« Pour vivre heureux, il faut vivre caché », dit le bon sens populaire. Et c’est ce que pensent probablement les maires et présidents de communautés de communes : rien ne vaut la retenue pour mener les affaires de leur ville et s’assurer une réélection aisée après plusieurs années de bons et très discrets services. Mais voilà : la politique vit mal avec la modération et ne s’embarrasse de l’à peu-près que lorsqu’il s’agit des résultats qu’on doit vanter. Et plus la ville est grande, plus sa gestion devra évoluer entre les eaux troubles du marketing politique et le marécage gluant des égos surdimensionnés de certains maires.
Et d’ailleurs, il existe plusieurs métriques de l’ampleur de ces égos.
Contribuables Associés proposait récemment l’Argus des Communes, basé sur l’état général de leurs comptes. C’est un bon début : il existe une corrélation entre la profondeur des déficits creusés et les désirs impérieux d’un maire de laisser une trace marquante, voire fatale, de son passage.
À ce titre, on pourra se rappeler les efforts acharnés de certains pour signer des prêts farfelus, construits sur la différence de change, par exemple entre l’Euro et le Franc Suisse, à une période où cette dernière était favorable à l’Euro. Normalement, une lecture même rapide des conditions de prêts proposés permettait de comprendre très vite qu’à la moindre bourrasque, le taux très variable de l’emprunt contracté deviendrait stratosphérique et passerait d’un petit 2% à plus de 10%. Normalement, le bon père de famille, qui ne sommeille que d’un œil en chacun des contribuables, aurait dû se réveiller en sursaut devant des montages financiers pareils. Mais il a été copieusement assommé par les vapeurs enivrantes des égos de ces maires qui signèrent sans plus y penser ; les échéances de prêts à 30 ans (i.e. trop loin dans le futur) aident beaucoup ce genre de comportements irresponsables. Il ne faudra que quelques années pour qu’une sévère gueule de bois s’installe, amenant dans des médias complaisants les gémissements pathétiques de Gatignon, maire de Sevran et endetté jusqu’au cou suite à sa gestion aussi clientéliste que catastrophique, gémissements à peine couverts par les couinements populistes et calculés d’un Bartolone qui n’a jamais été en reste pour reprendre deux fois de la confiture républicaine à même le pot.
Ces prêts (toxiques seulement par leur capacité à empoisonner les incontinences budgétaires de maires dispendieux) ont participé à l’endettement catastrophique de certaines communes ; pour d’autres, des emprunts plus classiques mais bien trop gros au regard de leurs réelles capacités ont suffi à plonger des municipalités dans l’embarras financier. Mais qu’ils soient toxiques ou traditionnels, le résultat est le même : un endettement parfaitement en ligne avec les désirs de grandeurs des politiciens locaux, et une métrique redoutable pour la taille de leurs personnalités enflées.
Pour ma part, je proposerais une autre métrique, qui, bien qu’imprécise, a le mérite d’être ludique : la busologie, ou le fait d’observer les bus et les aménagements en matière de transports en commun installés par les municipalités pour plaire aux joyeux citoyens de la commune. Et avec ces bus, il y a matière à analyser !
Il faut savoir en effet que la France est le premier marché européen pour les bus urbains, devant l’Allemagne. Ce n’est pas anodin, puisqu’un petit bus par-ci, un petit bus par-là, et rapidement, on se retrouve avec des centaines de milliers de véhicules qui parcourent les villes de France en proutant généreusement du diesel cramé mais forcément écologique puisqu’il remplace, dit-on, des douzaines de voitures (lorsqu’il est plein) et représente sinon un imposant et visible déplacement de 13 tonnes de métal pour un unique chauffeur le reste du temps. Et c’est cet aspect visible qui motive bien sûr les maires des villes et autres présidents de communautés de communes à investir massivement dans ces transports en commun.
En effet, les élus qui, pour parvenir à leur place, ont compris certains aspects essentiels de la politique, des transports en commun et de leur publicité personnelle, veulent systématiquement des bus spécifiques, adaptés à leur ville et à l’image qu’ils veulent en donner. En conséquence, d’une ville à l’autre, tous les bus sont différents. En Allemagne, aux Pays-Bas, en Pologne ou en Suède, le pragmatisme nordique, économe et un peu morne règne bêtement, les villes se mettent d’accord pour toutes acquérir les mêmes bus, interchangeables, ce qui leur permet de passer commande ensemble et de réduire les coûts. Mais en France, pays latin où tout se termine en taxes pardon en chansons, les élus y voient un moyen de réaliser une bruyante opération de communication et réclament donc un bus unique, au design étudié pour leur ville. Pour eux, c’est évident : le troupeau de moutontribuables dont ils ont la charge montera plus volontiers dedans s’il le trouve joli, et ce même si en réalité, tout le monde s’en fiche et attend surtout d’un bus qu’il arrive et parte à l’heure.
Et puis le bus est aussi le moyen de badigeonner certains syndicats de bisous républicains : l’aménagement sur mesure de la cabine du conducteur est un passage obligé du constructeur même si cela coûte une blinde (de l’argent des autres). Le personnel communal a ses habitudes et le maire ne voudra jamais le brusquer. Dans chaque commune qui renouvelle son matériel de transports en commun, les mêmes impératifs se dégagent : les syndicats sont puissants, et il n’est jamais bon de se fâcher avec le syndicat des conducteurs de bus.
Oui, je sais, cette métrique est étrange. Mais je vous garantis qu’elle fonctionne : regardez, dans votre ville, le rythme auquel l’équipe communale renouvelle ses bus, les repeint de couleurs douteuses ou chatoyantes, affuble le service d’un nom ridicule et fait grand bruit de la nouvelle desserte qu’elle met en place. Si, pour vous et sans vous tromper, c’est une nouvelle dépense indue, pour eux, soyez en certain, c’est une belle gestion communale !
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Ce billet a servi de chronique pour Les Enquêtes du Contribuables
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