Un bref regard porté aux
annales de l’Histoire suffit à déterminer que l’Ukraine a connu son Âge d’or
alors que l’Europe de l’est émergeait de son long et sombre coma post-romain autour
des Xe et XIe siècles après J.C., après quoi elle n’a plus été que le terrain
de jeu de hordes de chevaux et de leurs cavaliers destructeurs :
Tatares, Turcs, Cosaques, Bulgares et la grande armée de Napoléon. A l’époque
moderne, sa population a été divisée entre une allégeance à la Russie et une
allégeance aux états germaniques de l’Ouest. Le régime soviétique russe l’a
très mal traitée. Alors que de nombreux Ukrainiens mouraient de faim pendant
la famine de 1932-33, les Juifs s’apprêtaient à connaitre les horreurs des
camps de la mort d’Hitler. Staline a tenté d’éradiquer complètement l’identité
ethnique de l’Ukraine.
Les Nazis voulaient aller
encore plus loin : éradiquer la population slave pour que le berceau
fertile de l’Ukraine puisse accommoder les colons allemands. Staline a signé
un accord de non-agression avec Hitler en 1939 – n’avait-il pas lu Mein Kampf ? Moins de deux ans plus
tard, l’Allemagne est revenue sur sa promesse et a envahi la Russie en
utilisant l’Ukraine comme point d’entrée, laissant derrière elle un cendrier
géant là où se tenait Kiev, la capitale, et 28.000 villages détruits.
La culture, comme nous le
savons tous, est résiliente. Mais compte tenu de l’Histoire, je ne peux m’empêcher
de me demander ce que présage la situation actuelle. Les quelques milliers d’Américains
qui ne sont pas trop occupés à tweeter le contenu de leur petit déjeuner, à
se prendre en photo nus devant leur miroir ou à envoyer des textos au volant –la minorité qui n’a pas encore été
mentalement colonisée par les esclavagistes de la Silicon
Valley – se demandent ce qui a bien pu se passer
dans les rues de Kiev la semaine dernière. Ou, comme l’a dit Mick Jagger lors
du festival Altamont Speedway,
« Qui se bat, et pourquoi ? ». Et ne comptez pas les éditeurs
du New York Times parmi la minorité mentionnée plus haut de résistants à l’idiotie
digitale. La première page du journal d’aujourd’hui contient cette pépite :
KIEV, Ukraine – Le ministre
ukrainien de l’intérieur a ordonné lundi l’arrestation de l’ancien président Viktor
F. Yanukovych, accusé d’assassinat de masse contre
les manifestants de son pays la semaine dernière. Le ministre, Arsen Avakov, a rendu sa
décision publique sur sa page Facebook officielle.
Il y a peut-être une tendance
derrière tout cela : toutes les informations gouvernementales du monde
sont transmises par Facebook, et Mark Zuckerberg est en passe de devenir le
directeur du Nouvel ordre mondial de l’amitié universelle. Rappelez-moi d’envoyer
une demande d’amitié à Arsen Avakov
et de supprimer Victor F. Yanukovych de ma liste d’amis.
Je suppose que le message à
tirer de tout cela est que les Ukrainiens se sentent certainement plus
confortables à l’idée de se tourner vers une Allemagne dénazifiée que de se
soumettre à une Russie dé-soviétisée. Les deux secouent des liasses de
billets sous le nez d’une Ukraine en difficulté, qui fait face à des
remboursements d’obligations qu’elle ne pourra jamais satisfaire, sans parler
de ses tramways qui ne pourront pas continuer de circuler indéfiniment
(pardonnez-moi de mentionner que l’Ukraine a des tramways, contrairement aux
Etats-Unis, qui n’ont que des files de voitures sur leurs routes).
Compte tenu du rôle d’usurier
joué par le FMI en Occident, le gouvernement ukrainien aurait-il raison
de se tourner vers lui ? Qui continue encore de prétendre que l’Ukraine
n’est pas traversée par un réseau de pipelines de gaz naturel ? N’est-il
pas évident que ce gaz se dirige de la Russie vers l’Europe ? En quoi l’Europe
bénéficierait d’être plus proche de l’Ukraine ? La Russie pourrait très
bien couper l’arrivée de gaz à la source. Si les Européens avaient quelque
peu de sens commun, ils cesseraient d’offrir amitié et argent à une nation
dont le plus grand potentiel est de devenir le champ de bataille d’un conflit
inutile de plus.
Espérons que le gouvernement
américain se contente d’observer la situation de loin, parce que nous avons
bien moins à faire dans ce conflit qu’en les affaires du Proche-Orient. La
conseillère en sécurité intérieure Susan Rice a
lancé des ultimatums hier – sur le droit des Ukrainiens à se montrer
démocratiques et faire partie de l’Europe si tel est leur choix.
Une chose est sûre, c’est que
les évènements qui se sont déroulés à Kiev la semaine dernière doivent nous
rappeler à tous que l’histoire de l’Europe est tachée de sang, et que cet
homme politique ukrainien qui emploie des tireurs d’élite pour répondre à ses
adversaires n’est pas la seule personne capable de raviver les querelles sur
le continent. D’autres pays pourraient se désintégrer politiquement au cours
de ces prochains mois. Les Etats-Unis ont suffisamment de problèmes de leur
côté. Peut-être devraient-ils se le faire savoir sur leur propre page
Twitter.