Il arrive parfois que les
évènements prennent le contrôle sur les personnalités. Les forces invisibles
qui maintiennent l’équilibre entre les affaires des nations se dissolvent,
des particules sont propulsées hors des nombreux épicentres, et les
évènements dégénèrent jusqu’à devenir critique.
Regardez dans votre rétro et
dites au revoir à l’âge de l’optimisme irréaliste, à l’époque où les
Etats-Unis étaient inspirés par leur vœu le plus cher : pouvoir
continuer de conduire jusqu’au Wal-Mart le plus proche, pour toujours. Lorsqu’on
l’observe de très près, l’idée contemporaine de l’utopie a toujours été
bancale. D’une part, nous avons l’inutilité de conduire sans cesse. Pour la
plupart des Américains, conduire ressemble on-ne-peut moins aux images
publicitaires qui présentent une seule voiture roulant sur la côte au coucher
du soleil, et bien plus à des bouchons sur la jonction de l’I-55 et l’I-90 en
heure de pointe à Chicago, dans une Dodge Grand Caravan peuplée de trois enfants gesticulants dont les
téléphones viennent d’épuiser leur batterie – sans oublier une vessie plus
que pleine et aucune bouteille de soda vide à portée de main.
D’autre part, il y a
Wal-Mart : la corne d’abondance incroyable de produits plastiques à prix
bradé, comme si, pendant les années 1990, les Etats-Unis étaient devenus le
quai de chargement de produits quasi-gratuits. N’était-ce pas la bonne
époque ? Aujourd’hui, tout le monde est équipé au maximum, de la
télévision écran plat à l’essoreuse à salade. Mais voilà que nous sommes
fatigués de voir l’arrière-train de Kim Kardashian,
et puis après tout, personne n’a jamais vraiment aimé la salade. L’excitation
n’est plus, et il en est de même pour les jours de paie qui marquaient le
début de l’orgie. Les rayons nourriture sont particulièrement moroses, avec
leurs boîtes de Lucky Charms qui régulièrement
pèsent moitié moins lourd et coûtent deux fois plus cher. Et dire que c’était
ce qui était prévu pour le dîner ! Peut-être est-ce la manière qu’à Mère
Nature de nous dire qu’il nous faut changer de tatouage.
Dans cet étrange entre-deux
dans lequel nous nous trouvons coincés depuis la crise de 2008, la
gouvernance mondiale n’a dépendu que de mensonges et de subterfuges servant à
garantir l’illusion de résilience, une sorte de formule magique pour séduire
les masses pendant suffisamment longtemps pour les convaincre que les
problèmes de pénurie d’énergie sont terminés. Même ceux habituellement payés
pour réfléchir sont tombés dans le panneau. Attendez qu’ils découvrent que
les producteurs de pétrole de schiste n’ont jamais gagné un centime de leur
production, et n’ont survécu que grâce à la vente de biens immobiliers à des
gens plus crédules encore, et en donnant un faux lustre aux contrats
financiers toxiques qui garantissent leurs exercions. Attendez-vous à voir ce
mirage se dissiper au cours de ces deux prochaines années, voire peut-être
plus tôt si le prix du pétrole passait sous la barre des 90 dollars et qu’il
n’y ait plus aucune raison économique de continuer de creuser et de
fracturer.
Les mensonges et les fraudes
commises par l'axe Wall Street/Washington ont eu deux conséquences fatales dont
les effets durent encore. Ils ont détruit la capacité des marchés à établir
le prix réel des produits et rendu les marchés inutiles. Ils ont mis fin à la
formation de capital au point que nous n’ayons plus les moyens de
reconstruire une économie pour remplacer la matrice financière de rackets qui
prétend aujourd’hui fonctionner. Certains observateurs, comme moi-même,
attendent depuis un certain temps que le brouillard se dissipe et expose la
machinerie cachée dans l’ombre.
Des changements sont dans
l’air, et nous nous réveillons en cette matinée d’été avec des températures
si basses qu’il faudrait presque allumer les fournaises. Il y a du plomb dans
l’air. Les évènements qui se déroulent ici comme ailleurs provoquent des
vents de transformation dans la disposition des gens, des affaires et des nations.
Qui aurait pu penser il y a quelques années que l’Ecosse puisse faire
trembler l’Occident ? Au Pentagone, à la Maison blanche et à la CIA, on
attend avec indigestion et palpitations la prochaine vidéo envoyée par
l’EIIL, mais peut-être devrions-nous nous demander combien des centres
commerciaux de notre pays seront pris d’assaut par des commandos vêtus de
noir et armés de fusils automatiques.
Et puis il y a les personnages
de cette politique sclérotique : trop bêtes ou distraits pour s’en
sortir, emplis de ressentiment et de grief, et plongeant lentement dans les
ténèbres. Bienvenus dans l’âge des mauvais pressentiments. Quelque part dans
ce monde brille une lumière de vertu qui nous attend, mais nous sommes encore
très loin de la trouver.