Les
impérialistes de gauche pensent qu’il est du devoir de
l’État français de redresser les torts humanitaires et
politiques dans le monde. Ils estiment normal de décider à
Paris qui doit gouverner des pays comme l’Afghanistan,
la Libye, le Mali
et la Syrie.
Ils
admirent les institutions internationales comme les Nations Unies et sont en
faveur de l’utilisation de la force militaire française, y
compris dans des situations où il n’est pas certain
qu’elle ait un impact positif.
Suite
à un récent
débat où le Président des Jeunes Socialistes Thierry Marchal-Beck plaidait pour des
frappes militaires françaises en Syrie face au Président du
Parti Liberal Démocrate Aurélien Veron qui s’y opposait,
je suis tenté d’envoyer à tous les impérialistes
de gauche une cargaison de post-it où il y aurait seulement écrit
le proverbe suivant : l’enfer est pavé de bonnes intentions.
Mais
faute de temps pour cela, je vous livre ici les 10 symptômes qui font peut-être
de vous un impérialiste
de gauche.
Le test
1-Vous
vous retrouvez souvent à appeler de vos vœux l’envoi des troupes, d’armes, de raids aériens
ou le déploiement de forces spéciales dans des pays où
vous n’êtes jamais allé, dont vous ignorez l’histoire,
les langues, les tensions communautaires et institutionnelles et qui vous étaient
assez indifférents avant que quelque chose de grave y survienne.
2-Vous
dites souvent que la France est moralement obligée de « faire
quelque chose » au lieu de rester en dehors de querelles
intestines ensanglantant des terres lointaines. Pour vous, un État qui n’intervient pas
est un État complice. Face à une nouvelle crise, vous
n’arrivez presque jamais à la conclusion que « dans
ce cas-ci, l’État ne devrait pas intervenir ».
3-Votre
regard porte loin... et ce qui est sous votre nez vous échappe
parfois. Vous êtes ainsi prompt à condamner les violations des
droits de l’homme faites par des États exotiques mais les abus de l’État français
et de ses alliés tombent dans votre angle mort. Après tout,
vous ne voudriez pas que vos critiques vous empêchent de décrocher
un futur emploi proche du pouvoir.
4-Vous
êtes un fervent défenseur
du droit international, sauf quand il empêche
l’État français de « faire ce qui doit être
fait ». Vous êtes alors prompt à souligner ses défaillances
et ses limites pour mieux justifier pourquoi la France devrait passer outre « cette
fois-ci ».
5-Tout
en prônant une énième intervention armée, vous
décourageriez votre propre progéniture de poursuivre une carrière militaire.
6-Même
si vous n’en savez pas beaucoup sur l'Histoire, la logistique ou les
opérations militaires modernes, vous êtes convaincu que la force militaire peut atteindre des objectifs politiques complexes
à un coût relativement faible.
7-Quiconque
s'oppose à un tyran acquiert votre immédiate sympathie. Mais
vous avez tendance à ne pas vous demander si les rebelles, les exilés et les
autres forces s’opposant à un régime brutal tentent de
solliciter l’appui des États étrangers en leur disant ce qu'ils veulent entendre.
8-Vous
êtes convaincu que la démocratie de type occidental est inscrite
dans l'ADN humain et qu’elle est la seule forme légitime de
gouvernement. En conséquence, vous croyez que la démocratie peut triompher n'importe où -
même dans les sociétés profondément
divisées ne possédant pas les briques permettant d’en
construire la fondation (présence passée ou aspiration à
une certaine forme d’état de Droit, de liberté politique,
économique, sociétale, égalité en Droit, etc.) -
pour peu que la France et ses alliés fournissent suffisamment d'aide
sous forme de médiations diplomatiques, de plomb, de pansements et de
manuels d’éducation civique.
9-Vous
respectez les arguments de ceux qui sont sceptiques quant à l’opportunité
d’intervenir, mais vous croyez secrètement qu'ils ne veulent pas vraiment sauver de
vies humaines.
10-Vous
croyez que si la France ne fait rien pour arrêter une crise
humanitaire, sa crédibilité
en tant qu’alliée et son autorité
morale en tant que pays des droits de l'homme sera ternie.
Si
vous vous retrouvez dans tout ou partie de ces symptômes, vous avez
deux choix.
Soit
vous restez droit dans vos bottes cirées d’interventionniste.
Soit vous êtes prêt à lire des analyses différentes
des vôtres.
Si
vous choisissez cette dernière option, je vous recommande de commencer
par la lecture de Forced to Be Free? Why
Foreign-Imposed Regime Change Rarely Leads to Democratization de Alexander Downes et Jonathan Monten.
Que faire ?
Je
ne prétends pas que l’État français ne devrait
jamais intervenir dans d’autres pays.
Nous
pourrions discuter longtemps de situations réelles ou imaginaires
où l’intégrité du territoire serait
menacée, où un intérêt national vital (si une
telle chose existe) serait en jeu, où envoyer des troupes
françaises ou des armes françaises serait presque certain de
mettre fin à une boucherie à ciel ouvert ou une autre situation
catastrophique.
Nous
pourrions parler de doctrines, d’Histoire, trouver des règles et
des exceptions et élaborer des lignes rouges, des limites, des
garde-fous fonctionnant admirablement bien sur le papier.
Au
lieu de cela, je considère que toute décision d’intervenir
devrait passer au cas par cas un barrage de questions - émanant des
institutions mais surtout de la société civile - afin de
déterminer ce que l’usage de la force de l’État est
censé accomplir.
Il est grand temps de
discuter de politique étrangère
Un
grand nombre de citoyens comprennent que oui, nous devrions être
conscients des dangers
intérieurs d'un État militariste; que certes, nous ne
pouvons pas nous permettre d'être le gendarme du monde; que bien
sûr, les opérations militaires dans des pays complexes en
situation de guerre civile ont seulement une petite chance de
réussir… mais ils concluent tout de même que
l’État devrait faire de son mieux pour promouvoir la
liberté à l'étranger.
Et
si l’État était le plus mal placé pour promouvoir
la liberté à l’étranger ?
Par
définition, la grande affaire de l’État (ce monopole de
la force sur un territoire), ce n’est pas la liberté. Faire
progresser les libertés est au mieux un effet secondaire, une
concession de l’État à la population.
Il
est temps de discuter sérieusement de politique
étrangère dans ce pays.
J'espère
que nous pourrons alors réaliser que la meilleure façon de
faire progresser la liberté à l'étranger est d'avoir un État
non interventionniste et une société civile suffisamment libre
et prospère pour offrir de la nourriture aux affamés, des soins
aux blessés, des canaux de communication aux censurés, des instruments
pour se défendre aux opprimés, des moyens de transport aux encerclés,
des logements et des emplois aux exilés.
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