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Il est de ces
libéraux dont la pensée a été malheureusement
trop souvent dévoyée. Pareto fait partie de ceux-là.
Aujourd’hui encore, dans toutes les facultés
d’économie, l’« optimum de
Pareto » est un concept enseigné mais
dénaturé. Pareto, de son vivant, semblait en être
conscient et s’étonna même de voir Irving Fisher,
considéré, à l’époque, comme un des plus
grands économistes de son temps, passer complètement à
côté de la thèse de son ouvrage, Cours d’économie politique.
Cette relative
méconnaissance de son œuvre semble malheureusement se
perpétuer dans la nuit des temps, en témoigne cet article, au titre
diffamant, écrit par James Alexander.
Il est vrai
que Vilfredo Pareto avait accueilli avec sympathie
l’avènement de Mussolini au pouvoir. Mais l’auteur fait
l’erreur de porter un jugement sans le recul historique qui
s’impose en l’espèce. Et c’est également
oublier que Pareto alertera le régime fasciste sur la
nécessité de ne pas restreindre la liberté de la presse,
de ne pas surimposer les riches et les paysans et de ne pas limiter la liberté
d’enseignement. Mussolini et ses sbires passeront outre cet
avertissement, ce qui nous amène à penser que, s’il
était mort 25 ans plus tard, Pareto aurait désapprouvé
la politique générale des fascistes.
Le simple fait
qu’il ait eu des correspondances avec Mussolini ne signifie pas
qu’il lui était inféodé. Au contraire, ces
échanges portèrent quelques fruits au départ, le
dirigeant italien de l’époque ayant commencé son
« mandat » en libéralisant l’économie,
ce qui incite à croire que, s’il avait vécu plus
longtemps, Pareto aurait pu convaincre Mussolini de perdurer dans cette
politique de libéralisation économique.
De même,
il sombre dans la plus grande des confusions idéologiques :
« Toute sa vie adversaire du marxisme et de
l’égalitarisme libéral, Pareto publia une bordée
foudroyante contre la vision-du-monde marxiste-libérale en
1902 ». Il est rare de voir ces deux idéologiques
antinomiques accolées et rangées dans un même rayon.
James
Alexander avait, cela dit, raison sur un point : Pareto était un
adversaire forcené du marxisme au point d’avoir causé de
réelles migraines à Lénine. Il ridiculisa la
théorie marxienne de la lutte des classes, montrant, à juste
titre, que la lutte entre les prolétaires et les capitalistes
n’était qu’un type de conflit parmi tant d’autres.
Pareto appuyait principalement sur la lutte des élites pour le
pouvoir. En clair, le sociologue italien considérait que la
thérapie marxiste ne permettrait pas d’endiguer les conflits
entre les hommes mais se contenterait, au mieux, de les déplacer.
Après
tout, toutes les grandes révolutions visaient à remplacer
l’ordre ancien par un ordre nouveau dont les promoteurs promettaient
qu’il ouvrirait une ère de paix et de prospérité.
Promesses non tenues, évidemment…
Un autre
aspect, méconnu, de l’œuvre de Pareto, réside dans
sa théorie des dérivations. Pareto va ainsi analyser les
justifications « logiques » que les gens vont employer
pour rationaliser leurs actions, souvent non-logiques, car conduites par le
sentiment. Il donnera l’exemple des crimes : en effet, le
criminel, devant une cour de justice, va tenter de rejeter sa faute sur son
ascendance, elle-même coupable de crimes, ou sur la
« société » qui a été
incapable de lui procurer du bonheur. Et force est de constater que ces
excuses peuvent avoir un effet et permettre d’adoucir sa peine.
L’état
de nécessité est un autre cas fourni par l’auteur et
Pareto qui n’en est pas convaincu : en effet, pourquoi la faim
d’un clochard devrait-elle être calmée par le biais
d’un vol aux dépens d’un boulanger innocent ? En
France, la fameuse jurisprudence « Louise
Ménard » blanchit la mère ayant volé du pain
pour éviter que son fils ne meure de faim. En résumé,
Pareto semble regretter que les tribunaux modernes se soucient plus des
criminels et des délinquants que des victimes.
La
pensée de Pareto demeure d’actualité et, une fois encore,
nous ne pouvons qu’inciter les passionnés de sociologie à
la (re)découvrir.
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