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Les théoriciens de la concurrence imparfaite, en
banalisant l’adjectif « imparfaite », considèrent que l’on ne peut décidément
pas faire confiance en la concurrence pour concilier les intérêts
nécessairement divergents (à court terme néanmoins) des protagonistes du
marché. La « concurrence imparfaite » est cependant un concept dérivé du
modèle de « concurrence pure et parfaite » auquel il prétend se substituer en
l’affinant. Pourtant, le modèle, même affiné, n’est sans doute pas une
représentation fiable de la réalité des processus de marché.
Si la plupart des manuels d’économie proposent des
présentations détaillées et abondamment illustrées des modèles de concurrence
imparfaite, ils éludent le plus souvent une telle question qui implique de
revenir sur les fondements philosophiques du principe même de concurrence.
Considérons l’exemple du marché du travail pour illustrer ce propos. Il est
clair que le monde réel, dans lequel nous vivons tous, est loin d’être
parfait. Il est clair aussi que la concurrence telle qu’elle existe, dans le
monde réel, est quelque chose d’autre que la « concurrence pure et parfaite
». Pourtant, l’origine des défaillances constatées est loin d’être établie
clairement. Si une grande partie des économistes se montrent favorables à
l’idée d’encadrer la concurrence par des instances extérieures au marché,
c’est soit qu’ils ont une conception néoclassique de la concurrence, soit
qu’ils ne reconnaissent aucunement les vertus du marché libre (keynésiens,
marxistes, régulationnistes…).
En agrégeant tous ces courants de pensée, on obtient
finalement la majorité des économistes qui considèrent qu’il y a des imperfections
qu’il faut – et que l’on doit - corriger. Mais, si les développements récents
vont dans le sens de la législation de la concurrence, c’est notamment en
raison de l’impossibilité de se rapprocher, dans la réalité, des conditions
de la concurrence pure et parfaite telles qu’elles ont été définies par la
théorie. Pourtant, sommes-nous certains de la pertinence des références en ce
domaine ? La question est loin d’être anodine car, si la référence est
fausse, alors les conclusions le sont tout autant et ce que nous appelons «
défaillance » est alors tout autre chose . Le marché du travail en France
est caractérisé aujourd’hui par la coexistence d’un côté d’un nombre
important de chômeurs de longue durée et de chômeurs diplômés ; et d’un autre
côté, par une pénurie croissante de personnel dans un nombre important de
secteurs, que ce soit de personnel qualifié ou non. Le moins que l’on puisse
observer est donc une grande défaillance dans la quête d’un équilibre du
marché du travail. Face à ce constat, on en appelle généralement aux pouvoirs
publics. Pour autant, le marché du travail en France est-il l’exemple d’un
marché libre ou d’un marché perturbé à force de réglementations et de
collectivisation des processus de négociation qui empêchent tout ajustement
fin des offres et des demandes ?
Il suffit de mentionner l’existence du S.M.I.C., de
la complexité du droit du travail, du poids des charges sociales, des
nouvelles réglementations, du poids de l’Etat dans l’éducation et la
formation pour constater qu’il n’existe pas, dans les faits, un réel marché
du travail sur le dos duquel on pourrait imputer la responsabilité du
chômage. Sans avoir la prétention de trancher une question si complexe,
l’économiste n’a pas le droit de s’interdire de se poser la question inverse.
N’est-ce pas plutôt les tentatives constantes et maladroites de régulation
forcée et de manipulation de l’offre et de la demande de travail, par des
mécanismes réglementaires et administratifs (telles les conventions
collectives qui se substituent de plus en plus au contrat de travail dont le
fondement est individuel) qui neutralisent toutes possibilités d’ajustement
fin, qu’il soit quantitatif ou qualitatif. Le moins que l’on puisse constater
est que cette tentative de « régulation » se solde par de terribles et
coûteux échecs.
Si les échecs de la régulation sont plus coûteux que les
imperfections de la concurrence qu’elle était censée corriger, n’aurait-on
pas plus intérêt à restaurer les conditions du plein épanouissement des lois
économiques ? En tout cas, la redoutable question du chômage nous renseigne
plus sur les défaillances de l’administration et de sa gestion que sur les
prétendues défaillances inhérentes à un marché libre. Car comment imputer le
déséquilibre constaté aux défaillances d’un marché qu’on empêche précisément
de fonctionner ?
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