L’inflation
législative et réglementaire est un problème dont souffre la France mais
également la plupart des pays occidentaux. Les chiffres sont éloquents :
le Recueil des lois de l’Assemblée
nationale passait de 433 pages en 1973 à 3721 pages en 2004. Une telle
évolution est similaire aux États-Unis.
Même les
juridictions suprêmes françaises stigmatisent de plus en plus une telle
inflation qui déroute les citoyens et même les juristes, créant par là même
une insécurité juridique. Comme l’indiquait le professeur, Guy Carcassonne,
« tout sujet d’un « vingt heures » est virtuellement une
loi ».
Mais, surtout,
à force de légiférer sur n’importe quel sujet d’actualité pour répondre aux
peurs, parfois peu rationnelles, des gouvernés, le législateur peut négliger
les domaines qui méritent le plus d’attention.
L’éthique
médicale fait partie de ces sujets sensibles car c’est la nature même de
l’homme qui est en jeu. Une discipline peu connue mérite l’attention :
le neuroenhancement qui n’est même pas référencé
par le Wikipédia français alors qu’aux États-Unis et en Suisse, une part
substantielle de la population y a eu recours.
Le neuroenhancement a pour but d’améliorer les capacités
cognitives et émotionnelles des personnes en bonne santé au moyen de
substances médicamenteuses. C’est donc une « médecine pour les
personnes en bonne santé », aussi paradoxal cela puisse-t-il
paraître.
Comme le
rappelle le Comité
consultatif national d’éthique, l’être humain a toujours eu la volonté de
perfectionner ses capacités et a utilisé, à cet effet, de nombreuses
substances, comme l’alcool. En cela, le neuroenhancement
n’est pas révolutionnaire.
Mais, en
l’espèce, vont nécessairement se poser plusieurs questions éthiques que le
Droit ne pourra pas éluder : sera-t-il légitime de recourir au neuroenhancement « au profit » de ses
enfants ? A-t-on le droit de savoir si les personnes avec lesquelles
nous avons des relations – sentimentales ou professionnelles – ont succombé à
ces substances ?
Des projets de
chartes ont déjà été élaborés à cet effet. De nombreux droits et libertés
sont en jeu dans ce débat qui ressemble d’ailleurs à celui sur la vaccination
obligatoire ou le dopage dans le sport. Certains estiment que ces obligations
de se faire vacciner violent les libertés individuelles. Certes. Mais l’homme
vit en société et ne jouit pas uniquement de droits. Il est également soumis
à des devoirs. Si certaines pratiques (ou absence de pratiques dans le cas de
la vaccination) ont des effets directs sur autrui, la contrainte peut devenir
légitime. Il en va de même pour le dopage, plus proche du cas de figure du neuroenhancement puisque tous deux concernent des
personnes en bonne santé, à une différence près : le dopage ressort
entièrement de la liberté individuelle et concerne uniquement des adultes
consentants. La comparaison est d’autant plus pertinente que le neuroenhancement est souvent appelé « dopage
cérébral ». Toutefois, l’organisateur d’une compétition sportive
peut être habilité à ne tolérer que les participants n’y ayant pas recouru.
De même, on
pourrait imaginer que certaines entreprises ne souhaitent pas intégrer des
personnes ayant eu recours au neuroenhancement et
pratiquent des contrôles. À la façon
dont les pouvoirs publics traitent la question du dopage, on peut craindre
qu’ils cèdent à la tentation de l’interdiction généralisée. Cela risque
d’être contre-productif en créant un marché noir dans ce domaine si la
demande se développait. Ce serait aussi anachronique à un moment où la
prohibition du cannabis fait l’objet d’une contestation de
plus en plus virulente. Si on légalise le cannabis dont les bienfaits
sont rares, pour ne pas dire inexistants, pourquoi interdirait-on les
substances médicamenteuses susvisées ?
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