Le dernier chancelier allemand doté
de réels pouvoirs s’est suicidé en 1945, laissant
derrière lui une Europe en ruines.
Depuis, l’appareillage politique
du pays a été conçu de façon à
empêcher les dérapages d’un pouvoir sans frein ni
contrepoids. Le fédéralisme, le bicamérisme, la
représentation proportionnelle, une Cour constitutionnelle et une
Banque centrale indépendantes : toutes ces institutions ont
été érigées afin de limiter le pouvoir de la
personne qui se piquerait de diriger le pays.
La constitution allemande (la Loi fondamentale) attribue au chancelier le pouvoir de « fixer les grandes
orientations de la politique » (article 65) de l’État
fédéral. Les ministres du gouvernement fédéral
dirigent cependant leur department de façon
autonome (ils peuvent préparer des projets législatifs sans intervention
du chancelier), sous leur propre responsabilité et doivent répondre
de leurs actes non devant le chancelier, mais devant le Bundenstag.
Le chancelier n’intervient qu’afin de résoudre les
divergences d’opinion entre les ministres !
Songez que le chancelier ne peut
pas nommer de juges, qu’il ne commande pas aux forces armées en
temps de paix ou qu’il ne peut pas opposer de veto aux lois
votées. Comparez cette fonction d’arbitrage avec le pouvoir
exercé par le président américain, le premier ministre
britannique ou le président français. Il est apparent que le
chancelier allemand, qu’il se nomme Angela Merkel
ou non, est bien le moins puissant du lot.
Mais ces enviables limites
constitutionnelles ne sont pas la seule raison de l’impuissance
d’Angela Merkel. Même si la chancelière
ne voyait pas son pouvoir limité constitutionnellement, elle ne
saurait pas quoi en faire.
The lady’s
for turning
Il manque en effet à Angela
Merkel deux outils importants : une
compréhension de la crise des dettes publiques de la zone euro et une
stratégie claire pour la résoudre.
Rappelez-vous qu’au
début de la crise, en 2010, elle a d’abord refusé toute
aide à l’État grec. Quelques mois plus tard, elle a
accepté le premier plan de renflouement grec. Elle a ensuite très
fermement rejeté le concept d’euro-obligations
« jusqu’à mon dernier souffle » avant de
l’introduire par la petite porte dans le cadre du Mécanisme européen
de stabilité. Elle a enfin souligné que la stabilité des
prix était le seul objectif de politique monétaire mais a
donné tout son soutien à Mario Draghi
quand celui-ci a affirmé vouloir défendre l’euro à
tout prix.
Certains de ses détracteurs prétendent qu’en faisant cela, Angela Merkel suit un plan subtil afin de saper la
démocratie allemande, d’établir un super-État
européen et de subjuguer les autres États-membres depuis
Berlin. Cela n’a jamais été son intention. Tout ce que la
chancelière tente de faire est de rester au pouvoir et sa
capacité à diriger, sans parler de régler la crise des
dettes publiques de la zone euro, est extrêmement limitée. Comme
l’étain, elle fléchit, fond, s’adapte et lie.
Constitutionnellement
limitée dans ses pouvoirs, freinée par son absence de
convictions et entravée par son incompréhension de l’économie,
elle n’est pas l’agressif voilier tirant des bords face à
la crise mais plutôt le bois flotté chahuté par les
vagues.
Beaucoup de commentateurs
s’interrogent sur ce que veut vraiment Angela Merkel.
Étant donné que son pouvoir n’est qu’apparent, ce
que pense Angela Merkel n’a en
réalité aucune importance.
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