retrouver le monde
qu’il connaît : « J’ai droit de vie et de
mort sur mes terres : prosternez-vous devant votre seigneur si vous
voulez qu’il soit magnanime. »
Excellente
perspective, à condition de revenir dans le contexte : revenus
assurés, pouvoir certain, épouse promise par le roi …
Tout ceci rappelle étrangement le point de vue de nos soi-disant dirigeants
qui n’ont de cesse de s’étonner lorsque la boîte
à outils ne fonctionne pas comme prévu.
Il ne doit
guère surprendre non plus que nos parlementaires ne comprennent pas
pourquoi le fait de ponctionner toujours davantage ceux qui produisent ait
l’effet inverse de celui recherché. On a beau chercher, personne
ou presque, à l’Assemblée Nationale ou au Sénat,
n’affiche une expérience dans l’entreprise et encore moins
en tant que créateur d’entreprise.
Dans leur
course effrénée au rendement fiscal, ils font penser au
commentaire désarmant du célèbre braqueur de banques
britannique, Willie Sutton :
-
Pourquoi
braquez-vous des banques ?
-
Parce
que c’est là qu’on trouve l’argent.
Ainsi vont nos
élites : on va chercher l’argent où il se trouve. De
préférence, il faut cibler des contributeurs qui n’ont
pas les faveurs de l’opinion publique, notamment les
sociétés multinationales, coupables de
lèse-fiscalité : Google, Microsoft, Amazon … Et tant
mieux si elles sont américaines, elles ne voteront pas en France (sauf
avec leurs pieds).
À ce
titre, le rapport commandité par le G20 et effectué à la
hâte par l’OCDE début 2013 est symptomatique. Son titre
« Fiscal Base Erosion and Profit Shifting »
(BEPS) revêt quelques vérités comptables finalement assez
prosaïques :
1) les États de l’OCDE sont
en faillite virtuelle
2) ils sont largement incapables de mener
à bien les réformes structurelles susceptibles de
réduire les dépenses publiques
3) aussi, il faut de l’argent
frais : et les multinationales en ont, puisqu’elles exploitent
honteusement les niches fiscales grâce à une armée
d’avocats fiscalistes et moyennant des arrangements avec certains États.
C’est
l’œuf de Colomb : il n’y a pas de petits profits. La
solidarité en temps de crise exige de taxer tout ce qui bouge pour
financer ce qui est stérile, à savoir la fonction publique.
Ici le
péristaltisme de l’État révèle enfin tout
son dynamisme, puisqu’il prouve une fois de plus qu’il est
capable de noyer toute initiative productrice de valeur économique.
Comme disait
Patrick Devedjian : « Le modèle social français
n’est pas un modèle,
puisque personne ne l’imite ; il n’est pas social
puisqu’il a produit un taux de chômage de 10 % ; et il
n’est pas français puisque fondé sur le
marxisme. »
Il suffirait
donc de changer de modèle ; vaste tâche.
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