Ce dimanche, la République Française renouvelait la moitié des sièges du Sénat. Oui, vous savez, cette assemblée de barons républicains conservateurs cacochymes, et surprotégés, dont la production est difficilement quantifiable et dont les rapports sont généralement soigneusement oubliés, ce dimanche, remettait en jeu les mandats de la moitié de ses membres, histoire sans doute d’aérer un peu la Chambre Haute et éviter que s’installent des odeurs rances d’urine et de naphtaline. Finalement, ça occupe.
Et ça occupe notamment les journaux. Bien sûr, il ne s’agit pas pour eux de revenir trop longtemps sur le constat, malheureux et accablant, du coût de cette assemblée dont l’utilité laisse de plus en plus perplexe, même si quelques articles évoquent courageusement la question. Non, ici, si les journaux en parlent, c’est bien pour souligner une nouvelle défaite électorale pour François Hollande qui, s’il n’est pas sénateur, joue de malchance avec ses électeurs (grands ou normaux).
Le vote une fois fait, le Sénat bascule à droite. Il avait versé vers la gauche, mollement comme tout train de sénateurs, lors des précédentes élections, ce qui avait déclenché de francs sourires rubiconds sur les têtes joyeuses des éléphants du PS, qui n’avaient jamais eu le bonheur de présider à la Chambre Haute depuis le début de la Vème république. Malheureusement, les petites bévues politiques de Hollande ne lui auront pas permis de conserver cette majorité-là. Petit-à-petit, le soutien populaire s’évaporant, le président se retrouve de plus en plus seul à l’Élysée, lui et son non-programme politique, et cette sénat…
On se plaira maintenant à éplucher, dans notre presse aussi impartiale qu’indépendante de tout financement public, les pamphlets et autres cris du cœur de toute l’intelligentsia de gauche qui, sentant le pouvoir leur échapper inexorablement, se dressera comme un seul homme pour poser la question qui fâche, « À quoi sert le Sénat ? », immédiatement suivie de la réponse et de son importante proposition sur le mode « À rien, supprimons-le. » Comptez-y : l’armée des commentateurs d’obédience socialistes va ressortir du placard dans lequel elle était entrée ces derniers mois, pour expliquer devant tous les micros de France qu’il faut supprimer le Sénat pour deux raisons essentielles : d’abord, parce que ce sont des vieux croûtons, et ensuite, parce que cette Chambre n’est vraiment pas démocratique, enfin, voyons, c’est évident. Car appelez-vous : alors que Sarkozy était encore président et le Sénat franchement à droite, nous avions le droit, assez régulièrement, aux envolées lyriques des uns et des autres de gauche pour expliquer qu’il faudrait en finir avec un Sénat archaïque et mal pratique. Qui aura oublié le vibrionnant Montebourg, pas encore patiné par le passage ministériel, réclamer haut et fort une 6ème République, et qui, une fois parvenu au pouvoir quelques années plus tard, se sera empressé de ranger ses belles propositions dans de vieux cartons archivés dans les sous-sols humides de Solférino ?
Eh oui : le Sénat, revenu à droite, va aussi perdre ses vertus démocratiques, et notamment parce qu’il accueille en son sein deux représentants de la Behête Immonheudeu, puisque deux sénateurs sont officiellement encartés Front National. Cette arrivée est intéressante à plus d’un titre.
D’une part, bien sûr, parce qu’elle continue de marquer la « normalisation » du parti lepéniste. Par normalisation, je veux dire que, contrairement à ce que persistent à penser certains tartuffes de gauche, les Français, et même les maires à présent, ne se cachent plus de voter pour le Front. Toutes les campagnes médiatico-politiques plus ou moins subtiles pour faire passer le Front National pour la cristallisation exclusive de fascistes et de nazillons n’y ont finalement rien changé : les discours de Marine Le Pen qui auront transformé le poujadisme un peu picotant de papa en socialisme redistributif bon teint, puis la mise en sourdine des mouvements internes les plus xénophobes et enfin les saillies les plus policées sur la préférence nationale, le contrôle de l’immigration, le retour aux frontières et à la souveraineté nationale quitte à rembarrer l’Europe, tout cela aura permis de rendre le parti bien plus acceptable aux yeux de tous, en cachant quelque peu le nationalisme derrière un voile pudique de socialisme, sans jamais mettre les deux trop l’un à côté de l’autre, afin bien sûr d’éviter les Zeures les plus sombres de notre histoire.
D’autre part, l’arrivée du FN au Sénat était, quoi qu’on en dise, relativement courue d’avance : les élections municipales indiquaient assez bien la recomposition du paysage politique français et ne laissaient guère de doute sur le nombre de grands électeurs dont le parti frontiste disposerait. Que la presse en fasse, d’ores et déjà, un sujet important montre encore une fois toute l’inanité de sa grille d’analyse, dans laquelle ce parti est définitivement d’extrême-droite, et pour laquelle cette entrée du FN au palais du Luxembourg marque d’une pierre noire la chronologie de l’ascension des Méchants dans le pays du Bien, et tout le tralala.
En réalité, sur le plan politique, le FN ne se distingue plus des autres partis que dans deux domaines : son parti-pris anti-européen, et une lutte affichée contre l’immigration. Pour le reste, il n’y a plus aucune différence entre son programme économique et celui des autres partis, droite et gauche confondues, où la dépense publique, l’interventionnisme d’état galopant et la redistribution sont l’alpha et l’oméga des propositions. Avec un tel package, il était donc parfaitement normal que le FN déboule au Sénat comme partout ailleurs : dans la soupe sociale-démocrate que tous servent à grande louchée, les petites différences anti-européennes et anti-immigrationnistes du FN sont comme des lardons qui donnent un fumet particulier à leur brouet, pas meilleur mais résolument différent.
Et du reste, on retrouve tous les travers des autres partis chez nos sénateurs FN fraîchements élus : l’un et l’autre sont à présent des cumulards (tous les deux sont des maires), alors que le parti est officiellement anti-cumul. On attendra donc qu’ils abandonnent leurs postes précédents une fois leur poste sénatorial obtenu. Quant à leurs opinions, elles sont parfaitement dans le moule républicain actuel : pour Rachline, par exemple, soralien débauché par Marine, il sera difficile de trouver plus socialiste, plus anticapitaliste et moins ami du modèle social à la Française à la mode des années 80 que le jeune élu. Quant à Ravier, l’acolyte plus âgé de Rachline, il est l’exemple même de ce que donnerait un communiste devenu nationaliste et donc accueilli à bras ouverts par une Marine dont la finesse politique n’a rien à envier aux autres ténors socialistes de droite et de gauche. Tout ceci est d’ailleurs tellement vrai que lorsqu’on regarde le nombre de grands électeurs derrière le vote des deux sénateurs FN, on s’aperçoit qu’il est plus grand que le strict nombre des encartés FN de leurs circonscriptions respectives. Inévitablement, des grands électeurs encartés UMP ou PS (ou autre) ont voté pour eux, les petits coquins…
Ainsi donc, le Sénat bascule à droite. Cela ne changera rien à la politique française, et apportera tout juste quelques freins à la législorrhée débordante des socialistes de la Chambre Basse. Ainsi donc, Le Sénat compte maintenant deux Frontistes. Là encore, on voit mal ce que cela va changer, tant leurs vues politiques sont à ce point dissolubles dans celles des autres sénateurs, pour lesquels l’Etat représente la solution à tous les maux.
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